SUR LA NAISSANCE DE LA DOCTRINE PSEUDO-ARISTOTÉLICIENNE DE L'ANALOGIE DE L'ÊTRE
SUR LA NAISSANCE DE LA DOCTRINE PSEUDO-ARISTOTÉLICIENNE DE L'ANALOGIE DE L'ÊTRE Author(s): Pierre Aubenque Source: Les Études philosophiques, No. 3/4, L'ANALOGIE (JUILLET-DÉCEMBRE 1989), pp. 291-304 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41581840 Accessed: 06-04-2016 21:23 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Les Études philosophiques This content downloaded from 132.204.3.57 on Wed, 06 Apr 2016 21:23:42 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms SUR LA NAISSANCE DE LA DOCTRINE PSEUDO-ARISTOTÉLICIENNE DE L'ANALOGIE DE L'ÊTRE* A la mémoire de Paul Moraux L'aristotélisme a connu à travers le commentarisme antique une transformation qui, pour n'avoir pas été immédiatement remarquée ni même être toujours reconnue aujourd'hui, n'en a pas moins été décisive pour son destin ultérieur. Les grands commentateurs de la fin de l'Antiquité étaient, on le sait, des néo-platoniciens. A partir de Porphyre, ils n'ont eu de cesse de manifester ce qu'ils croyaient être l'harmonie profonde - la « symphonie », dira Simplicius1 - qui fait consonner entre elles les pensées de Platon et d'Aristote. Il ne faut donc pas s'étonner si leur tentative a produit, entre autres conséquences, une platonisation ou même, en un sens, une replatonisation de l'aris- totélisme, qu'il est difficile, aujourd'hui encore, de dissocier de l'héri- tage authentique du Stagirite. A la vulgate aristotélicienne, qui s'est transmise jusqu'à nos jours et se transmet encore ici ou là par le canal de la tradition scolaire domi- * Traduction ďune conférence prononcée le 13 janvier 1984 à la Freie Universität de Berlin-Ouest à l'occasion du 65 e anniversaire du Pr Paul Moraux, directeur de l'Aris- toteles-Archiv. Le texte allemand a paru sous le titre « Zur Entstehung der pseudo-aristo- telischen Lehre von der Analogie des Seins >> dans les Mélanges offerts à Paul Moraux, Aristoteles ' Werk und Wirkung, , Berlin-New York, de Gruyter, 1987, vol. II, p. 233-248. - Ce texte reprend les conclusions d'analyses proposées dans des études antérieures : Les origines de l'analogie de l'être. Sur l'histoire d'un contresens, Etudes philosophiques , 1978, p. 3-12; Néo-platonisme et analogie de l'être, in Néo-platonisme. Mélanges offerts à Jean Trouillard, Fontenay-aux-Roses, 1981 {Cahiers de Fontenay, n° 17-22), p. 63-76; Plotin et Dexippe, exégètes des Catégories d'Aristote, in Aristotelica. Mélanges offerts à Marcel de Corte, Bruxelles-Liège, 1985, p. 7-40. Je voudrais dire aussi ma dette à l'égard de la thèse de doctorat d'Etat, encore inédite, de Jean-François Courtine, « Ontothéologique et topique de l'analogie. Le tournant suarézien. Etude sur la formation du système de la métaphysique scolaire » (thèse Paris IV, 1987). i. Simplicius, In Categ., 7, 29-32. - Les citations des commentateurs grecs renvoient toutes à l'édition des Commentarla in Aristotelem graeca de l'Académie de Berlin. Les Etudes philosophiques , n° 3-4/1989 This content downloaded from 132.204.3.57 on Wed, 06 Apr 2016 21:23:42 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 292 Pierre Aubenque nante2, appartient sans conteste une prétendue doctrine de l'analogie de l'être que l'on fait gloire à Aristote d'avoir inventée. Je voudrais montrer ici comment et dans quelles circonstances cette fausse attri- bution s'est peu à peu constituée. Si la doctrine de l'analogie de l'être a occupé une place importante dans l'histoire de la métaphysique, ce ne fut pas chez Aristote, mais au Moyen Age, en particulier chez Thomas d'Aquin. La formulation et la justification la plus claire de cette doctrine sous sa forme thomiste se rencontrent aux chapitres 4 et 5 du petit traité de jeunesse De ente et essentia , même si le terme analogia ne s'y trouve pas employé. Dieu est être, être pur, esse tantum , esse purum , ipsum esse per se subsistem. Les autres étants, c'est-à-dire les créatures, diffèrent de Dieu en ce qu'ils ne sont pas leur propre être, ils ont l'être, habent esse , ce qui veut dire qu'ils reçoivent leur être d'un autre, à savoir de Dieu. Mais cette réception de l'être par les créatures et la donation corrélative de l'être par Dieu n'adviennent pas de façon arbitraire (ce refus de l'arbitraire est l'une des caractéristiques de la doctrine thomiste) : chaque étant reçoit l'être à raison de son essence, c'est-à-dire dans la mesure et selon le degré appropriés à son essence; ou encore, en termes platoniciens : chaque étant participe à l'être selon le mode que son essence autorise; plus parfaite est l'essence de l'étanfr considéré, plus haute est sa participation à l'être. L'analogie de l'être signifie donc : répartition proportionnelle de l'être (esse) entre les étants (en tia) selon le degré de perfection de leur essence (essentia). Cette forme de l'analogie, qui est à mon avis la forme authentique de l'analogie dans la mesure où elle seule reste fidèle à la signification du mot grec, correspond à ce que les commen- tateurs de saint Thomas comme Cajetan appelleront analogia propor - tionalitatisy « analogie de proportionnalité ». Mais il y a une autre forme de ce que l'on a appelé au Moyen Age « analogie » : c'est celle que saint Thomas appelle analogia proportionis et ses commentateurs analoga attributions , désignations à propos des- quelles il faut garder à l'esprit que « proportio », dans le latin médiéval, ne signifie pas ce que nous appelons aujourd'hui « proportion », c'est-à- dire l'égalité de deux rapports, mais signifie simplement « rapport », et que, d'autre part, dans l'expression « analogia attributions », « attributio » vient de la traduction erronée de termes arabes qui signifient également « rapport ». La prétendue analogia attributionis veut signifier que tous les étants, en dépit de leurs différences et même de leur hétérogénéité, 2. Qu'il suffise de citer les notes de la traduction J. Tricot de la Métaphysique (par ex., la note de la p. 17 6 de la nouvelle éd. à propos du début de T, 2 : la note introduit la notion d'analogie pour commenter un texte où il n'en est nullement question) ou encore le com- mentaire de H. Seidl à l'édition avec traduction allemande de la Métaphysique dans la « Phi- losophische Bibliothek », Hambourg, F. Meiner, 1978. - Pour des raisons historiques qu'il serait intéressant d'analyser, les interprètes anglo-saxons du siècle dernier et de ce siècle se montrent infiniment plus prudents sur ce point, jusque dans leur terminologie. This content downloaded from 132.204.3.57 on Wed, 06 Apr 2016 21:23:42 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Sur la naissance de la doctrine pseudo-aristotélicienne 293 ont quelque chose de commun, à savoir qu'ils se rapportent tous à un principe unique, dont ils dépendent. Mais, comme chaque étant diffère de chaque autre, il est clair que la façon dont chaque étant se rapporte au principe premier est à chaque fois différente. En termes mathéma- tiques : nous nous trouvons devant un ensemble de rapports qui ont tous le même dénominateur, mais ont à chaque fois un numérateur différent : a/p, b¡p , cjp , etc. Y! analogia proportionis ne permet donc en aucun cas de parler de proportionnalité (« proportion » au sens moderne), c'est-à-dire de l'égalité die plusieurs rapports. * * * Qu'en est-il chez Aristote lui-même ? Que l'on ne puisse retraduire en grec sous la forme d'une ávocXoyía tou Ôvtoç V analogìa entis des sco- lastiques, c'est ce qu'admettent ceux-là mêmes des interprètes d'Aristote qui continuent de soutenir que tous les éléments d'une doctrine de l'analogie de l'être se rencontrent chez Aristote selon l'esprit3. Ce qui est sûr en tout cas, c'est qu'elle ne s'y trouve pas selon la lettre. Or, comme il disposait des concepts nécessaires à l'élaboration d'une telle doctrine, on est contraint d'admettre que, si Aristote n'a pas parlé d'analogie à propos de l'être, c'est qu'il ne voulait pas en parler. Aristote connaît le concept d'àvaXoyia, qui joue un rôle méthodo- logique important, notamment dans ses œuvres biologiques. Ce concept est emprunté aux mathématiques et il conserve sa structure mathéma- tique dans tous ses champs d'application. La première utilisation méta- phorique du concept d'analogie dans un contexte philosophique remonte à Platon. Dans le passage célèbre qui clôt le livre VI de la République (509 d)9 où Platon illustre la division de la connaissance à l'aide de l'exemple géométrique de la division d'une ligne (plus exactement, d'un segment), il est dit qu'une ligne déterminée doit être d'abord divisée en deux parties selon un rapport déterminé, par exemple un à trois, puis chacune de ces parties en deux sous-parties « selon le même rapport », ávà tòv ocutov Xoyov, ce qui donne naissance à une analogia , à laquelle Platon accorde une profonde signification symbolique. D'un point de vue formel, le fonctionnement de ce concept chez Aristote reste le même que chez Platon, quel que soit son domaine uploads/Philosophie/ aubenque-sur-la-naissance-de-la-doctrine-pseudo-aristotelicienne-de-l-x27-analogie-de-l-x27-etre.pdf
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- Publié le Apv 04, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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