TEXTOS REVISADOS ******************* LES PERSONNES SELON SAINT BONAVENTURE Laur
TEXTOS REVISADOS ******************* LES PERSONNES SELON SAINT BONAVENTURE Laure Solignac RESUME DE L’ARTICLE Examinant la définition scolaire de la personne comme « substance individuée que distingue une propriété », Bonaventure montre sa pertinence en matière théologique, angélologique et anthropologique : il rappelle aux Latins que les personnes divines, pour désigner des relations, n’en sont pas moins des individus, et découvre, d’une manière toute franciscaine, dans la basse position de l’homme par rapport à l’ange la matière d’une éminente propriété qui le consacre comme personne spécifiquement humaine. MOTS CLEFS : ange – essence – homme – individu – noblesse – origine – personne – propriété – Trinité INTRODUCTION Le concept de personne a donné lieu à des développements d’une grande acuité au Moyen Âge. L’œuvre multiforme de Bonaventure en fournit un bon exemple : le Docteur séraphique a élaboré sa réflexion sur la personne dans trois contextes spéculatifs différents, multipliant ainsi les points de vue sur ce qui définit une personne comme telle : le contexte théologique, puisque la Trinité est une communion de trois personnes divines, le contexte angélologique et anthropologique, dans la mesure où la personne humaine et la personne angélique sont définies l’une par rapport à l’autre, à l’image des personnes divines, et enfin le contexte christologique, puisque le Christ est une personne possédant deux natures sans commune mesure. Ces trois contextes correspondent aux trois premiers livres du Commentaire des Sentences que Bonaventure a composé entre 1250 et 12521, et constituent le cadre conceptuel de trois ensembles problématiques différents et se nourrissant les uns des autres. Premièrement, bien que la doctrine trinitaire soit fixée depuis longtemps au moment où le Frère mineur prend la parole, la querelle avec les Grecs est toujours vive ; la préoccupation principale de Bonaventure n’est donc pas de répéter la doctrine trinitaire, mais de légitimer l’usage latin du mot persona et l’usage grec du mot hypostasis (qui se traduit littéralement par substance), ce qui lui permet d’opérer un dépassement de la prudente position augustinienne, selon laquelle nous disons « trois personnes » pour ne pas rester sans rien dire2. Deuxièmement, certaines créatures, à savoir les anges et les hommes, peuvent être appelées « personnes » ; mais la doctrine, notamment au sujet du statut et de l’individualité des anges, n’est pas encore fixée3, et ce qui confère à chacun, homme ou ange, sa dignité propre, n’apparaît pas clairement ; or sur ce point, l’apport de Bonaventure s’avère aussi minutieux que considérable et aboutit à la proclamation sans réserve de la pleine égalité, bien que différenciée, de l’homme et de l’ange. La christologie n’a alors plus qu’à recueillir4 les déterminations obtenues dans les deux livres précédents, qui permettent à Bonaventure de réaffirmer la distinction de la personne et de sa nature ; en effet, il s’agit de montrer que si 1 L’examen du concept de personne en théologie a lieu aux distinctions 23, 25 et 34 du premier livre. L’étude de la personalitas humaine et angélique se trouve dans le deuxième livre, distinctions 1, 3, 16, 17 et 18. Enfin, la personne du Christ fait l’objet de toute la première partie du livre III, en particulier, pour ce qui concerne le concept même de personne, dans les distinctions 5 à 10. 2 Voir par exemple De Trinitate, VII, 4, 7 : « pour parler de l’ineffable, il faut bien dire comme on peut ce qu’on ne peut expliquer » (traduit par M. MELLET et Th. CAMELOT, Institut d’études augustiniennes, « Bibliothèque augustinienne », 15, p. 527). 3 Il faudra attendre les condamnations de 1277 pour qu’une position officielle et donc contraignante apparaisse au sujet de l’individualité des anges. Voir Roland HISSETTE, Enquête sur les 219 articles condamnés à Paris, le 7 mars 1277, Louvain, Publications universitaires, « Philosophes médiévaux » n°22, 1977, en particulier les articles 42 et 43, p. 82-83, ainsi que les articles 83 et 84, p. 147-148. 4 Il est admis que Bonaventure a « lu » le troisième livre des Sentences de Pierre Lombard en dernier lieu : Ignatius BRADY, « The Edition of the Opera omnia of St. Bonaventure », Il Collegio S. Bonaventura di Quaracchi, Grottaferrata, 1977, p. 133-134. une personne a nécessairement une nature, en revanche elle n’a pas nécessairement une nature5. Dans tous les cas, le problème de la persona est essentiellement, aux yeux du Docteur séraphique, celui de l’égalité différenciée : comment les personnes divines peuvent-elles être d’égale dignité sans être identiques ? De même, comment concilier le fait que l’ange et l’homme soient tous deux immédiatement ordonnés à Dieu (égalité), avec la structure hiérarchique du monde (différence), qui semble impliquer la supériorité de l’ange ? Enfin, comment le Christ lui-même peut-il être également homme et Dieu, sans qu’une nature l’emporte sur l’autre ? Le risque encouru est double : à la négation des différences et de l’ordre hiérarchique en faveur de l’égalité et finalement de la dissolution des personnes dans les natures répond la promotion exclusive de la différence qui abolit l’unité : unité de Dieu, unité du monde dont les hommes et les anges sont la tête, et unité du Christ. Dépassant l’attitude d’équilibriste brillant dont il aurait pu se contenter pour traiter ce problème, Bonaventure séduit ici par la force, la clarté et la rigueur de ses propositions. I. LES PERSONNES DIVINES 1. Reprise bonaventurienne des traditions grecque et latine Il n’est pas inutile de rappeler le contexte dans lequel apparaissent les questions relatives au nom de « personne ». Les dix-huit premières « distinctions » du premier livre du Commentaire des Sentences sont consacrées aux processions divines, c'est-à-dire à l'engendrement éternel du Fils par le Père et à la spiration du Saint Esprit par le Père et le Fils. Ensuite, à partir de la distinction 19 et jusqu'à la distinction 34, Bonaventure opère une révision systématique de tous les concepts théologiques, dont celui de personne : il s’agit de déterminer l'usage légitime du concept de personne au sujet de Dieu. Cette reprise constitue 5 Il ne sera pas ici directement question du Christ, dont la personne mériterait une étude à part entière. l’intérêt majeur de la distinction 25, article 1 ; dans la deuxième question, en particulier, Bonaventure rapporte plusieurs définitions du mot «personne»: Il faut dire que Boèce définit la personne de cette manière : La personne est une substance individuée de nature rationnelle (rationalis naturae individua substantia), tandis que Richard la définit ainsi : La personne est une existence incommunicable de nature intellectuelle (intellectualis naturae incommunicabilis existentia). Celui-ci la définit encore d'une autre façon : La personne est ce qui existe par soi seul, selon un certain mode singulier d'existence rationnelle (existens per se solum iuxta singularem quemdam rationalis existentiae modum), tandis que les maîtres la définissent ainsi : La personne est une hypostase que distingue une propriété qui a trait à la noblesse (hypostasis distincta proprietate ad nobilitatem pertinente)6. Dans tous les cas, la définition se compose de deux éléments principaux : la notion de suppôt et l’idée d’une nature supérieure. Mais les formulations demeurent assez différentes, puisque le suppôt est appelé « substance individuée » (Boèce), « existence incommunicable » (Richard), « ce qui existe par soi seul selon un certain mode singulier » (Richard) et « hypostase » (les maîtres) ; quant à la notion de nature supérieure, elle est décrite comme « rationnelle » (Boèce), « intellectuelle » ou « rationnelle » (Richard), puis non plus comme une nature, mais comme une « propriété qui a trait à la noblesse », ce qui est beaucoup plus général, et l’on verra Bonaventure s’engouffrer dans cette brèche qui laisse penser que la nature rationnelle n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus excellent. Ces différentes définitions du concept de personne sont donc très proches, mais laissent transparaître une diversité 6 Commentaire des Sentences I (I Sent.), d. 25, a. 1, q. 2, resp. ad arg. 4 (I, 441) (traduction modifiée) ; traduction française partielle par Marc OZILOU, Les Sentences. Questions sur Dieu, Paris, PUF (« Épiméthée »), 2002. La définition de Boèce se trouve dans La Personne et les deux natures du Christ, II (PL, 64, col. 1342) ; les deux définitions du Victorin proviennent de son De Trinitate, IV, 22-23 et 24 (PL, 196, col. 945 ; SC, 63, 281). Quant à la définition des « maîtres », elle provient de Pierre Lombard, au chapitre 3 de la même distinction ; en revanche, on n’en trouve pas trace dans la Glossa d’Alexandre de Halès, maître de Bonaventure, bien que l’emploi du mot hypostase soit fréquent chez le maître de l’École des mineurs. Quoiqu’il en soit, ce qui importe est la volonté bonaventurienne de montrer qu’il existe un consensus au sujet du concept de personne, puisqu’il en existe une définition scolaire. lexicale difficile à démêler. En outre, Boèce et les maîtres définissent la personne en tant qu'elle concerne à la fois Dieu et les créatures, précise ensuite Bonaventure7, alors que celles de Richard se rapportent exclusivement à Dieu. Pour sa part, le Docteur séraphique se sert uploads/Philosophie/ articulos-unificado.pdf
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- Publié le Mai 14, 2022
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