1 Jacques Bidet, août 2005 La dialectique du Capital Critique et reconstruction
1 Jacques Bidet, août 2005 La dialectique du Capital Critique et reconstruction méta/structurelle Colloque « La dialectique aujourd’hui », organisé par Lucien Sève et Bertell Ollman, 28-29 septembre 2005, Espaces Marx, PARIS Dans Que faire du Capital ?, j’ai avancé, que la dialectique hégélienne avait constitué, pour Marx, tout à la fois un appui et un obstacle dans la production de sa théorie. Et que la « rupture épistémologique » à considérer n'était pas tant celle qui distingue le Marx de la maturité du jeune Marx, que celle qui sépare les Grundrisse du Capital. Dans sa première esquisse, Marx travaille systématiquement à l’aide de la logique hégélienne. Dans son œuvre publiée, il s'affranchit progressivement de son support formel, l'exposé théorique imposant sa logique propre, fondée sur une nouvelle conceptualité, à laquelle certains instruments dialectiques s'avèrent inadéquats. La « supériorité dialectique » des Grundrisse sur Le Capital ne lui confère donc aucune supériorité théorique. Elle n'autorise pas à recourir à la « logique » du premier exposé pour l'interprétation du second. Il convient plutôt de résister à sa fascination, et de prendre toute la mesure des progrès théoriques qui se manifestent d'une version à l'autre, de la toute première esquisse jusqu'à la toute dernière version, française, du Capital. Progrès qui ne relèvent pas du détail, mais du principe. Dans Théorie générale, j’ai esquissé une théorie de la forme moderne de société, qui reprend l'héritage marxien avec le souci de répondre aux exigences respectives de Hegel et de Spinoza, auxquelles se réfèrent contradictoirement les deux principaux courants qui se disputent aujourd'hui l'interprétation philosophique du marxisme. Dans mon livre récent, Explication et reconstruction du Capital, je me suis proposé, à partir de là, la tâche de revenir sur Le Capital, mais avec un objectif d'une autre nature1. Il ne s'agit plus d'examiner l'usage que Marx fait 1. Ces trois ouvrages (désormais désignés comme QFC, TG et ERC) forment la trilogie de « Refondation du marxisme ». Dans Théorie générale, je présente déjà quelques éléments 2 de la dialectique : il s'agit de corriger et de reconstruire sa théorie sur une base plus large, plus rigoureuse et plus réaliste. Mais, pour ce faire, une reprise et une refonte de l'élaboration dialectique s'est avérée nécessaire. Celle-ci, cependant, n'ayant pas été argumentée pour elle-même, risque de donner lieu à de sérieux malentendus. Je me propose donc ici de la reprendre dans son ensemble, en posant explicitement la question de la dialectique dans le matérialisme historique, dans sa double référence à Hegel et à Spinoza. Je procéderai en trois temps. (1) Il s'agira d'abord d'analyser comment Marx, dans Le Capital, sous une contrainte théorique décisive, se détache de la présentation dialectique qui était la sienne dans les Grundrisse, sans être cependant en mesure d'en tirer toutes les conclusions qui s'imposent. (2) Je montrerai ensuite de quelle façon le travail dialectique doit être repris sur une base nouvelle en vue d'une reconstruction de la théorie de Marx, selon une conceptualité adéquate à la complexité propre à la modernité. (3) Enfin, j'en viendrai aux limites de la dialectique, qui tiennent au fait que l'homme est un être de la nature, laquelle ne connaît aucune dialectique. Il s'agira de manifester comment cette condition naturelle de l'humanité se réfracte dans les conditions de l’être social, et en l'occurrence dans la théorie de la forme moderne de société. L'enjeu de cette investigation est la signification de la théorie initiée par Marx, et sa pertinence, c'est-à-dire aussi les transformations qu'elle appelle si l'on veut, sur les divers terrains (économiques, sociologiques, historiques, politiques, philosophiques), en faire un usage opératoire et légitime2. du programme dialectique qui sera mis à l'épreuve dans la seconde partie de Explication et reconstruction du Capital. La présente contribution s'inscrit dans un ensemble de travaux, donnés ci-dessous en bibliographie, qui constituent la poursuite du même programme dans diverses directions, fournissant la matière pour un quatrième volume, qui s’intitulera Pourquoi la révolution ne meurt pas. 2. La théorie dialectique « méta/structurelle » que je propose n'est donc pas à comprendre comme un travail d'exégèse ni d'interprétation de la théorie de Marx, mais comme la proposition d'une théorie ultérieure, dont l'essentiel demeure le puissant noyau marxien, 3 I. La dialectique comme appui et comme obstacle épistémologique J'envisagerai ici tour à tour les Grundrisse et Le Capital. Je considérerai chaque fois successivement deux moments de l'exposé : d'une part, son commencement, ou premier moment, qui concerne « l'argent » ou « la marchandise », et d'autre part le passage de ce premier moment au second, désigné comme « le capital » proprement dit. La perspective des Grundrisse Le premier moment : l’argent ou la circulation simple Dans ce manuscrit, la future Section I du Capital s'intitule le « Chapitre de l'argent ». Le développement dialectique se fonde sur l'hypothèse selon laquelle il faut commencer l'exposé de la théorie du capitalisme par ce qui se donne à la surface, à savoir la « circulation simple », c'est-à-dire l'ensemble du système des échanges entre équivalents. Il s'agit alors pour Marx d'argumenter contre l'idée que la richesse des nations se produirait à travers mais qui vise à corriger ses erreurs et à l'inscrire dans un cadre plus réaliste et plus général. La pertinence d'une « théorie générale » se vérifie à sa capacité d'intervention dans les diverses disciplines, à partir d'un corps conceptuel minimal. J'ai ainsi été conduit à formuler à partir de la théorie méta/structurelle un ensemble d'hypothèses (dialectiques) dans divers domaines théoriques particuliers. Économie : théorie de la valeur (Bidet 2003a, 2003b), théorie du marché (2003c), théorie de la production (2006a). Sociologie : théorie des classes sociales dans le capitalisme (2003f, 2004f). Théorie politique : interprétation du « collectivisme » (1997b), système moderne des partis (2002a) et hégémonie (2000a, 2000b), mondialisation, impérialisme et « empire » (2004a, 2004b, 2004c) et concept d'État-monde (2005e, 2004c), concept de révolution (2003b). Histoire : concept de modernité (2003e), Philosophie politique : théorie de la justice (2000e), de l’égalité (1998a, 1995b). L'approche méta/structurelle m'a également conduit à plusieurs propositions de réinterprétation de certaines problématiques contemporaines en sciences sociale : Habermas (2006d), Bourdieu (2006c), Rawls (1995a) et Foucault (ERC 285-287), notamment. Et à discuter diverses interprétations du Capital : Kôzô Uno (2006b), marxisme dialectisant (1985a, 1989, 1990a, 2005a), analytique (2006f), approche « francfortoise » (2004d), Hardt et Negri (2005b). Elle a naturellement été le fil conducteur de mon travail à la direction de la revue Actuel Marx (2005d). 4 le processus des échanges. Ce premier « chapitre », qui couvre la moitié du manuscrit, en prépare effectivement un second, le « Chapitre du capital », qui montrera que cette richesse accumulée est le fruit de l'exploitation du travail salarié. Ce second « chapitre » aura donc pour objet la production capitaliste. Le passage au second moment : de la circulation simple à la production capitaliste Dans cette première ébauche, Marx recherche de diverses façons (et toujours en vain, QFK pp. 126-131), le moyen de passer dialectiquement du premier au second moment, c'est-à-dire, dans le cadre de l'hypothèse théorique qui est alors la sienne, de passer « de l'argent au capital », soit de la « circulation simple » (relation d'échange généralisé, dont l'argent est l'agent universel) au rapport de « production capitaliste ». Le passage dialectique est ici attendu d'un développement du concept d'argent à partir de ses insuffisances intrinsèques. Il doit manifester que l'argent n'a sa vérité que dans un contexte conceptuel plus vaste, celui du capital. Bref, il s'agit de montrer que l'argent appelle logiquement le capital. La perspective du Capital Le premier moment : la marchandise, ou la production-circulation marchande selon son concept Ce qui semble avoir échappé à l'exégèse des philosophes, c'est que, dans Le Capital, le contexte théorique se trouve profondément modifié par le fait que l'objet de ce premier moment de l'exposé n'est plus la circulation (simple), mais la logique de la production marchande en général. Par là, on le verra, il faut comprendre non pas la production marchande simple, précapitaliste, mais tout au contraire, la production marchande selon son concept (QFC 126-142, ERC 45-49, 51-55). Marx, en introduisant un tel concept − que la tradition ultérieure, du moins la tradition philosophique, n'a jamais considéré −, se trouve confronté à des problèmes redoutables. Ceux- ci dépassent des questions qu'il avait en tête au départ (et qui nourrissent son projet de « critique de l'économie politique ») : il s'agit de nouveaux problèmes que son investigation fait surgir. S'il les a « vus sans les voir », 5 comme il le disait pour sa part des découvertes des économistes classiques, c'est qu'il en va ainsi généralement des grandes innovations théoriques qui ne portent pas sur leur front toutes les conséquences qui doivent en être tirées. Ces avancées, pourtant, se trouvent inscrites dans ses nouvelles élaborations textuelles. Et elles formulent des problèmes qui sont toujours les nôtres aujourd'hui, parce que ce sont les problèmes structurels cruciaux du capitalisme : il s'agit de savoir en définitive ce qu'il en est du rapport entre le marché, comme « rapport uploads/Philosophie/ bidet-2005-dialectique-du-capital-espmx-pdf.pdf
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- Publié le Jui 18, 2022
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