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1 La TGR de Raymond Boudon et la Phénoménologie Sociale d’Alfred Schutz, vers un modèle intégré du concept de Rationalité Federico Bietti IDHES/ENS de CACHAN/UNIVERSITE PARIS SACLAY La théorie de la rationalité de Boudon ou la théorie générale de la rationalité. Toute action représente une unité de sens (noétique-noématique, en termes phénoménologiques) dont on peut reconstruire les motifs qui lui donnent son sens. La compréhension, verstehen, en tant que méthode propre à la sociologie, s'adresse au centre de cette unité-ci. A travers la compréhension –comme méthode guidant la réflexion sociologique-, combinée avec l'idée de Merleau-Ponty sur l’herméneutique dans le travail sociologique et avec la méthode herméneutique approfondie-développée par Gadamer (sans doute d'inspiration wittgensteinienne), on peut lier, d’abord, les travaux de Boudon et de Schutz. Ainsi, la science des conduites sociales, selon Boudon et sa réflexion fondée sur les travaux des sociologues classiques et contemporains, a pour but d’expliquer un comportement, une action, ou une croyance individuelle à partir de la reconstruction des raisons qui en rendent compte dans l'esprit de l'individu. Mais, ces raisons ne sont pas sui generis. Elles sont le produit émergent de contextes particuliers et situations biographiquement déterminées (Boudon, 2011 ; Schutz, 1962). Alors, expliquer une action, signifie retrouver les raisons des individus idéal-typiques qui composent le groupe d’appartenance, ou le contexte d’émergence, des sujets qui agissent. La sociologie qui vise à comprendre un phénomène social, une action ou croyance, autrement dit, qui vise à retrouver leurs causes, doit donc tourner son regard là où elles se trouvent, dans les actions individuelles qui les produisent. Le travail sociologique consiste donc en expliquant ces actions individuelles à retrouver leurs causes. Cette idée nous conduit à un autre principe épistémologique qui régit la recherche en sociologie : celui qui soutient que l’action humaine est rationnelle. Le principe de rationalité de l’action veut dire qu’il faut chercher les causes des actions du côté des raisons dans l’esprit des individus (Boudon, 2007, 2009, 2011). Alors, nous allons essayer de suivre l'argumentation de Raymond Boudon autour du concept de rationalité, en respectant ses élaborations et les chemins de sa pensée. Nous allons être fidèles aux termes qu’il introduit et à son organisation au sein de sa théorie. Finalement, et pour vraiment enrichir la discussion autour du problème de la rationalité, nous allons poser quelques questions à la théorie en essayant d’y répondre depuis la théorie même. Mais comme il n’est 2 pas possible d’arriver à une réponse claire et distincte à partir de ses seuls postulats, nous allons faire appel à d'autres théories, notamment, à la phénoménologie constitutive de l'attitude naturelle pour complémenter la perspective boudonienne de la rationalité. L'insuffisance de la théorie utilitariste de la rationalité Pour élaborer sa propre théorie de la rationalité Boudon nous présente un compte-rendu de perspectives contemporaines qui portent sur le problème en question. Nous pouvons avancer une première conclusion: Boudon en faisant ce compte-rendu des théories de la rationalité constate l’insuffisance des différentes perspectives et la nécessité de fonder un point de vue qui prenne en charge toutes les dimensions que le concept entraîne. Cela veut dire qu’à partir de son analyse de l’état de l’art du concept il essaye de développer une perspective qui fonctionne comme une théorie générale. Une théorie qui servirait de base pour toute analyse qui se veut sociologique. Une théorie de la rationalité, de caractère général, est un enjeu central pour la sociologie et les sciences sociales dans un large sens. Compter sur une théorie pareille va nous permettre d’attaquer le cœur de la relation entre la logique des comportements individuels ou « micro » et les effets de structure ou « macro » qu’elle produit. Une théorie générale de la rationalité pour l’analyse des phénomènes sociaux (TGR), en suivant Boudon, représente ce que la grammaire est à la linguistique (Boudon, 2007). La première théorie sur laquelle Boudon pose son regard (et dont la critique qu’il en fera sera au fondement de son point de vue), est la théorie du choix rationnel (TCR). Il est intéressant, pour commencer l’argumentation, d’introduire une idée de Coleman récupérée par Boudon. Coleman aborde la relation entre le concept de « rationalité » de l’action et la connaissance sociologique. Il dit : « l'action rationnelle des individus a une force d'attraction particulière pour la théorie sociologique. Si une institution ou un processus social peut être ramené à des actions individuelles rationnelles, alors seulement alors, peut-on dire qu'ils ont été expliqués » (Coleman, 1986 : 1, chez Boudon, 2011 : 46). La question qui se pose de façon immédiate est: qu’est-ce que signifie « rationalité » dans ce contexte-là ? Gary Becker nous offre une réponse en disant que « une action est rationnelle dès lors qu'elle donne à l'individu qui la commet le sentiment de provoquer des effets qu'il apprécie et même qu'il apprécie davantage que ceux qu'aurait pu produire toute action alternative » (Boudon 2011 : 46). Dans les termes économiques dont nous parle Bercker, cela signifie que l’individu agit de façon rationnelle lorsqu’il se comporte selon un critère d’utilité maximum et par rapport aux alternatives d’action aussi disponibles. Ainsi, Boudon identifie le principe utilitariste qui guide 3 les définitions de la TCR. Selon cette théorie toute action se justifie dans l'esprit de l'individu par son caractère instrumental ou égoïste. Aussi, autour de ce principe Boudon avance sa première critique à la TCR : c’est une théorie très effective au moment de rendre compte des choix des individus par rapport aux moyens conduisant à une fin déterminée, cependant elle est incapable d'expliquer le complexe catégoriel qui fait que l’individu préfère cette fin ponctuelle à une autre qui serait aussi à portée de main (Boudon, 2002, 2007, 2009, 2011). La rationalité instrumentale est une rationalité utilitariste. Elle considère qu’une action est rationnelle lorsqu'elle entraîne des effets « utiles » par rapport aux plans d’ordre supérieur (Schutz, 2009) de l'acteur. L'action rationnelle, en suivant la logique instrumentale, aurait pour cause l’obtention d’effets positifs pour le projet en cours du sujet. Par exemple, comme nous l’avons remarqué dans le point 1.3, la théorie du choix rationnel et sa perspective instrumentale permettent de façon très efficace d’expliquer un phénomène comme la guerre froide. Dans ce cas-là la TCR est optimale par le simple fait que tout gouvernement doit être égoïste et avoir priorité des intérêts de la nation dont il a la charge (Boudon, 2011, 2009, 2007). La TCR, alors, confond « Rationalité » avec rationalité instrumentale. Elle ne prend en compte aucune autre dimension de la notion de rationalité. Mais quelles autres dimensions doit-on concevoir pour mieux comprendre la notion de rationalité ? La rationalité cognitive Il existe une autre dimension de la rationalité par laquelle nous considérons valide un système d'arguments conduisant à une action s'il n'existe pas un autre ensemble d’arguments qui nous laisse envisager une autre action comme préférable (Boudon, 2007, 2011). Il s’agit de la dimension cognitive de la rationalité. A partir de la lecture boudonienne des auteurs classiques de la sociologie, on peut retrouver chez Durkheim une première version de la rationalité cognitive comme intuition non développée mais explicite. Durkheim soutenait que les individus croient dans un premier temps en une idée en raison de son caractère collectif ; dans un deuxième temps cette idée devient collective à cause de la vérité dont l’investit la collectivité. Selon ce raisonnement, les individus pour y croire exigent que la croyance soit collective. Mais cette façon de produire la « vérité » implique aussi que les mêmes sujets n'abandonnent pas une théorie, une idée, un énoncé ou un ensemble d’énoncés, qui font l'objet d'une croyance intersubjectivement valide sans raisons, également valides, pour les abandonner. Ces raisons coïncident avec l’existence d’une autre théorie alternative qui conduit aux mêmes objectifs de façon plus effective ou à d’autres objectifs préférables et également disponibles. 4 Arrivé à ce point, on peut avancer une objection à l’entreprise boudonienne qui fonde sa théorie de caractère général en considérant la rationalité cognitive comme dimension constitutive de l’idée complexe de rationalité. L'objection à laquelle nous nous référons consiste à soutenir que l'action est souvent fondée sur des idées fausses et qu’en effet des actions fondées sur des idées fausses ne peuvent pas être considérées comme rationnelles. La réponse de notre auteur sera la suivante : considérer la rationalité sur la base de la vérité d’un énoncé revient à confondre la rationalité avec la « correction » (par rapport à la connaissance positive de l’ensemble de la société à un moment déterminé). Ainsi, Boudon ajoute que les idées fausses peuvent aussi se fonder sur la base de raisons fortes et valides pour le sujet qui les porte. Cela veut dire que, dans ce cas-là, elles sont rationnelles (Boudon, 2009). On pourrait complémenter cette explication à traves l’idée schutzienne selon laquelle la rationalité ne dépend pas de la structure intrinsèque de l’action mais du système catégoriel introduit par l’analyse sociologique. La rationalité, alors, ne relève pas d’une question de contenu de l’action (Schutz, 1964 ; Schutz et Parsons, 1978) En bref, ces croyances fondées sur uploads/Philosophie/ boudon-schutz-et-la-rationalite-integree.pdf

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