Les séries figées dans Le traité de stylistique de Charles Bally (1865-1947) Br
Les séries figées dans Le traité de stylistique de Charles Bally (1865-1947) Brigitte Lépinette Universitat de València-IULMA ,Espagne brigitte.lepinette@uv.es Synergies Espagne n°6 - 2013 p. 55-71 55 Reçu le 24-02-2013/Accepté le 15-05-2013 Résumé Cet article contextualise dans Le traité de stylistique ([Heidelberg, 1909 et 1921] 1951) de Charles Bally le traitement des séries figées, question qui, en particulier, après les recherches sur la combinatoire sémantico-lexicale d’Igor Mel’čuk et les travaux syntaxico-sémantiques, de base distributionaliste, de Maurice Gross spécialement, a donné lieu, de nos jours, à une littérature linguistique aussi bien quantitativement que qualitativement importante. Avant ces derniers auteurs, Bally a fait de ces séries phraséologiques un élément sur lequel portera son double objectif d’identification et de délimitation dans la langue des faits d’expression liés à l’affectivité (considérés par opposition aux faits d’expression qui le sont à la pensée). Dans le cadre des présup posés linguistiques particuliers de la stylistique de Bally, l’analyse des séries figées permettra à ce linguiste d’en reconnaître les principales caractéristiques (lexicales, sémantiques mais non syntaxiques). Cependant, –contrairement aux études récentes dans ce domaine, d’abord théoriques– elle sera mise au service d’un apprentissage du français s’appuyant sur ce que nous pouvons appeler un corpus (avant la lettre) destiné à l’apprentissage d’une langue. Mots-clés : linguistique de Bally, séries figées, séries semi-figées, combinatoire séman tico-lexicale, combinatoire syntaxico-sémantique Las expresiones fijas en Le traité de stylistique de Charles Bally (1865-1947) Resumen Este artículo contextualiza el tratamiento de las expresiones fijas en Le traité de stylis tique ([Heidelberg, 1909 et 1921] 1951) de Charles Bally. Se trata de una cuestión que ha generado hasta hoy una literatura lingüística cuantitativa y cualitativamente impor tante, en particular tras las investigaciones sobre la combinatoria semantico-léxica de Igor Mel’čuk y los trabajos sintactico-semánticos, de base distribucionalista, de Maurice Gross. Previamente a dichos autores, Bally había convertido estas series fraseológicas en un elemento sobre el que recaerá su doble objetivo de identificación y delimitación en la lengua de hechos de expresión ligados a la afectividad (considerados por oposición a los hechos de expresión que lo serían del pensamiento). En el marco de los presu puestos lingüísticos propios de la estilística de Bally, el análisis de las expresiones fijas permitirá a este lingüista discernir sus principales características (léxicas, semánticas pero no sintácticas). Sin embargo, -contrariamente a los estudios recientes sobre el tema, en principio teóricos- se empleará para el aprendizaje del francés apoyándose en lo que podríamos denominar un corpus -avant la lettre- destinado al aprendizaje de una lengua. Palabras clave: lingüística de Bally, expresiones fijas, expresiones semi-fijas, combina toria semantico-léxica, combinatoria sintactico-semántica. Synergies Espagne n°6 - 2013 p. 55-71 Fixed expressions in Le traité de stylistique of Charles Bally (1865-1947) Abstract This article puts into context the treatment of fixed expressions in Le traité de stylis tique ([Heidelberg, 1909 and 1921] 1951) of Charles Bally. The matter has aroused a quantitatively and qualitatively important linguistic literature, particularly after the research of Igor Mel’čuk in the semantic-lexical combination and Maurice Gross’ works in syntactic-semantics, rooted in a distributionalist basis. Previously, Bally had applied these phraseological series to the double aim of language’s identification and delimi tation of expression’s facts linked to affectivity (considered in opposition to expression’s facts of thought). In the framework of linguistics’ budgets, typical of Bally’s stylistics, the analysis of fixed expressions will allow this linguist to establish its main character istics (both lexical and semantic, though not syntactical). Nevertheless, contrary to recent studies in this field, in fact theoretical- it will be put into the service of French learning which is supported by what could be called a corpus –avant la lettre- for the purpose of language learning. Keywords: Bally’s linguistics, fixed expressions, half-fixed expressions, semantic-lexical combination, syntactic-semantic combination 1. Introduction Les ‘séries figées’ –ce concept de ‘séries figées’ renvoyant, comme dans la terminologie, habituelle depuis déjà plus d’un quart de siècle, à celui de phrase ou de syntagme nominal, verbal, adverbial ou adjectival, dont la combinatoire syntaxique n’est pas libre et le sens peut être opaque1– figurent dans les dictionnaires depuis que la langue française y a été l’objet de recen sements d’une certaine extension2. Par exemple, au XVIIe siècle, l’une des parties annexes du Nicot 1606 (Explications morales d’aucuns proverbes) inclut phrases et syntagmes (figés pour nous), tous opaques sémantiquement, cette opacité sémantique étant l’une des raisons pour laquelle ces derniers furent retenus par le compilateur. A petit mercier, petit panier (20, 13) ou Petite pluie abat grand vent (21, 1) sont consignés, tout comme Trouver chaussure à son pied (21, 2) ou Nager en grand’eau (p. 23, 1) 4. Un peu plus tard, – en un exemple entre beaucoup d’autres possibles relevant du domaine de la lexico graphie monolingue – Furetière 1690 introduisait la série figée verbale Faire de la terre un fossé et définissait cette dernière comme (s.v. Gallicisme): « [une] phrase ou [un] régime particulier à la langue Françoise, qui a quelque chose contre les règles de la grammaire des langues ordinaires. Faire de la terre un fossé, c’est gallicisme qui n’a pas un sens, une construction régulière […] ». 1 Nous incluons, dans cette définition liminaire de la ‘série figée’, les phrases (complètes) dont certaines correspondent à ce que, à l’heure actuelle, on entend généralement (mais non exclusivement) comme proverbes. Ce domaine des phrases figées (vs. syntagmes figés) est maintenant clairement reconnu en linguistique comme spécifique, mais il ne l’était pas jusqu’à il y a peu. 2 Les séries figées (avant la lettre), comme l’ont montré les historiographes de la lexicographie (monolingue et bilingue) ont été introduites très tôt dans les répertoires lexicographiques (dans des mesures et sous des formes diverses, voir, par exemple, Rey 1973 sur les dictionnaires du XVIIe siècle ou nos propres travaux (2001) sur le Thresor / Tesoro bilingue de C. Oudin (1607). 3 Dans ce cas, le premier chiffre indique la page, le second la colonne de la série citée. 4 Signalons que la seconde des raisons de la compilation que nous venons de mentionner –ainsi que nous l’avons montré dans une étude antérieure de laquelle nous extrayons les exemples ici cités – est d’ordre expressément moral. 56 Les séries figées dans Le traité de stylistique de Charles Bally (1865-1947) L’Académie 1694 donnait de ce terme une définition pratiquement identique : « Gallicisme. s. m. Maniere de parler particuliere à la langue françoise, & contraire aux regles ordinaires de la grammaire. S’attaquer à quelqu’un, se battre avec quelqu’un, sont des gallicismes5 ». Les lexicographes du XVIIe siècle insistaient ainsi sur le caractère aberrant (au sens étymologique de ce terme) des phrases ou syntagmes de ce genre par rapport à la règle grammaticale mais aussi au sens compositionnel de ces derniers (de par leur impossible ou difficile interprétabilité). Cette affirmation explique6 que ces phrases ou régimes particuliers à la langue Françoise, relevant du domaine de l’irrégularité, c’est-à-dire de l’exception et de la singularité ont été (sauf exceptions) absents de la Grammaire latine étendue (GLE)7, contrairement aux phrases ou syntagmes (pour nous) libres, dont les éléments de base –les parties du discours– étaient pris comme objet, classés et analysés selon le découpage graphique traditionnel en mots. Pour la même raison, on comprend que le domaine par excellence des séries figées ont été les dictionnaires, d’abord les dictionnaires bilingues avec leur souci d’être utiles aux estrangers, ensuite les monolingues, l’ambition de ces derniers étant finalement de nature identique, même si les destinataires n’étaient plus strictement les mêmes8. Ce découpage en unités ‘simples’ –qui avaient été classées en parties du discours dès les premières grammaires vernaculaires et placées en entrées dans les dictionnaires monolingues–, que Bally considérera ‘instinctif’9 (vol. I, chap.2) est celui que ce dernier contestera, le qualifiant de ‘étymologique et analogique’, et qui, à juste titre, expliquera pour lui l’absence de la notion de ‘séries phraséologiques` dans les études linguistiques. Au XVIIIe siècle, dans un cadre grammatical nouveau, la question des séries figées, assimilées à l’idiotisme, phénomène qui sera toujours considéré du domaine de l’irrégularité, se posera différemment. Si ‘Idiotisme’ fait maintenant l’objet d’une entrée dans l’Encyclopédie méthodique, ni le concept ni le terme n’en seront pour autant introduits dans la grammaire10. Dans sa visée transcendante, la grammaire générale (GG) depuis Port-Royal avait considéré les signes dans leur relation avec la pensée. Comme consé quence de ce principe, Port-Royal se verra dans l’obligation –ce sont les tours figurés qui l’y amèneront– de distinguer dans le discours l’ordre logique –celui de la pensée– et des façons de parler arbitraires. Beauzée dans l’Encyclopédie théorisera cette opposition –avec plus de précision qu’Arnaud et Lancelot (1660)– en établissant une dichotomie entre des idiotismes qui sont, pour lui, 5 Dans ces deux citations, les caractères gras sont de nous. 6 Cf. Lépinette 2011 et, en particulier, 2012 : La parole exemplaire, étude de laquelle nous avons extrait les exemples du XVIIe siècle. 7 La GLE est la dénomination dont est responsable S. Auroux (en particulier, 1994) pour ces grammaires qui, de façon majoritaire, ont précédé chronologiquement la grammaire générale (GG). 8 Voir note 2, ci-dessus. Comme on le uploads/Philosophie/ article3-brigitte-lepinette-pdf.pdf
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- Publié le Mar 13, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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