Michel Ghins Bas van Fraassen: les lois et la symétrie In: Revue Philosophique

Michel Ghins Bas van Fraassen: les lois et la symétrie In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 95, N°4, 1997. pp. 738-754. Citer ce document / Cite this document : Ghins Michel. Bas van Fraassen: les lois et la symétrie. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 95, N°4, 1997. pp. 738-754. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1997_num_95_4_7062 Bas van Fraassen: les lois et la symétrie* Comme Bas van Fraassen le dit lui-même, Lois et symétrie poursuit un triple objectif. «Le premier consiste à montrer que les tentatives de fonder philosophiquement la notion de loi de la nature se sont soldées par un échec. Le second est de mettre à mal les principes épistémolo- giques invoqués dans les arguments en faveur de la réalité des lois de la nature. Le troisième objectif, le plus cher à mon cœur, est de faire œuvre constructive et de contribuer à une épistémologie et une philosophie antithétique à toute notion métaphysique, comme celle de loi de la nature»1. D'emblée, van Fraassen, en tant que philosophe des sciences, revendique son appartenance à une tradition philosophique empiriste, nominaliste et opposée à la métaphysique. Mais, contrairement à ce que pourrait faire croire une lecture superficielle, van Fraassen ne s'inscrit pas en faux contre la possibilité de toute démarche métaphysique, mais seulement de certaines d'entre elles. Il écrit dans sa Préface: «Je n'ai pas de goût pour la métaphysique, quoique ce manque de sympathie ne s'adresse pas à la métaphysique en général, mais seulement à la méta physique pré-kantienne — et de plus seulement quand cette dernière est pratiquée après Kant. Mais je me suis efforcé de faire en sorte qu'aucun de mes arguments ne dépende de mon sentiment sur ce point» (p. 64). Il s'agit alors d'élaborer une philosophie des sciences qui soit totalement indépendante d'une ontologie ou d'une métaphysique, au sens tradition nel du terme.Ici van Fraassen suit la tendance contemporaine dominante qui tient la science et la métaphysique pour des domaines séparés. Il semble en effet difficile aujourd'hui de fonder la science sur la méta physique (comme le pensait Descartes) ou de tirer une métaphysique de la science (comme le pensaient certains matérialistes et scientistes). Dans la première partie du livre, Bas van Fraassen s'attaque aux conceptions contemporaines de la notion de loi de la nature qui font pré cisément appel à des notions métaphysiques et qui sont défendues par, entre autres, Lewis, Armstrong, Dretske et Tooley. van Fraassen passe d'abord en revue une douzaine de critères qui ont été traditionnellement utilisés pour caractériser les lois de la nature. Parmi ceux-ci, cinq sont particulièrement importants: «II s'agit de ceux qui ont trait à la nécessité, * Bas van Fraassen, Lois et symétrie. Traduction et présentation de Laws and Sym metry (Oxford University Press, 1989) par Catherine Chevalley. Un vol. 22 x 14 de 520 pp. Paris, Vrin, 1994. Prix: 245 FF. Tim Budden et Bas van Fraassen m'ont apporté de précieux éclaircissements pour la rédaction de ce texte: je voudrais les en remercier vive ment. 1 «Précis of Laws and Symmetry» in Philosophy and Phenomenological Research, Vol. LIII, 2, June 1993, p. 411. Bas van Fraassen: les lois et la symétrie 739 l'universalité et l'objectivité (indépendance par rapport au contexte), et de ceux qui requièrent l'existence d'une relation significative entre loi et explication et entre loi et science» (p. 1 14). Toute conception adéquate des lois de la nature ne doit pas obligatoirement satisfaire à tous les cri tères mais devra fonctionner comme un concept-faisceau {cluster- concept, une notion introduite par Wittgenstein): «(...) tout exposé de la notion de loi devra se conformer au faisceau de ces critères pris comme une totalité» (p. 98). van Fraassen fait ensuite remarquer que toute théor ie philosophique sur ce qu'est une loi de la nature doit être susceptible de résoudre deux problèmes, le problème de V inference et celui de l'iden tification (p. 1 14-5). Tout d'abord, en vertu de la signification même de la notion de loi, on doit satisfaire à Y inference «Si l'énoncé A est une loi de la nature, alors A est vrai» (nécessité de la conséquence). En second lieu, comme tous les énoncés vrais ne sont pas des lois de la nature, on doit pouvoir identifier le fondement des caractéristiques spécifiques qui confèrent à un énoncé vrai le statut de loi. Par exemple, si une loi est définie comme une vérité nécessaire (ce qui résout immédiatement le problème de 1' inference), il faut identifier le type de fait concernant le monde susceptible de fonder cette nécessité. Or, la solution d'un des pro blèmes entraîne de sérieuses difficultés pour la solution de l'autre. Examinons de plus près la conception de David Lewis qui est celle qui «sacrifie le moins à la métaphysique» (p. 116) et se rapproche le plus de la conception empiriste selon laquelle les lois ne sont rien d'autre que de simples régularités phénoménales auxquelles il est vain de vouloir trouver un quelconque fondement métaphysique. On sait que Lewis ne pèche pas par excès de tempérance ontologique puisqu'il pose l'existence de la totalité des mondes possibles. Mais il n'est pas indi spensable de postuler ici leur existence: il suffit d'entendre par «monde» un «modèle de notre langage» (p. 122). Le seul ingrédient métaphysique auquel Lewis «sacrifie» dans sa conception des lois est l'«anti-nomina- lisme» (p. 121). Pour Lewis, les lois sont des énoncés «qui décrivent les régularités communes à toutes les théories vraies» et qui «réalisent une combinai son optimale de simplicité et de force», la force étant entendue comme «contenu informatif» (p. 118). Lewis résout ainsi, trivialement, le pro blème de l'inférence. Mais «il existe d'innombrables théories vraies (ensembles déductivement clos d'énoncés vrais)». Comme les théories sont définies comme des ensembles d'énoncés — remarquons qu'il ne s'agit pas nécessairement de théories scientifiques — , la simplicité d'un énoncé sera relative au type de langage utilisé. Pour que le critère de légalité soit applicable il faut spécifier le type de langage «correct» et les prédicats admissibles dans celui-ci. Selon Lewis le langage correct 740 Michel Ghins est extensionnel et ne peut contenir comme prédicats primitifs que des prédicats se référant à des classes naturelles et réelles; les autres prédi cats sont introduits par définition. Le critère de simplicité n'est appliqué qu'aux seuls énoncés formulés à l'aide des prédicats primitifs. On retrouve ici la distinction entre les classifications réelles ou naturelles et les classifications purement verbales ou nominales, qui sépare les réa listes du Moyen-Age tardif des nominalistes (p. 120). C'est grâce à ce recours à une forme (minimale) d'antinominalisme que la conception de Lewis permet d'apporter une solution au problème de l'identification. Pour Lewis, si A est une loi, alors A est une vérité nécessaire (la proposition «II est nécessaire que A» est également vraie), c'est-à-dire vraie dans tous les mondes (modèles sémantiques) physiquement pos sibles, van Fraassen examine la manière dont Lewis définit la possibilité (physique) à partir de sa notion de loi et conclut que la nécessité phy sique ne suit pas de 1' «équilibre optimal entre la simplicité et la force». Et si l'on abandonne l'exigence que les lois soient des vérités nécess aires, la conception de Lewis perd beaucoup de son intérêt, et ce d'autant plus que Lewis ne demande pas que les lois soient des vérités universelles. Voyons à présent si les lois, au sens où Lewis les entend, permett ent d'expliquer les phénomènes. Tout dépend, bien évidemment, de ce que l'on entend par «explication». Pour van Fraassen, comme il l'expose dans The Scientific Image2, une explication dépend du contexte, des questions auxquelles nous souhaitons apporter une réponse en fonc tion de nos intérêts du moment. Une explication satisfaisante est une réponse correcte à une question «Pourquoi ...?». Rien ne garantit dans ces conditions que 1' «équilibre optimal de simplicité et de force» aille toujours de pair avec le pouvoir explicatif souhaité dans un certain contexte. Il peut se faire que, selon la situation, nous soyons prêts à tem pérer nos exigences de simplicité au profit de davantage de contenu informatif. De plus, nous pourrions demander, dans certains cas, que d'autres facteurs que la simplicité et la force soient pris en considération. La critique de van Fraassen découle, sur cette question comme bien d'autres, d'un pragmatisme sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Les lois sont-elles ce que la science se donne pour but de découv rir? C'est ce que pense Lewis. Mais a-t-on des raisons de croire que les catégories fondamentales de la science correspondent aux classes natu relles (natural kinds)! van Fraassen répond par la négative. Son argu mentation passe par deux objections à l'antinominalisme qui, on l'a vu, permettait à Lewis de résoudre le problème de l'identification. En pre mier lieu, van Fraassen note que la capacité de distinguer les couleurs 2 Oxford University Press. 1980. Bas van Fraassen: les lois et la symétrie 741 (des qualités — secondes — qui n'ont depuis longtemps qu'un statut de second rang en sciences), est bien plus utile à notre survie que bon nombre de distinctions scientifiques. Dans ces conditions uploads/Philosophie/ bas-van-fraassen-les-lois-et-la-symetrie.pdf

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