1 – Véracité 1 Leçon 1, le 31 janvier 2006 (5800 mots) 1 VÉRACITÉ 1 Plan des co
1 – Véracité 1 Leçon 1, le 31 janvier 2006 (5800 mots) 1 VÉRACITÉ 1 Plan des cours A et B 2 La vérité n’a pas d’histoire 3 Véracité 4 Généalogie de l’histoire 5 Authenticité 6 Généralisation de Williams 7 Géométrie 8 Taxinomie 9 Styles de pensée 1 Plan des cours A et B Cette année, mon cours est divisé en deux parties, A et B. Le cours A, qui commence aujourd’hui, a pour titre « Raison et véracité». Il comportera dix leçons. Aux vacances de Pâques, nous nous arrêterons pour deux semaines, puis nous commencerons le cours B, qui comportera trois leçons. Ce cours B intitulé « Les choses, les gens, et la raison » est en fait la conclusion de mes cours au Collège de France. La première de ces trois leçons concerne la classification des choses. Elle met un point final aux réflexions que j’ai commencées dans mon premier cours, au printemps 2001, sur les classifications naturelles. En un mot, l’idée à laquelle j’ai abouti est qu’il n’y a pas de classifications naturelles. D’où ce titre Les classifications naturelles n’existent pas. La deuxième leçon fait office de conclusion pour mes cours de 2002 et 2005 intitulés « Façonner les gens ». Elles ne sont pas aussi pessimistes : si j’avais choisi un titre moins laconique que « Les gens », cela aurait pu être, Les types de gens : des cibles mouvantes. La troisième leçon, « La raison », sera la conclusion du cours de 2003 sur les styles de raisonnement, et du cours qui commence aujourd'hui sur ce même sujet. Un titre encore plus optimiste : La stabilité de la raison scientifique. Je ne suis pas un philosophe qui reste au même endroit et qui répète les vérités qu’il a établies. Mes réflexions et mes conclusions sont toujours provisoires. Si j’avais dû choisir une devise, j’aurais pris une formule de Michel Foucault : « Travailler, c’est entreprendre de penser autre chose que ce qu’on pensait avant. » Dans l’immédiat, le cours A, qui commence aujourd’hui, reprendra les thèmes du cours de 2003, « Des styles de raisonnement », mais je vais introduire de nouvelles idées clés, et procéder à des réorientations par rapport à quelques mauvaises pistes que j’avais prises. J’ai choisi une liste de dix mots assez abstraits pour les titres des dix leçons de ce premier cours : 1 – Véracité 2 Véracité Objets Raisonnement Démonstration Du laboratoire Phénomènes Taxinomie Cognition Société Anthropologie. Le thème d’ensemble concerne les thèses philosophiques qu’on peut déduire de l’histoire de l’émergence des styles de pensée scientifique dans la tradition européenne. Cela commence comme un sujet d’histoire des sciences sur l’évolution des méthodes de raisonnement dans les différentes sciences, mais j’en fais un sujet de philosophie traditionnelle : au fond, ce dont nous parlons, c’est de la raison, de la vérité, et des relations entre les deux. Cependant, la question de la vérité en tant que telle est un terrain où se livrent des batailles féroces, et je voudrais les éluder. C’est pourquoi dans mon titre il est question de la véracité. Je l’expliquerai dans une minute, mais auparavant je voudrais donner quelques précisions concernant les prochaines leçons : Objets. Il y a deux éléments clés dans un style de pensée scientifique : les nouvelles méthodes de raisonnement et les nouveaux types d’objet propres à chaque style. Ces objets nouveaux sont au cœur des débats ontologiques en philosophie des sciences, du platonisme des mathématiciens à la question de la réalité des genres, en taxinomie. (7 février) Méthodes de raisonnement. Le deuxième élément clé. La première méthode apparue dans l’histoire des sciences occidentales – et que nous appelons toujours scientifique – c’est la démonstration mathématique. Je considère notre capacité de créer des démonstrations comme la découverte qui a rendu possibles toutes les autres méthodes des sciences. Non pas parce que les mathématiques en elles-mêmes sont intrinsèquement importantes, mais parce que c’est d’elles que provient la notion d’objectivité du raisonnement. (14 février) Démonstration et calcul. Les mathématiques ne sont pas unitaires. Comme Wittgenstein, je suis enclin à penser que « les mathématiques sont une mixture BIGARRÉE de techniques de démonstration. » En particulier il faut distinguer d’une part les preuves qui déduisent des conclusions à partir de postulats, et d’autre part le calcul. (21 février) Le laboratoire. Deux autres méthodes de raisonnement sont anciennes. D’un côté on explore des relations observables mais complexes, et on fait des mesures expérimentales. De l’autre côté on construit par hypothèse des modèles analogiques, à la manière des atomes de Leucippe et de Démocrite. Ces deux styles de pensée, par expérience et par hypothèse, ont fusionné au début de la période moderne en Europe : c’est ainsi qu’a vu le jour le plus puissant outil de la recherche humaine, le laboratoire. (28 février) Les phénomènes. Le laboratoire ne se contente pas d’observer les phénomènes : il les crée. Pour illustrer ce point, nous donnerons un exemple tiré des derniers développements de la physique. (7 mars) 1 – Véracité 3 La taxinomie. Quelques questions, à la fois historiques et actuelles, sur la réalité des genres, familles, ordres, dans l’histoire naturelle et dans la biologie de l’évolution. (14 mars) La cognition. Les fondements des styles de pensée scientifique dans les capacités cognitives humaines. (21 mars) La société. Les conditions sociales nécessaires à l’émergence et à la persistance des nouveaux styles de pensée. (28 mars) L’anthropologie. Comment une telle analyse peut contribuer à une anthropologie philosophique, à l’intersection de deux domaines : le domaine cognitif (universel) et le domaine culturel (local). (4 avril) 2 La Vérité n’a pas d’histoire Commençons par la véracité, un mot à peu près inconnu chez les philosophes. Pourquoi pas le mot habituel, la vérité ? Parce que nos recherches philosophiques sont liées à une histoire des sciences. C’est une histoire de longue durée, et de ce fait très différente des histoires des sciences qu’on trouve aujourd’hui, mais c’est quand même une histoire. Et je reprends à mon compte la convention admise par tous les grands logiciens, d’Aristote à Alfred Tarski : la vérité n’a pas d’histoire, ni de courte, ni de longue durée. Aristote enseignait que « dire de l’Etre qu’il est et du Non-Etre qu’il n’est pas, c’est le vrai »1. Dans une autre traduction, « dire que ce-qui-est, est, et que ce-qui-n’est-pas, n’est pas, est vrai ».2 Aristote parle de n’importe quelle affirmation, en n’importe quelle langue. Cette définition est hors du temps, hors de l’histoire. Elle traverse tout discours informatif. Si le concept de la vérité a eu un début, c’est dans l’émergence du langage lui-même – sans doute un événement dans l’histoire du genre humain, peut-être même le début de notre espèce. Il en va de même pour le concept sémantique d’Alfred Tarski, qui remonte à 19313. Son paradigme célèbre est devenu le mantra des logiciens philosophes : « la phrase ‘la neige est blanche’ est vraie si et seulement si la neige est blanche ». C’est à dire : si s est une phrase qui exprime la proposition p, alors la phrase s est vraie si et seulement si p. On affirme parfois de façon un peu anachronique que l’énoncé d’Aristote est identique au concept de Tarski. Ou au moins qu’il est le précurseur de Tarski. Dans les deux cas, le concept de la vérité est essentiel à la sémantique, mais il n’a pas de sémantique propre. Dans un certain sens, ces deux énoncés, celui d’Aristote et celui de Tarski, manquent de contenu. Je préfère dire qu’ils sont absolument formels. Tarski lui-même dit que son concept est neutre et ne permet pas de trancher entre les « théories » de la vérité qui ont la préférence des philosophes analytiques, les théories de la correspondance, et la théorie pragmatiste de la cohérence. Je considère comme une convention l’acceptation du point de vue que la vérité est un concept formel, sans contenu, et sans histoire. C’est une convention parce que, au moins depuis Hegel, nous avons à l’égard de la vérité beaucoup de thèses selon lesquelles elle aurait une histoire. Pourquoi s’arrêter là ? Il y a d’autres usages du mot, les logiciens n’ont pas le monopole. Je suis d’accord. J’ai beaucoup appris de ce qu’on peut appeler les histoires de la vérité ; je pense à Michel Foucault. 1 – Véracité 4 Néanmoins, je vais simplement éviter les débats sur la nature de la vérité. Dans mes années d’étudiant, j’ai pris à cœur un mot d’esprit du plus grand philosophe du langage ordinaire issu d’Oxford, J. L. Austin. Il pensait qu’il est préférable d’éviter les mots qui ont l’air importants, comme le mot « vérité ». Au lieu du concept grandiose de vérité, pensons au modeste adjectif « vrai ». Je cite le propos ironique de John Austin : « In vino, peut-être, ‘veritas’, mais dans un colloque philosophique tout à fait sobre, ‘verum’ »4. Austin est bien dans l’esprit d’Aristote et de Tarski. Notons que chez ces deux auteurs, c’est l’adjectif, pas le nom, qui est employé. 3 Véracité uploads/Philosophie/ hacking-upl3463253221244139985-1-v-racit 1 .pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0797MB