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07/10/2021 20:47 Actualité et virtualités d’une « œuvre » | Cairn.info https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/apres-bergson--9782130590019-page-347.htm#no20 1/11 Actualité et virtualités d’une « œuvre » Giuseppe Bianco Dans Après Bergson (2015), pages 347 à 358 Chapitre es comptes rendus de Différence et répétition et de Logique du sens se comptent sur les doigts d’une main. Dans les rares réactions à ces livres, et dans celles, plus copieuses, aux deux volumes de Capitalisme et schizophrénie, l’influence de Bergson échappe complètement aux commentaires. Les lecteurs soulignent l’inspiration nietzschéenne, sa reprise et la « perversion » du paradigme structural, le renouement de la philosophie avec la littérature et le dialogue, et, par la suite, la polémique avec la psychanalyse. Pour comprendre le désintérêt envers ce qui sera désigné plus tard comme le « bergsonisme » de Deleuze, clé d’intellection de toute sa production philosophique, il faut reprendre la piste de l’historiographie des textes de Bergson. En 1957, sont recueillis les Écrits et paroles et deux ans après, lors du centenaire de la naissance de Bergson, paraissent les Œuvres complètes. À ce moment- là, à la Sorbonne et à l’École normale, se déroule un grand colloque commémoratif auquel participent, entre autres, Merleau-Ponty, Wahl, Hyppolite et Jankélévitch, et dont les actes paraîtront dans un numéro spécial du Bulletin de la Société française de philosophie [1]. 1 L D’anciens membres de la Société des amis de Bergson ayant collaboré à la constitution des Œuvres complètes publient quelques livres importants : notamment André Robinet (né en 1922) qui, en 1965, fait paraître un Bergson ou les métamorphoses de la durée [2] et Henri Gouhier qui publie, en 1961, une monographie qui fera date, Bergson et le Christ des évangiles [3]. Malgré son importance pour les études bergsoniennes, un ouvrage qui portait ce titre ne peut certes réveiller l’intérêt pour la philosophie bergsonienne auprès d’une génération de penseurs nourris, dès le commencement de leurs études, de Nietzsche, de Freud et de Marx. En effet, déjà l’année du colloque du « centenaire », Kostas Axelos, né en 1924, écrit une recension 2 07/10/2021 20:47 Actualité et virtualités d’une « œuvre » | Cairn.info https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/apres-bergson--9782130590019-page-347.htm#no20 2/11 de L’Univers bergsonien [4] de Lydie Adolphe, née en 1911 et déjà auteur de deux autres monographies sur Bergson. Le livre fournit l’occasion au jeune philosophe grec, ami de Deleuze et proche de Jean Beaufret, de souligner encore une fois l’inactualité de Bergson à qui Axelos reproche d’avoir littéralement ignoré les perspectives du marxisme et de la psychanalyse. Peu après sont publiées les thèses de Pierre Trotignon et Dominique Janicaud, à peine plus jeunes que Deleuze : respectivement L’Idée de vie chez Bergson et la critique de la métaphysique [5] et Une généalogie du spiritualisme français [6]. Dans les deux travaux, l’effort des auteurs pour replacer Bergson dans les débats contemporains saute aux yeux. Un dialogue implicite est ainsi établi entre, d’une part, la philosophie de Bergson et, de l’autre, la phénoménologie husserlienne (le bergsonisme serait une « phénoménologie absolue »), le « vitalisme » de Nietzsche, et l’ontologie fondamentale chez Heidegger (notamment au sujet de la distinction entre philosophie et métaphysique), le structuralisme et l’archéologie du savoir. Cependant, ni Trotignon ni Janicaud ne reprendront, dans leurs travaux ultérieurs, les concepts bergsoniens. En 1972, avec la publication des Mélanges, le mouvement de monumentalisation des textes de Bergson atteint sa maturité [7]. Presque au même moment, quelques jeunes khâgneux du lycée Masséna, anarchistes ou maoïstes, percent une copie du Rire et l’attachent à une chaîne. Ils la traînent jusqu’à l’estrade du professeur en lui ordonnant de s’asseoir, de sauter et d’uriner, de montrer ainsi au maître « le flux de liberté [8] ». Tout laisse penser qu’il ne s’agit pas d’un épisode isolé. Le dernier numéro des Études bergsoniennes est publié quatre ans après, avant de disparaître. 3 Dix ans plus tard, en 1983 et en 1985, comme deux coups de tonnerre, paraissent L’Image-mouvement et L’Image-temps, deux volumes sur le cinéma où Deleuze puise à pleines mains dans l’œuvre de Bergson, et spécialement dans Matière et mémoire. Ces livres, résultat des cours dispensés par Deleuze à l’Université de Paris viii les mardis matin entre octobre 1981 et mai 1985, sont le produit, comme aurait dit Augustin Cournot, de plusieurs séries causales indépendantes. En 1976, Deleuze accepte, en cinéphile, d’intervenir sur les Cahiers du cinéma, au sujet de Six fois deux de Jean-Luc Godard. Son interlocuteur, Jean Narboni, auteur d’un livre d’entretiens avec Godard [9], enseigne alors au département de cinéma de Vincennes, et jusqu’en 1973 il a été le directeur des Cahiers. À ce moment précis, encouragée par l’équipe éditoriale composée notamment par Serge Toubiana, Serge Daney et Pascal Bonitzer, la revue quitte progressivement la ligne militante – althussérienne et lacanienne d’abord, maoïste ensuite – qui la caractérise depuis 1968. Les Cahiers sont ainsi en pleine recherche de nouveaux instruments critiques et théoriques : Deleuze a, en effet, été précédé par Foucault, interviewé en 1974. Ainsi, à travers les réponses données à Narboni, Deleuze s’insère dans les débats au sujet de la nature et de la portée du cinéma dans un champ épistémologique, esthétique et politique en transformation. 4 07/10/2021 20:47 Actualité et virtualités d’une « œuvre » | Cairn.info https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/apres-bergson--9782130590019-page-347.htm#no20 3/11 L’intervention du philosophe est d’abord critique : substituant à la distinction entre information et bruit, propre à la théorie de l’information et à la sémiologie, la distinction entre mot d’ordre et information, et critiquant la division du travail opérée par la psychanalyse abordant le désir sous un angle économique, Deleuze manifeste, quoique de manière voilée, sa réticence pour l’approche sémiologique et psychanalytique du cinéma propre à certains des rédacteurs des Cahiers [10]. L’un des principaux représentants de cette approche est Christian Metz : professeur à l’École pratique et ensuite à l’École des hautes études en sciences sociales, Metz est l’un des sémiologues les plus respectés par les Cahiers. En 1974, critiqué par Jean-François Tarnowski dans un article publié dans la revue Positif, Narboni n’hésite pas à promouvoir une pétition visant à faire expulser le critique de la revue [11]. Positivement, dans la seconde partie de l’entretien de 1976, Deleuze évoque rapidement une possible convergence entre le traitement des images fourni par Godard et celui de Bergson dans le premier chapitre de Matière et mémoire. 5 Deux ans plus tard [12], Guy Fihman et Claudine Eizykman, collègues de Narboni au département de cinéma de Vincennes et proches de Lyotard [13], commencent à utiliser la philosophie bergsonienne dans leurs cours et leurs études : la critique du mécanisme cinématographique de la pensée du Bergson du quatrième chapitre de L’Évolution créatrice semble avoir inspiré l’idée même de cinéma [14]. Au début des années 1980, la proximité géographique entre les locaux du département de cinéma et ceux assignés aux inscrits en philosophie, due au déplacement de l’Université de Vincennes à Saint-Denis, accroît la collaboration entre philosophes et professeurs en cinéma : celle-ci se concrétise dans la circulation des étudiants d’un département à l’autre, mais aussi dans les quatre cours sur philosophie et cinéma tenus par Deleuze entre 1981 et 1985. Le philosophe y retrace l’histoire du septième art, qu’il coupe en deux, suivant les deux articulations entre les dimensions actuelles et virtuelles de l’image décrites par Bergson [15]. Les livres de Deleuze, qui montrent l’extrême actualité du bergsonisme en appliquant ses concepts à une matière étrangère, exercent une influence silencieuse sur les philosophes nés pendant les années 1960 et qui, autour de 1980, entament donc leurs études supérieures. Cette influence est renforcée par les programmes des concours : c’est probablement à cause des livres bergsoniens sur le cinéma que La Pensée et le Mouvant apparaît dans le programme de l’agrégation de 1985, après trois lustres d’absence. C’est en 1989 que Deleuze écrit une « Postface » à la traduction anglaise du Bergsonisme, publiée en 1991 avec le titre significatif de « A return to Bergson [16] ». 6 Mais c’est aussi le dernier livre écrit en collaboration avec Félix Guattari, et élaboré au même moment que les livres sur le cinéma, Qu’est-ce que la philosophie ?, de 1991, qui marque une date significative pour le récent succès du bergsonisme. Trois ans avant sa publication, Alain Badiou fait paraître un gros volume, L’Être et l’Événement. Le philosophe a été aussi bien membre du groupe des Cahiers pour l’analyse qu’il a côtoyé Althusser et participé activement au « Cours de philosophie pour scientifiques » ; touché par les événements de mai 1968, Badiou abandonne 7 07/10/2021 20:47 Actualité et virtualités d’une « œuvre » | Cairn.info https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/apres-bergson--9782130590019-page-347.htm#no20 4/11 momentanément la production philosophique pour se consacrer au militantisme politique. Choisi par Michel Foucault, il intègre l’équipe enseignante du département de philosophie du Centre expérimental de Vincennes. Les essais publiés à cette période témoignent d’une lutte d’ordre politique et idéologique avant tout, contre la version « anarcho-désirante » du marxisme et contre une supposée « troïka [17] » régnant à Vincennes, celle de Châtelet, Deleuze et Lyotard [18] . L’idée, proposée par Lyotard dans La Condition postmoderne et, peu après, dans Le Différend, de la fin uploads/Philosophie/ actualite-et-virtualites-d-x27-une-oeuvre.pdf

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