97 2020/1 ACTA UNIVERSITATIS CAROLINAE PAG. 97–118 Interpretationes Studia Phi

97 2020/1 ACTA UNIVERSITATIS CAROLINAE PAG. 97–118 Interpretationes Studia Philosophica Europeanea https://doi.org/10.14712/24646504.2021.15 © 2021 The Author. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0). EN DEÇÀ DE LA TAUTOLOGIE SYMBOLIQUE DU COGITO. VARIATIONS SUR DESCARTES ET AUGUSTIN À TRAVERS LEVINAS ET MARION ISTVÁN FAZAKAS Abstract In this paper, I explore the thesis according to which ipseity cannot be conceived of without acknowledging a radical absence and alterity in its very core that makes it possible. To develop this thesis, I draw on Levinas’ reading of Descartes and Marion’s reading of Augustine. After a brief introductory part on what we could call, with Marc Richir’s term, the symbolic tautology of ipseity, I show how such a tautology is deconstructed by Levinas’ interpretation of the idea of the infinite in Descartes’ Third Meditation. I then proceed to contrast the results of this reading with Marion’s take on the problem of the memoria in Augustin’s Confessions. Both readings point towards a radical and immemorial dimension of absence that – by impeding the self from fully possessing itself – makes paradoxically ipseity possible in the first place. In the conclusion, I pose the question whether – in order to account for this absence that reveals a transcendence in the most inner intimacy of the self – one has to abandon phenomenology for ethics or some kind of new theology or if a strictly phenomenological description of this dimension of the experience of ipseity is possible. Introduction Les tous derniers mots des Méditations cartésiennes, ouvrage fondateur de la phé- noménologie en tant qu’ égologie transcendantale, ne sont pas signés par Husserl, ni d’ ailleurs de Descartes, mais de saint Augustin : « Noli foras ire, dit saint Au- gustin, in te redi, in interiore homine habitat veritas. »1 Or, comme nous le savons, retourner « à l’ intérieur » de soi-même pour y trouver la vérité n’ a pour Husserl 1 Husserl, Edmund : Méditations cartésiennes (trad. G. Pfeiffer et E. Levinas), Vrin, Paris 1953, p. 134. 98 rien à voir avec une connaissance de soi psychologique atteinte par l’ introspection. Au contraire, par ce retour, c’ est la subjectivité transcendantale même qui se dé- couvre comme l’ origine de la validité de toute connaissance. En effet, cette validité ne vient pas du monde, mais doit être dégagée à partir d’ un cogito phénoméno- logique. « Il faut d’ abord perdre le monde par l’ ἐποχή, pour le retrouver ensuite dans une prise de conscience universelle de soi-même. »2 Ce qu’ une telle démarche implique n’ est rien de moins que l’ espoir que le sujet transcendantal puisse se posséder lui-même et être le principe de sa propre validité (la validité de son dé- ploiement ou fonctionnement transcendantal) et de la validité de ses effectuations. Par cette possession du soi-même on peut également regagner ce qui semblait être perdu dans la mise hors circuit de la validité de la thèse de l’ être : le monde ; notamment dans la mesure où ce dernier est constitué par le sujet transcendantal. Néanmoins, et c’ est cela qui nous intéresse dans cet article, la possibilité d’ une telle appropriation, fût-elle transcendantale, du soi par le soi, d’ une telle auto-pos- session, est loin d’ aller de soi. Le regard phénoménologique ne rencontre-t-il pas toujours, à l’ intérieur même du champ des effectuations et des aperceptions de la subjectivité transcendantale, des traces de quelque chose échappant à toute prise par une intentionnalité ? Des traces d’ un passé plus ancien que tout passé récu- pérable ou des amorces d’ un avenir qui ne sera jamais présent et qui diffèrent la coïncidence du soi à soi ? Bref, des traces de l’ immémorial et de l’ immature, qui ne pourraient jamais se présenter dans une « intuition originairement donatrice »3 ni être présentifiés par des actes que le sujet pourrait revendiquer comme siens ? Et si c’ est bien le cas, ne faut-il pas repenser l’ ipséité à partir de ces absences qui, à l’ intérieur même du soi, excèdent le soi ? Nous proposons ici d’ explorer cette possibilité de penser l’ ipséité à partir d’ une altérité qui est au cœur même du soi, d’ une extériorité qui se révèle dans son intimité la plus profonde, en nous rappor- tant à la lecture lévinassienne de la troisième méditation métaphysique et à la lecture que Jean-Luc Marion a récemment proposée du livre X des Confessions d’ Augustin. L’ idée de l’ infini chez Descartes ainsi que l’ oubli et le caractère paradoxalement im- mémorial de la memoria chez Augustin font signe vers la non-coïncidence origi- naire du soi à soi, dont nous proposons ici de mesurer la portée selon ces deux cas de figure. Ce qui nous intéresse dans ces deux figures, c’ est avant tout le revirement du mouvement conduisant en apparence vers une possession du soi par le soi au sein du Même, revirement donc de ce mouvement appropriant dans un mouve- ment de dépossession ou de désappropriation qui fait trembler l’ ipséité d’ altérité, 2 Ibid. 3 Husserl : Idées directrices pour une phénoménologie (Idées I) (trad. J-F. Lavigne), Gallimard, Paris 2018, p. 43. (selon la pagination allemande reprise en marge dans la tr. fr.) 99 sans pour autant l’ éclater. L’ énigme de l’ ipséité tient à ce que, malgré l’ altérité en son cœur, ou mieux à cause de cette altérité, elle ne cesse pas d’ être un mouvement perpétuel du soi vers le soi. C’ est que l’ ipséité est précisément ce mouvement ou ce double-mouvement d’ appropriation et de désappropriation sans autre fixation possible que celles de ses institutions, toujours à faire et à refaire. 1. La tautologie symbolique du cogito En apparence, le cogito est tout le contraire d’ un tel tremblement. Il y a, en effet, dans le cogito cartésien, quelque chose qu’ on pourrait appeler, en reprenant ce terme à Marc Richir, une tautologie symbolique.4 La tautologie en question est symbolique et non seulement logique, car il ne s’agit pas d’ identifier formellement deux termes logiques « vides » (A = A), mais nous avons plutôt affaire à une iden- tification par Stiftung (l’ institution de l’ identité) des indéterminités originaires.5 Il s’agit encore, par cette institution, d’ identifier deux éléments qui relèvent de deux régimes architectoniques différents, ou même de rabattre l’ un sur l’ autre deux re- gistres architectoniques entiers. Une tautologie symbolique exemplaire est celle qui se trouve à l’ origine même de l’ histoire de ce qui fut appelé, par et après Heidegger, « la métaphysique », instituée par Parménide comme l’ identification de l’ être et du penser. Sous cette lumière, le cogito cartésien n’ est rien d’ autre que le point d’ achèvement de cette tautologie dans la subjectivité : je pense, je suis et c’ est la même chose pour moi de penser et d’ être. Ou encore : tout ce que je pense c’ est bien moi qui le pense et en pensant mes pensées je me pense toujours avec elles (même si de manière non-thématique et préréflexive ou purement potentielle). À partir de là, nous pourrions dire que le sujet qui se pense comme chose pensante est entièrement captif de sa tautologie symbolique, car, précisément le sens d’ être envisagé par cet acte de pensée n’ est rien d’ autre que son propre être en tant qu’ être pensant. Nous assistons, par là, à une implosion de l’ être et du penser dans la subjectivité comprise toujours avec sa Jemeingikeit originaire que rien ne précède (de droit) – regagnée, comme on le sait, contre la fiction d’ un malin génie qui penserait « mes » pensées à « ma » place –, même si, d’ ailleurs, cette Jemeinigkeit 4 Cf. notre Le clignotement du soi. Genèse et institutions de l’ ipséité, Mémoires des Annales de la phé- noménologie, Wuppertal 2020, pp. 65–75. 5 Richir, Marc : « Ereignis, temps, phénomènes », in Heidegger : Questions ouvertes, Osiris, Collège International de Philosophie, Paris 1988, p. 13 ; cf. encore Richir : « Hyperbole dans la philosophie de positive de Schelling », in Bensussan, Hühn (éds.), L’ héritage de Schelling / Das Erbe Schellings, Alber, Freiburg/München 2016, pp. 41–52, ici : p. 44. 100 n’ est tout d’ abord et le plus souvent pas l’ objet d’ une réflexion. Tout ce qui appa- raît, apparaît pour moi et gagne sa validité de sens et d’ être à partir de mon penser qui est mon être. Or, cette tautologie entre être et penser (et du coup entre l’ étant et le pensé) restera encore en œuvre dans certaines formes de la pensée husserlienne, no- tamment à travers la théorie de l’ intentionnalité doxique et objectivante. Bien que Husserl nous mette en garde, par l’ introduction de la méthode de l’ épochè, de toute position d’ être immédiate, il ne s’agit par là que de décaler d’ un cran le problème, car, en dernière instance, uploads/Philosophie/i-fazakas-en-dec-a-du-cogito-interpret-10-1-0097.pdf

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