Logique, Quine, Bruno Ambroise.doc © Éditions Delagrave 2003, Bruno Ambroise 1

Logique, Quine, Bruno Ambroise.doc © Éditions Delagrave 2003, Bruno Ambroise 1 La logique et l’épistémologie Quine et la Poursuite de la vérité : de l’épistémologie généralisée à un empirisme sans dogme Bruno Ambroise Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Très grand philosophe américain du 20ème siècle, Willard van Orman Quine (1908-2000) est l’un des très rares à avoir élaboré un véritable système philosophique, dans lequel ses thèses bien connues, et souvent provocatrices, trouvent tout leur sens en se justifiant l’une l’autre. C’est ainsi de cette solidarité d’ensemble que les thèses de « l’indétermination de la traduction », de « l’inscrutabilité de la référence », de la critique de l’analyticité ou de la signification, tirent toute leur valeur et leur force philosophiques. Logicien-philosophe autant que philosophe-logicien, Quine construit sans doute des thèses philosophiques qui sont déterminées par sa conception de la logique comme couronnement de sa philosophie naturaliste. Mais celle-ci ne pourrait se comprendre sans l’attachement résolu de Quine à un empirisme foncier qu’il a mieux reconstruit pour en montrer le caractère inévitable – inévitable puisque résultant de l’état même de notre connaissance. Car, introducteur en même temps que critique de l’empirisme logique aux Etats-Unis, il s’est attaché à défaire l’empirisme de ses dogmes pour mieux en faire la méthode obligatoire de l’épistémologie naturalisée. Celle-ci prendra ainsi en compte l’état actuel de la connaissance, c’est-à-dire de la science, pour mieux la reconstruire : c’est donc une sorte de regard rétrospectif que la science porte sur elle-même qui reste comme tâche à la philosophie, sans que celle-ci reste attachée à des dogmes qui l’empêchaient de rendre compte adéquatement du développement de la connaissance (tels que : l’illusion d’une distinction absolue entre les énoncés synthétiques et les Logique, Quine, Bruno Ambroise.doc © Éditions Delagrave 2003, Bruno Ambroise 2 énoncés analytiques, l’illusion du réductionnisme qui veut que chaque phrase signifiante ait une correspondance avec l’expérience sensible, etc.). C’est à une présentation d’ensemble de ses thèses que s’attache Quine dans Pursuit of Truth et ce livre vaut donc comme une introduction au système philosophique quinien. Conçu comme tel, sa lecture est censée faciliter l’entrée dans la philosophie de Quine de manière pédagogique. Il sera donc commode de suivre l’ordonnancement du livre pour comprendre véritablement la force et l’originalité de cette philosophie. Cependant, pour poser quelques jalons, il convient de présenter rapidement les thèses fortes qui la composent. Il s’agit d’abord de comprendre que, comme toute la tradition analytique, la philosophie de Quine est marquée par le « tournant linguistique » et qu’en conséquence toute sa réflexion sur la connaissance est d’abord une réflexion sur le langage, sur le langage de la connaissance, ou sur la façon dont le langage permet de générer une connaissance ou un « schème conceptuel ». Il ne faudra donc pas s’étonner de ne pas voir apparaître ces concepts familiers de l’empirisme que sont les idées et les sensations. Mêmes les entrées sensorielles, dont Quine est bien obligé de concéder l’existence, ne serait-ce que par attachement à l’empirisme, mais aussi par respect pour les données scientifiques elles-mêmes, seront traitées sous forme linguistique : ainsi seront-elles retraduites sous forme d’énoncés observationnels. Ces derniers correspondent aux mots que les membres d’une même communauté linguistique apprennent à dire face à certaines situations dans lesquelles ils sont les sujets d’une certaine gamme de stimulations sensorielles, ou de certains « stimuli », comme Quine les appelle parfois : cette caractérisation linguistique est une façon pour Quine de garantir à la fois l’objectivité et l’homogénéité des inputs sensoriels donnant lieu au savoir. Quelle que soit l’idiosyncrasie propre à chacun des liaisons des récepteurs sensoriels aux neurones, quelle que soit l’expérience vécue de chacun dans des situations similaires, le savoir le plus immédiat qu’on peut en avoir est déjà commun et objectif : le langage partagé dans lequel on rapporte les faits. Car nous avons tous appris à dire qu’un chat est sur le tapis dans une situation dans laquelle nous voyons un chat sur le tapis, sans chercher à caractériser nos états mentaux ou ceux du locuteur. Notons aussi que pour le moment nous sommes indifférents quant à l’ontologie rapportée par les énoncés observationnels : ceux-ci rapportent sous forme de mots ce qui est perçu, sans qu’on sache à ce niveau ce qu’est un chat, ni ce qu’est un tapis. A partir de ces énoncés observationnels, dotés de contenu empirique sur lequel tous les membres de la communauté linguistique peuvent s’accorder, vont se construire des énoncés théoriques, donnant lieu à des termes plus abstraits, sans rapport direct à l’expérience, modélisée comme elle l’est par les énoncés observationnels. Cependant ces énoncés théoriques ont toujours un lien, plus ou moins étroit, plus ou moins lâche, avec les énoncés observationnels, puisque ces derniers sont leurs seuls fondements : un énoncé théorique se justifie en dernière instance par le lien particulier qu’il entretient avec les énoncés observationnels ; il doit permettre en effet Logique, Quine, Bruno Ambroise.doc © Éditions Delagrave 2003, Bruno Ambroise 3 d’en rendre compte, de les expliquer au sein du système et aussi de donner lieu à de nouveaux énoncés observationnels (les prédictions qui confirment la validité de l’énoncé théorique lorsqu’elles sont avérées). Les énoncés théoriques qui forment le système de la science sont en effet des instruments pour prédire l’expérience future à la lumière de l’expérience passée. Ces énoncés théoriques ont donc bel et bien un lien avec la réalité : c’est sur cette base que se définit le holisme de la science, ou le caractère généralisé de la dépendance de la théorie, y compris la plus abstraite qui soit (telles la logique ou les mathématiques), vis-à-vis de l’expérience. Cette dépendance généralisée a pour conséquence que face à une anomalie, qu’elle soit théorique (le développement scientifique rencontre une contradiction) ou empirique (les observations ne concordent pas avec les prédictions), le scientifique a le choix de modifier le système théorique où il le souhaite. Puisque tout énoncé, quelle que soit sa place dans le système, est solidaire avec tous les autres, un changement à un endroit du système a des répercussions sur tout le système : on peut donc changer à peu près à n’importe quel endroit de façon à résoudre l’anomalie. Ce n’est donc pas forcément l’énoncé le plus « proche » de l’anomalie qui doit être modifié, ni forcément le plus observationnel ; il peut même arriver qu’on soit forcé de modifier les mathématiques, voire la logique qui se situe au sommet du système (en ce sens qu’elle est la science qui a le moins de rapport aux énoncés observationnels), mais cela est très improbable (en raison du conservatisme qui caractérise la science). De plus, cette structure de la connaissance remet en cause la distinction analytique/synthétique : les énoncés analytiques sont ceux qui sont considérés vrais en fonction de leur signification (« un célibataire est un homme non-marié ») alors que les énoncés synthétiques doivent faire appel à l’expérience pour être validés. On dit souvent que seuls les derniers accroissent la connaissance. Pour Quine, néanmoins, un énoncé analytique n’est pas vrai en vertu de sa signification, mais en raison de la position particulière qu’il occupe au sein du système. C’est parce qu’il est tenu pour fondamental (ou parce qu’on a appris à le tenir pour fondamental) au sein du système qu’un énoncé va être considéré comme nécessairement vrai ; non pas parce qu’il lui serait impossible d’être contredit ou parce qu’il ne pourrait pas être contredit pas l’expérience en ce sens qu’elle ne l’affecterait pas, mais parce que sa contradiction équivaudrait pour nous à une remise en cause total du système qui est le nôtre, de notre schème conceptuel. La distinction entre énoncé analytique et énoncé synthétique ne réside donc pas dans un rapport différent à la réalité empirique, qui n’aurait aucune incidence sur la vérité du premier mais déterminerait la vérité du second, mais dans une différence de degré quant à la certitude avec laquelle nous les tenons pour vrai : le second pourra être plus facilement remis en cause que le premier qui sert de socle à tout notre schème conceptuel. Cette remise en cause du dogme de l’analyticité s’accompagne de la remise en cause du dogme du réductionnisme qui prétend pouvoir réduire l’ensemble des énoncés de la science à des constructions réalisées à partir de l’expérience. Quine va montrer que toutes les tentatives entreprises jusque-là Logique, Quine, Bruno Ambroise.doc © Éditions Delagrave 2003, Bruno Ambroise 4 pour effectuer cette reconstruction s’appuient sur des termes irréductibles à l’expérience. Par-là il entend montrer que la vérification d’un énoncé analytique ne se fait pas par une seule classe d’évènements sensoriels possibles, celle qui correspondrait aux types d’évènements admissibles par cet énoncé, et qu’en fait tout énoncé n’est pas vérifiable individuellement, mais bien plutôt que « nos affirmations sur le monde extérieur font face au tribunal de uploads/Philosophie/ ambroise-bruno-quine-et-la-poursuite-de-la-verite.pdf

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