Alessandro GHISALBERTI ETIENNE GILSON Né à Paris en 1884 et mort à Cravant en 1
Alessandro GHISALBERTI ETIENNE GILSON Né à Paris en 1884 et mort à Cravant en 1978, Etienne Gilson est certainement le principal représentant international du monde des études d'histoire de la philosophie médiévale de tout le XX-ème siècle. Gilson est arrivé à ses géniales reconstructions historiographiques grâce à la découverte de la "méthode réaliste", cueillie opérativement dans la gnoséologie thomiste, où la connaissance n'a pas la priorité sur l'être, comme le veut l'idéalisme, mais est activée par l'être, dans une unité vécue et expérimentée de sujet connaissant et d'objet connu; la connaissance se laisse conditionner, de manière consciente et intelligente, par l'être du réel. L'engagement théorique, exposé par Gilson dans l'acquisition de la méthode, l'a constamment motivé dans la défense de la légitimité de la "philosophie chrétienne", qui demande un engagement incessant dans la recherche de la notion de théologie, comme il le déclare lui-même en présentant l'autobiographie intellectuelle écrite quand il avait déjà 76 ans, Le philosophe et la théologie (1960): "Le sujet propre du livre est l'aventure d'un jeune Français élevé dans la religion catholique, redevable de toute son éducation à l'Eglise et de toute sa formation philosophique à l'Université, mis par Clio aux prises avec le problème de trouver un sens précis à la notion de théologie, consumant une partie de sa vie dans la discussion de ce problème et trouvant la réponse trop tard pour qu'elle pût encore lui servir" (1). 1. La découverte de l'originalité théorique de la Scolastique C'est à Gilson, historien de la philosophie, que l'on doit la découverte d'un continent philosophique, celui de l'histoire de la philosophie médéviale. Au cours de ses années d'études à la Sorbonne, la conviction positiviste était encore fort répandue, qui voulait que l'histoire de la philosophie, comme celle de la science, se divise en deux époques: l'ancienne et la moderne. Entre les Grecs et Descartes, il existait une nuit intellectuelle, dans laquelle les théologiens avaient totalement sacrifié la recherche rationnelle à l'acte de foi. Ce fut dans cette conjoncture que Lucien Lévy-Bruhl confia au jeune étudiant Gilson une étude à titre d'exercice scolaire, destinée à distinguer quelque lien possible entre Descartes et la scolastique. C'est justement à l'occasion de ses recherches pour cette étude que Gilson rencontra pour la première fois Thomas d'Aquin et d'autres théologiens scolastiques, et qu'il découvrit qu'une quantité importante de notions et de conclusions étaient passées de leurs oeuvres dans celles de Descartes. Et, plus important encore, il s'aperçut que de nombreuses doctrines scolastiques avaient été dévirilisées pour passer, privées de solidité et d'efficacité, à la philosophie moderne (2). Une nouvelle perspective historique se présenta avec force à l'esprit de Gilson: il avait existé une pensée médiévale autonome, originale, dans laquelle les personnages n'avaient rien à envier, par certains côtés, à Descartes. Une autre question se présenta immédiatement: la pensée grecque, celle d'Aristote en particulier, était-elle passée sans altération à travers les maitres du Moyen-Age, ou bien avait-elle subi des modifications? Dès la première relecture, Gilson se persuada que la philosophie grecque était sortie du Moyen-Age différente de ce qu'elle était lorsqu'elle y était entrée et que, loin de poursuivre la pensée grecque comme s'il n'y avait rien eu entre elle et lui, Descartes était arrivé après le Moyen-Age presque comme si les Grecs n'avaient jamais existé (3). Il s'était opéré une profonde transformation de la philosophie, à cause de la théologie chrétienne, et cette théologie ne s'était pas limitée à contenir de la métaphysique; elle en avait produit une nouvelle. Pour asseoir cette conviction sur des bases solides, Gilson affronta l'étude directe des auteurs, et commença par Saint Thomas: une lecture attentive des textes et une critique intelligente portèrent à la publication du volume Le Thomisme (1919), parvenu en 1972 à sa sixième édition revue et élargie, dans laquelle l'auteur exposait la thèse de l'existence d'une "philosophie de Saint Thomas d'Aquin". Les premiers à réagir contre cette thèse furent les thomistes de l'époque, qui étaient essentiellement convaincus que la pensée de Thomas était commune avec celle des autres théologies médiévaux. Plus précisément, on croyait que la synthèse scolastique était, dans sa substance, une adaptation homogène de la technique intellectuelle d'Aristote, un aristotélisme subsumé par la théologie chrétienne. Pour prouver la valeur de sa thèse, Gilson n'eut d'autre choix que d'entreprendre une étude comparative avec les autres scolastiques: c'est ainsi que naquit La philosophie de Saint Bonaventure (1924), d'où ressortait de manière évidente les différences entre les doctrines de Bonaventure et celles de Thomas, dans la mesure où, au sein des deux spéculations, on découvrait des divergences profondes quant aux notions d'être, de cause, d'intellect et de connaissance naturelle. Entre-temps, Gilson avait publié en 1922 La philosophie au Moyen-Age, une histoire globale de la philosophie médiévale, qui documentait irréfutablement la floraison de différentes philosophies au cours du Moyen-Age, en particulier au sein de la scolastique latine. Les objections aux thèses gilsoniennes ne manquèrent pas: P. Mandonnet reconnaissait que Thomas avait été un philosophe, mais contestait le fait que la pensée de Bonaventure fût une philosophie; en dehors de Thomas, les autres médiévaux n'avaient été que des théologiens. A son tour, P. Théry non seulement était convaincu que la doctrine de saint Bonaventure était une théologie, mais soutenait que la théologie bonaventurienne était identique à celle de Thomas d'Aquin. Gilson répondit par des années de nouvelles recherches, plus particulièrement centrées sur les thèses de Thomas: il reconnut comme fondamentalement vraie l’affirmation selon laquelle Saint Thomas était avant tout un théologien, mais ceci lui permit d’acquérir une autre conviction, celle que la notion de théologie n’exclut pas la philosophie. Que Thomas ait été un théologien est évident avant tout parce que ses oeuvres fondamentales sont théologiques, alors que celles de type spécifiquement philosophique sont vues comme des études subsidiaires à la recherche théologique. Saint Thomas lui-même, dans ses Sommes, se considérait un magister in sacra pagina, un maitre de théologie. Au sein de la théologie, Gilson découvre une philosophie propre à Thomas, étant donné qu’il est naturel en théologie de faire continuellement et librement appel au raisonnement philosophique. Ses contemporains appelaient Thomas philosophans theologus, un philosophe qui est au service du théologien. En faisant sortir les thèmes philosophiques de Thomas des divers contextes théologiques, on court le risque de priver sa philosophie d’originalité, parce que cette dernière n’a pas été élaborée à des fins purement philosophiques. Gilson trouve emblématique cette déclaration de la Summa contra Gentiles: “nous nous efforcerons avant tout de manifester cette vérité qui avait été professée par la foi et est étudiée par la raison, en apportant en même temps des raisonnements démonstratifs et des raisonnements probables, dont certains ont été recueillis par nous dans les livres des philosophes et des saints, afin que la vérité soit confirmée et l’adversaire convaincu” (4). Le résultat de cette opération est certainement théologique, même s’il apparait clairement que la raison entre de plein droit dans l’explication de l’élément de foi; cela a entrainé la dilatation de la théologie métaphysique et un ordonnancement qui lui est particulier de la théologie révélée: “Si Saint Thomas s’était contenté de dire que la métaphysique et la théologie naturelle s’ordonnent à la théologie du révélé comme à leur fin, sa conclusion n’intéresserait qu’indirectement l’histoire de la philosophie. Mais il est allé bien plus loin. En affirmant que la “philosophie première” elle-même est entièrement ordonnée à la connaissance de Dieu comme à sa fin, c’est justement à la connaissance de Dieu à travers la raison naturelle qu’il pense avant tout. Les mots qui terminent sa phrase suffisent à le prouver: unde et scientia divina nominatur. C’est donc justement la prima philosophia elle-même, ou métaphysique, qui devient théologie en s’ordonnant à la connaissance de Dieu.. S’il en est ainsi, toute la métaphysique se trouve centrée, au delà de la connaissance de l’essence la plus universelle de toutes, celle de l’être en tant qu’être, sur un être dont on peut dire au contraire qu’il est éminemment singulier […]. Le terme “théologie” ne désignait pour Aristote qu’une science à peine accessible et misérablement limitée, parce que nous sommes devant son objet comme l’oiseau de nuit devant le soleil. Pour Saint Thomas, la théologie prenait une consistance et une plénitude tout autres du fait que, Dieu ayant parlé, elle pouvait se constituer, à partir de la révélation, comme une science de la foi. Sans doute, même alors, on doit encore parler de la théologie comme de “ce peu que nous savons de Dieu”, mais, d’abord, parce qu’elle se fonde désormais sur la foi, sa certitude est devenue inébranlable, ce qui constitue une première différence d’importance capitale; et, en outre, parce qu’elle est désormais science du salut, elle est devenue la fin vitalement urgente de toute la spéculation humaine” (5). 2. L’actualité de l’être selon Thomas d’Aquin Gilson place la métaphysique thomiste au croisement de deux conceptions de l’être, l’essentialiste et l’existentialiste. En se fondant sur un concept de l’être qui comprend en soi aussi bien l’essence que l’existence, celle-ci dépasse, dans une synthèse supérieure, les philosophies de l’essence (essentialisme) et les philosophies de l’existence (existentialisme). L’essentialisme, uploads/Philosophie/ alessandro-ghisalberti.pdf
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- Publié le Jul 16, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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