INCONSCIENT COLLECTIF ET NOOSPHÈRE. DU « MONDE IMAGINAL » AU « VILLAGE GLOBAL »

INCONSCIENT COLLECTIF ET NOOSPHÈRE. DU « MONDE IMAGINAL » AU « VILLAGE GLOBAL » Raphaël Josset De Boeck Supérieur | « Sociétés » 2011/1 n°111 | pages 35 à 48 ISSN 0765-3697 ISBN 9782804165413 DOI 10.3917/soc.111.0035 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-societes-2011-1-page-35.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Elle ne doit donc pas nécessairement être confondue avec ce que l’on appelle le « monde imaginal des archétypes de l’inconscient collectif », bien qu’elle entretienne un rapport particulier avec celui-ci. Au final, c’est le mode d’être- au-monde de l’homme qui s’en trouve radicalement bouleversé. Mots clés : réseaux, globalization, errance, dernier homme. Abstract : The concretization via the deployment of the planetary cybernetic network, of the ecumenical utopia which Pierre Teilhard de Chardin intended as noosphere, can also designed the practice that make possible the accomplishment of the nihilism of the West- erner metaphysic. The noosphere must not be confused with the imaginable world of the archetypes of the collective unconscious although it has a particular relation with this one. At the end, it’s the way of been in the world of the human that is radically crushed. Keywords : networks, globalization, wandering, last man. « Les distances ont été supprimées mais la proximité est restée absente : l’absence de proximité a conduit le sans-distance à la domination. » Martin Heidegger, La Chose L’anthropologue Barbara Glowczewski dans ses travaux a montré l’existence d’une pensée réticulaire multidimensionnelle chez les tribus aborigènes d’Australie, dont le système cognitif spatialisé et la cosmogonie reposent sur une vision tradi- * Docteur en sociologie à l’Université Paris Descartes Sorbonne, chercheur au CeaQ. Il enseigne méthodologie à l’Université d’Évry Val d’Essonne. DOI: 10.3917/soc.111.0035 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 84.102.144.124) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 84.102.144.124) 36 Inconscient collectif et noosphère. Du « monde imaginal » au « village global » Sociétés n° 111 — 2011/1 tionnelle de l’univers qu’elle qualifie de « connexionniste » dans le sens où tout y est interdépendant. Une vision holistique du réseau global de la vie donc, où tout entre en interaction : les hommes, les femmes, le règne animal, végétal, minéral, la terre, le ciel, l’infiniment petit et l’infiniment grand, la vie actualisée et les rêves, etc. Cette pensée traditionnelle se manifeste notamment par la perception de la mémoire comme un espace-temps virtuel et la projection de savoirs sur un réseau géographique à la fois physique et imaginaire. Elle s’articule autour de la produc- tion de « cartes mentales » liées à l’élaboration d’« itinéraires mythiques » lors de pratiques rituelles liant chants, danses et peintures corporelles, considérées comme des « récits en performance » traitant l’information qui provient souvent également de l’interprétation des rêves. Ce qui se joue là, en l’occurrence, c’est l’émission et la réception d’informations essentielles à la survie de ces sociétés de chasseurs- cueilleurs dont les immenses territoires nécessitent la consignation de données rela- tives au déplacement de sites en sites et donc la production d’une cartographie cognitive sous forme d’itinéraires reliant des lieux sacrés pensés comme les traces d’ancêtres mythiques. La pratique onirique y joue donc un grand rôle car elle per- met de se connecter à l’espace-temps éternel de la mémoire collective où les ancê- tres mythiques aux formes hybrides recombinent les éléments dont ils laisseraient des traces sur les sites. C’est ainsi que, par-delà les quatre dimensions du cadre spa- tio-temporel classique dans lequel se déroulent les rites d’élaboration des cartes mentales, le sommeil, nous dit Barbara Glowczewski, « fait passer dans une cin- quième dimension, celle du rêve, qui permet d’expérimenter la synchronicité du mythe sous forme de condensations et d’associations dans une matrice onirique où les images et les sons se connectent sans être entravés par la linéarité du temps ou par les distances et les barrières de l’espace » 1. Cette « cinquième dimension » du rêve dans le système d’interprétation propre au mode de pensée en réseau des tribus aborigènes, cette « synchronicité », cette « matrice onirique » où les images et les sons – débarrassés de la linéarité du temps, des distances et barrières de l’espace – s’interconnectent avec l’imaginaire collectif, avec le mythe et ses récits, n’est donc évidemment pas sans rappeler la fameuse hypothèse jungienne d’un inconscient archaïque suprapersonnel peuplé d’arché- types qui seraient communs à l’espèce humaine, tout en nous renvoyant aussi à « la matrice du cyberespace » et autre « noosphère » de la cyberculture. Village people : théophanie du Christ cosmique Rappelons que cette notion de « noosphère » – ou « sphère de l’esprit » – a d’abord été conceptualisée dans les années 1950 par le père jésuite, paléontologue et théo- logien, Pierre Teilhard de Chardin qui, dans une tentative de réconcilier science et religion (à vrai dire darwinisme et catholicisme), la conçoit comme une sorte de « conscience collective planétaire », une immense machine à penser, un magma 1. B. Glowczewski, Rêves en colère. Paris, Plon, coll. Terre humaine, 2004. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 84.102.144.124) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 84.102.144.124) RAPHAËL JOSSET 37 Sociétés n° 111 — 2011/1 d’informations entourant la surface du globe comme l’atmosphère et qui est à l’intellect ce que la « biosphère est pour la vie » 2. Ce grand nuage immatériel gagnerait ainsi en ampleur et en intensité à mesure des progrès de l’évolution humaine et de ce que l’on nomme aujourd’hui la « globalisation ». En l’occurrence, il se trouve que la notion de noosphère prenait une forte connotation religieuse et particulièrement eschatologique chez le père jésuite. En effet, en se déployant sur l’ensemble du globe, elle doit préparer l’avènement d’une ère d’harmonie univer- selle des consciences et par conséquent une forme de résurrection spirituelle pla- nétaire que marquera le « point Oméga », sommet de l’évolution et aboutissement des temps historiques où l’homme doit finalement rejoindre Dieu dans une com- munion parfaite alors perçue comme « théophanie du Christ cosmique ». La vision cosmique et la « pensée connexionniste » de Teilhard de Chardin, ses propositions œcuméniques de « collectivisme » et de « noosphère » exprimant le désir d’en finir avec « la séparation des humains », inspireront par la suite les théo- riciens de la communication, en particulier le Canadien Marshall Mc Luhan, lui- même converti adulte au catholicisme. Celui-ci déclarait notamment que la noos- phère était « le cerveau technologique de l’univers (…) la membrane technologi- que jetée sur l’ensemble du globe par la dilatation électronique de tous nos sens » 3. McLuhan, on ne le sait que trop, constatait déjà l’existence et le déploiement d’un réseau planétaire issu des technologies de la communication électronique (télégra- phe, téléphone, radio, télévision) qui, en bouleversant profondément nos rapports à l’espace et au temps, réduisait littéralement le globe terrestre à la taille d’un vil- lage. En cela, il ne faisait selon nous que reformuler une idée déjà largement évo- quée par d’autres auteurs. À cet égard, on peut se référer notamment à Nietzsche via les paroles de son Zarathoustra concernant le « dernier homme » auquel il s’adresse, c’est-à-dire le petit homme moderne aux instincts apprivoisés, à la volonté atrophiée et aux valeurs moribondes qui a en horreur la souffrance et ne recherche plus le bonheur que dans le confort, la santé et la sécurité, adepte qu’il est des petits plaisirs, des divertissements et des loisirs. C’est ainsi que le prophète Zarathoustra pressentant la poursuite et l’approfondissement de cette tendance multiséculaire à la réduction dans et par l’autodomestication et le dressage de l’ani- mal humain, tendance lourde du processus civilisationnel s’il en est, annonce alors entre autres choses à la foule amusée que dans les temps prochains « la terre sera devenue plus uploads/Philosophie/ art-inconscient-collectif-et-noosphere.pdf

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