UNIVERSITE DE GENEVE FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’EDUCATION Sect
UNIVERSITE DE GENEVE FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’EDUCATION Section des sciences de l’éducation Professeur Mireille CIFALI ______________________________________________________________ Une lecture actuelle de Nietzsche et Dostoïevski : leur apport à l’éducation THESE Présentée à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève pour obtenir le grade de Docteur es sciences de l’éducation par Bessa MYFTIU PERNOUX Thèse No. 302 GENEVE 2002 Table des matières INTRODUCTION................................................................................ 2 CHAPITRE I - METHODE .................................................................. 7 CHOIX DE LA METHODE..................................................................... 7 COMMENT ABORDER NIETZSCHE ET DOSTOÏEVSKI A NOTRE EPOQUE...... 11 DELIMITATION DU CHAMP DE RECHERCHE............................................ 14 CADRE PRECIS DU TRAVAIL DE THESE.................................................. 17 STRUCTURE DE LA THESE................................................................. 18 TRAVAIL DEVANT LE TEXTE............................................................... 22 PLACE DE L’INTERPRETE.................................................................... 28 CHAPITRE II - CONNAISSANCE ...................................................... 35 CHAPITRE III - AMOUR.................................................................... 57 CHAPITRE IV - SOLITUDE................................................................ 81 CHAPITRE V - HONTE...................................................................... 92 CHAPITRE VI - SOUFFRANCE ........................................................ 103 CHAPITRE VII - PITIE..................................................................... 130 CHAPITRE VIII - LIBERTE .............................................................. 144 CHAPITRE IX - CRIME ................................................................... 161 CHAPITRE X - SUICIDE................................................................. 186 CHAPITRE XI - HORIZONS............................................................. 203 BIBLIOGRAPHIE............................................................................ 237 Intermezzi Pourquoi la chauve-souris n’est-elle pas un oiseau ?........................................... 42 Le parapluie.......................................................................................................... 76 Une solitude tant attendue............................................................................……. 88 Eléphant, crocodile et cobra.................................................................................. 98 Dépasser la peur ................................................................................................ 114 Valentina...............................................................................................................138 Le retour.............................................................................................................. 155 Max....................................................................................................................... 174 204 L’enveloppe.......................................................................................................... 194 Maman................................................................................................................. 214 205 Nietzsche et Dostoïevski. Incompatibles, peut-être, au premier abord. Semblables, au deuxième. Indépendamment du fait que l’un est considéré comme philosophe et l’autre comme écrivain, je qualifierai les deux d’artistes arrivés sur le chemin de la philosophie à travers la création. Le sens contraire est également vrai: l’un, philosophe qui écrit de la poésie, l’autre, philosophe qui écrit des romans. La philosophie rejoint l’art. L’art rejoint la philosophie. Ma démarche n’est pas inusitée. Selon Boursov, Dostoïevski est le plus grand philosophe russe 1. On oublie presque le romancier, note Catteau, pour ne considérer que l’éveilleur d’idées, le penseur insatisfait qui débat tout au long de son oeuvre des grandes questions éternelles : le Bien, le Mal, Dieu2. A considérer la vaste littérature suscitée par Dostoïevksi, il semblerait qu’on ait affaire non pas à un auteur littéraire écrivant romans et nouvelles, mais à tout un ensemble d’exposés philosophiques appartenant à plusieurs auteurs-penseurs3. Chez chaque analyste de Dostoïevski il y a soit un philosophe, soit un moraliste, soit un psychologue, soit un artiste qui sommeille et, sans le savoir, tente de bâillonner les autres4. La réflexion philosophique ne naît pas seulement du discours théorique des personnages, de la pensée de Dostoïevski transposée ou incarnée dans ses héros, mais de l’ensemble des caractéristiques du roman en général5. La philosophie, comme mode de pensée n’est pas opposée à la littérature. Hegel, Marx et Nietzsche ont débuté dans leur réflexion philosophique par la poésie. La poésie n’interdit pas le connaître. Au contraire : en partant d’un vécu, elle pénètre dans un connaître différent qualitativement du savoir6. Dans son oeuvre philosophique, Nietzsche a gardé la fraîcheur du style poétique et la subjectivité unique qui en découle. Pour Nietzsche le subjectif a raison, plus radicalement que le conceptuel et l’objectif7. Selon Zweig, Nietzsche est un métissage de philosophe, de philologue, de révolutionnaire, d’artiste, de littérateur et de musicien8. Avec Nietzsche, la philosophie ne se veut plus impersonnelle, mais subjective au plus haut degré9. Nietzsche a connu l’oeuvre de Dostoïevski. Un de ses biographes, Andler, dans Nietzsche, sa vie et sa pensée, note : « Il avait eu en février 1887 une grande joie : il venait de découvrir Dostoïevski10 ». Dans une lettre à Georg Brandes, Nietzsche écrit : « Je crois absolument à ce que vous dites de Dostoïevski ; je l’estime par ailleurs pour être le matériau psychologique le plus riche que je connaisse, - je lui suis curieusement reconnaissant...»11. 1 Boursov, (B.), in Dostoïevski, Paris, Edition de l’Herné, 1974, p. 142. 2 Catteau, (J.), La création littéraire chez Dostoïevski, Paris, Institut d’études slaves, 1978, p. 34. 3 Bakhtine, (M.), Problèmes de la poétique de Dostoïevksi, Lausanne, L’Age d’homme, 1970, p. 9. 4 Catteau, (J.), La création littéraire chez Dostoïevski, Paris, Institut d’études slaves, 1978, p. 61. 5 Etlchaninoff, (M.), Dostoïevski, roman et philosophie, Paris, PUF, 1998, p. 97. 6 Lefebvre, (H.), Hegel, Marx, Nietzsche, Paris, Casterman, 1975, p. 177. 7 Ibid, p. 151. 8 Zweig, (S.), Nietzsche, le combat avec le démon, Paris, Stock, 1993, p. 72. 9 Mueller, (F.-L.), L’irrationnalisme contemporain, Paris, Payot, 1970, p. 31. 10 Andler, (Ch.), Nietzsche : sa vie et sa pensée, II, Paris, Gallimard, 1979, p. 565. 11 Nietzsche, (F.), Dernières lettres, Paris, Editions Rivages, 1989, p. 37. 206 Cette reconnaissance est légitime : Nietzsche et Dostoïevski se sont questionnés sur les mêmes problèmes de l’humanité. L’idée de rapprocher leurs oeuvres naît naturellement, non seulement du point de vue de la thématique, mais aussi du point de vue de l’essence de leur pensée et de la façon dont ils la construisent. Chestov remarque que les oeuvres de Nietzsche et de Dostoïevski ne contiennent pas une réponse, mais une question1. Leur style et leur passion également sont semblables. Nietzsche se précipite avec toute la fougue de son être sur la moindre connaissance, comme l’oiseau de proie se précipite, du haut de son infini, sur la moindre bestiole. Seul Dostoïevski a des nerfs d’une semblable lucidité, mais Dostoïevski est, à son tour, inférieur à Nietzsche pour ce qui est de la véracité2. Selon Klossovski, si tous deux s’opposent par les conséquences que chacun tire d’une vision analogue de l’âme humaine, Nietzsche n’a pas pu éprouver autre chose qu’une sollicitation infinie, incessante, au contact des « démons » et du « souterrain » de Dostoïevski, et il s’est reconnu dans maints propos que le romancier russe prête à ses personnages3. Marinov compare le personnage de Dimitri dans Les frères Karamazov de Dostoïevski avec Dionysos, le héros du mythe nietzschéen : Enthousiasme, frénésie, ivresse, spontanéité, goût de l’éphémère, du chant et de la danse, tous ces traits à travers lesquels Dionysos est immanquablement désigné, se retrouvent aussi chez Dimitri4. Dans son oeuvre Le drame de l’humanisme athée consacrée à Dostoïevski, De Lubac pense aussitôt à un autre prophète, à l’autre prophète de notre temps : Nietzsche. La confrontation est inévitable. Tout y invite et, plus que tout, la formidable partie qui se joue présentement dans la conscience humaine sous leur signes conjoints et contrastés5. Les difficultés de ma tâche sont de taille. - Se baser sur deux géants; il faut être conscient d’avoir un pied dans l’impossible. - Que peut-on griffonner encore après des centaines de livres publiés sur eux ? Mais la plus grande difficulté reste d’ordre émotionnel. Comment revivre «l’appel jailli du tréfonds de l’âme», «l’expérience effrayante dont l’homme le plus tenace peut périr» (Nietzsche, lettre à Peter Gast) ?6 A l’âge de dix-neuf ans, mon père commençait à lire Crime et châtiment et refermait définitivement le livre au moment où Raskolnikov monte l’escalier pour aller tuer la vieille. Pour lui, Raskolnikov n’a pas encore commis le meurtre. Moi-même, je ne peux échapper aux meurtres. Je ne peux échapper à la folie. Ainsi, déchirée entre deux extrémités, les crises d’épilepsie et les crises de démence, le délire et la raison, la vérité et le mensonge, l’amour et la haine, la lumière aveuglante et l’obscurité absolue, le Christ et l’Antéchrist dans une exaltation qu’eux ont éveillée, - l’un proclamant le surhomme et l’autre l’homme humble -, je vais tenter encore un éclairage, fût-il incomplet, sur la contribution de ces hommes à l’éducation de l’individu. 1 Chestov, (L.), La philosophie de la tragédie, Paris, Flammarion, 1966, p. 5. 2 Zweig, (S.), Nietzsche, le combat avec le démon, Paris, Stock, 1993, p. 65. 3 Klossovski, (P.), Le cercle vicieux, Paris, Mercure de France, 1969, p. 295. 4 Marinov, (V.), Figures du crime chez Dostoïevski, Paris, PUF, 1990, p. 271. 5 De Lubac, (H.), Le drame de l’humanisme athé, Paris, Editions du Cerf, 1963, p. 290. 6 Préface de Henri Thomas pour Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Gallimard, 1963. 207 Et j’accepte ce défi. 208 CHAPITRE I METHODE CHOIX DE LA METHODE Les oeuvres de Nietzsche et de Dostoïevski peuvent être abordées de différents points de vue, comme en témoigne la quantité énorme des livres publiés sur eux. D’autres auteurs ont analysé leurs oeuvres à travers des démarches comparative1, philosophique2, psychologique3, littéraire4, psychanalytique5, biographique6, clinique7 et historique8, cette dernière restant la démarche la plus 1 Parmi lesquels on peut citer Jean Baptiste Séverac, Nietzsche et Socrate. - Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud : pour une éthique de la cruauté. - Henri Lefebvre, Hegel, Marx, Nietzsche ou le royaume des ombres. Fernand-Lucien Mueller, L'irrationalisme contemporain : Schopenhauer, Nietzsche, Freud, Adler, Jung, Sartre. - Paul-Laurent Assoun, Freud et Nietzsche. - Pauale Plowier, Sous la lumière de Nietzsche: Rimbaud ou le corps merveilleux. - Nicolas Miloschevitch, Nietzsche et Stringberg - Pierre Boudot, Nietzsche et l'au-delà de la liberté : Nietzsche et les écrivains français de 1930 à 1960. - William John Dodd, Kafka and Dostoyevsky : influences and affinities. - Philippe Chardin, L'amour dans la haine, ou la jalousie dans la littérature moderne : uploads/Philosophie/ nietzsche-dostoievski.pdf
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- Publié le Aoû 22, 2021
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