13/12/2021, 13:13 Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des clas
13/12/2021, 13:13 Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/10/bruno-latour-l-ecologie-c-est-la-nouvelle-lutte-des-classes_6105547_3232.html 1/13 Entretien. Sociologue et anthropologue des sciences et des techniques, Bruno Latour est professeur émérite associé au médialab et à l’Ecole des arts politiques de Science Po. Il est également l’un des philosophes français les plus lus, écoutés et traduits dans le monde. Sa pensée du « nouveau régime climatique », notamment développée dans Face à Gaïa (2015), influence toute une nouvelle génération d’intellectuels, d’artistes et d’activistes soucieux de remédier au YANN LEGENDRE YANN LEGENDRE Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes » Par Nicolas Truong Publié le 10 décembre 2021 à 15h20 - Mis à jour le 11 décembre 2021 à 06h55 Réservé à nos abonnés Sélections Partage ENTRETIEN | Afin de remédier à l’impuissance politique face au réchauffement climatique et de remobiliser une écologie qui oscille souvent entre la moralisation et l’ennui, le philosophe et sociologue repense la notion de conflit social. Il l’évoque dans un entretien au Monde, à quelques semaines de la sortie d’un « Mémo sur la nouvelle classe écologique », qu’il cosigne. 13/12/2021, 13:13 Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/10/bruno-latour-l-ecologie-c-est-la-nouvelle-lutte-des-classes_6105547_3232.html 2/13 g désastre écologique. Le 6 janvier 2022, avec le sociologue danois Nikolaj Schultz, il publiera, aux éditions de La Découverte, Mémo sur la nouvelle classe écologique. En avant-première, il aborde pour Le Monde les raisons et les ressorts des conflits géosociaux qui se déroulent aujourd’hui, et explique comment une « nouvelle classe écologique » pourrait gagner la bataille des idées. Les rapports des scientifiques sur le réchauffement climatique sont de plus en plus alarmants, et les contemporains font désormais l’expérience intime de la destruction de la biosphère. Et pourtant, aucune décision significative n’est prise pour faire face à cette catastrophe parfaitement documentée. Comment expliquer l’énigme de cette inaction ? Et pourquoi faut-il, selon vous, déclarer « un état de guerre généralisé » ? En même temps, tout le monde est sur le qui-vive sur ces questions. C’est juste que l’on ne sait pas contre qui se battre. Je reconnais que « guerre » est un mot dangereux, mais parler d’« état de guerre », c’est pour sortir de l’état de fausse paix, comme si l’on pouvait faire la « transition » vers une société décarbonée sans tracer de lignes de conflit. Mais le problème, évidemment, c’est que la définition des camps et des fronts de lutte n’est pas facile. Regardez les batailles sur la vaccination contre le Covid-19, qui est un cas finalement simple si vous le comparez aux batailles qu’il faudra mener pour aborder le moindre changement dans les modes de vie. A Paris, on ne peut même pas empêcher les cafés de chauffer l’air ambiant sans une révolte des bistrotiers et des fumeurs ! Quels sont les nouveaux conflits de classes qui se dessinent aujourd’hui ? Et en quoi sont-ils géosociaux ? « Géosocial » est là pour dire qu’il va falloir rajouter à toutes les définitions disons classiques des oppositions de classes, l’ancrage dans le territoire et dans les conditions matérielles de vie ou même de survie. Territoire, attention, je ne le prends pas comme un lieu, mais comme la liste de tout ce qui vous permet de subsister. Ce n’est pas géograhique mais, si vous voulez, éthologique. C’est une façon d’obliger à rematérialiser l’analyse des classes et donc d’aviver la compréhension des inégalités. C’est la leçon que je tire des « gilets jaunes » : la voiture, les ronds-points, l’essence, la mobilité, l’habitation ancrent des conflits 13/12/2021, 13:13 Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/10/bruno-latour-l-ecologie-c-est-la-nouvelle-lutte-des-classes_6105547_3232.html 3/13 pfl et obligent à étendre ce qu’on appelle les « inégalités matérielles ». Lire aussi « Mémo sur la nouvelle classe écologique » ou le vadem-mecum du parti terrestre Pourquoi, selon vous, est-il difficile de réutiliser la notion marxiste de « lutte des classes », et faut-il lui préférer celle de « lutte des classements », alors que ce nouveau conflit doit reposer sur une approche aussi matérialiste que l’ancienne, écrivez-vous… ? Et qu’est ce nouveau matérialisme écologique ? L’argument que nous faisons avec Nikolaj Schultz après bien d’autres, c’est qu’il y avait dans les anciennes traditions marxistes un accord de fond avec les traditions libérales sur le développement des forces productives qui allaient permettre de résoudre, ensuite, la question de la distribution juste ou non des fruits de ce progrès. Ce compromis historique a échoué parce que le système de production détruit ses propres conditions de développement. C’est l’un des nombreux avatars de la dialectique ! Elle devait accoucher du communisme, elle accouche d’un monde, au sens propre, invivable. Sur ce diagnostic, beaucoup sont d’accord. Ensuite, la question est de savoir quelle conséquence on en tire ? « Les classes dirigeantes ont échoué à basculer de la production à l’habitabilité. Il faut donc prendre leur relais, mais avec le même niveau d’ambition » Nous, nous disons que la question de la production est encastrée dorénavant dans une autre : celle des conditions d’habitabilité de la planète. Ce nouvel horizon oblige à distribuer tout autrement l’échelle des valeurs. C’est un renforcement, un accroissement du matérialisme historique, mais qui oblige à prendre en compte ce que les sciences du système Terre nous apprennent en plus des sciences sociales. Le climat est juste l’un des exemples de ces nouveaux objets. On pourrait dire en effet que c’est « un matérialisme écologique ». Ainsi l’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes. 13/12/2021, 13:13 Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/10/bruno-latour-l-ecologie-c-est-la-nouvelle-lutte-des-classes_6105547_3232.html 4/13 g Pourquoi est-il si important de définir une « nouvelle classe écologique » et de lui donner de la fierté, doublée d’une culture équivalente à celle que les libéraux et les socialistes ont forgée aux XIXe et XXe siècles ? « Fierté », oui, cela paraît bizarre. C’est un terme que j’ai pris au sociologue Norbert Elias (1897-1990) quand il parle de l’ascension de la bourgeoisie. Cela veut dire que l’écologie n’est pas un sujet en plus des autres – les problèmes dits « économiques » ou « sociaux ». Mais que, comme en leur temps la bourgeoisie ou la classe ouvrière, elle aspire à saisir toute l’histoire et à embrasser l’ensemble de ce qui fait le collectif humain. Les libéraux et ensuite les socialistes ne parlaient pas au nom d’un sujet particulier, mais de toute la civilisation, de l’avènement d’une autre société, de la culture, etc. « Les élites libérales croient toujours à l’idée d’une planète modernisée à l’ancienne. Elles attendent la “Reprise”, qui est devenue une sorte d’invocation du dieu Progrès » Or « écologie » est encore associé à des « trucs verts ». Avec Nikolaj Schultz, nous cherchons un aiguillon qui pousse les écologistes à ne pas être modestes ! De toute façon, les classes dirigeantes ont échoué à basculer de la production à l’habitabilité. Il faut donc prendre leur relais, mais avec le même niveau d’ambition. Bon, c’est une fiction mobilisatrice, évidemment, on est loin du compte ! Mais la fierté en politique, c’est important. Quel est le sens de l’histoire dans lequel s’inscrit la nouvelle classe écologique ? Ce qui est passionnant, c’est que le fameux « sens de l’histoire », qui était supposé emporter toute la planète vers la modernité globalisée, est d’une part à sens unique, et, d’autre part, étonnamment vague sur le but à atteindre. C’est quoi le pays de la modernisation ? Il est où ? Il y fait quelle température ? On y mange quoi ? On y vit de quoi ? La classe écologique ne prend pas la suite de ce projet bizarre. Un, parce qu’il n’y a pas un seul sens de l’histoire, on redécouvre 13/12/2021, 13:13 Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/10/bruno-latour-l-ecologie-c-est-la-nouvelle-lutte-des-classes_6105547_3232.html 5/13 p j p q y p la multiplicité des possibilités de « vivre bien », et, deux, parce qu’elle est enfin capable de définir concrètement le « pays » au sens littéral, le territoire, la planète, ce que nous appelons avec nos amis géochimistes la « zone critique » dans les limites desquelles il va falloir parvenir à habiter collectivement. C’est un sacré choc, d’accord, mais enfin on ne rêve plus vaguement à un monde utopique. Pourquoi les élites libérales, que le président Emmanuel Macron incarne en France, ont-elles non seulement failli mais également, selon vous, « trahi » ? Pour cette même raison qu’elles n’ont à aucun moment été capables de revenir sur l’utopie d’un monde modernisé. Elles croient toujours à l’idée d’une planète modernisée à l’ancienne. Elles attendent la « Reprise », qui est devenue une sorte d’invocation du dieu Progrès. Ne pas avoir mesuré, pendant tout le XXe siècle mais surtout depuis les années 1980, l’importance du charbon, du pétrole et du gaz dans la définition de l’économie, c’est bien quand même ce qu’on peut appeler une trahison, ou, si vous voulez, une désertion. Pas étonnant que les autres classes uploads/Philosophie/ bruno-latour-l-x27-ecologie-c-x27-est-la-nouvelle-lutte-des-classes.pdf
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