Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Claude Piché Philosophiques, vol. 13, n° 2, 1986, p. 291-303. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/203321ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 23 June 2011 12:44 « Les fictions de la raison pure » PHILOSOPHIQUES, Vol. XIII, Numéro 2, Automne 1986 LES FICTIONS DE LA RAISON PURE par Claude Piché RÉSUMÉ. On est porté à sous-estimer le rôle authentiquement productif de la raison dans la Dialectique transcendantale de la Critique de la raison pure. Cet article propose une illustration de ce rôle à l'occasion des Paralogismes de la raison pure, qui ne sont rendus possibles que sur la base d'une fiction négative opérée à partir du sens interne. Cette illustration s'inscrit dans la perspective plus large d'une interprétation de la Dialectique transcendantale en vertu d'une théorie du schématisme, laissée au second plan par Kant en raison de la prépondérance des motivations critiques. ABSTRACT. We tend to underestimate the authentically productive role of reason in the Transcendental Dialectic of the Critique of Pure Reason. This paper suggests an illustration of this role as it can be traced in the Paralogisms of Pure Reason, which themselves became possible on the basis of a negative fiction exerted toward the inner sense. This illustration is part of a larger perspective aiming at an interpretation of the Transcendental Dialectic on the ground of a theory of schematism, which is somehow overshadowed by Kant's critical intentions. L'un des principaux obstacles à la compréhension de la théorie des idées transcendantales de la Critique de la raison pure tient au fait que Kant ne nous éclaire véritablement sur la fonction régulatrice de celles-ci que dans 1'« Appendice à la dialectique transcendantale», c'est-à-dire en fin de parcours. On apprend alors que l'idée de la raison, par-delà l'illusion transcen- dantale qu'elle provoque presque irrésistiblement, est en réalité un scheme visant à faciliter l'unité systématique des connaissances empiriques. Jusqu'à quel point est-il permis de parler dans ce cas d'un schématisme de la raison purel qui puisse faire écho au 1. Cf. de l'auteur « Le schématisme de la raison pure. Contribution au dossier Heidegger- Kant» dans Les études philosophiques, N° 1, janvier-mars 1986, p. 79-99. 292 PHILOSOPHIQUES schématisme de l'entendement introduit dans la première partie de la Logique transcendantale ? Une réponse positive à cette question implique que nous soyons en mesure de localiser au sein de la Dialectique transcendantale une instance capable d'assumer un rôle équivalent à celui de l'imagination dans le schématisme des concepts de l'entendement. La tâche consiste en fait à déceler l'instance qui donne naissance à ces schemes avant même que ceux-ci ne donnent prise à une utilisation fautive. Chose certaine, il ne peut s'agir à nouveau de l'imagination sensible puisque les idées de la raison transcendent principiellement le monde phéno- ménal. Si l'on veut mener à bien une telle lecture à rebours de la Dialectique transcendantale à la lumière d'une théorie du schéma- tisme, il faut être en mesure de montrer comment la raison est elle-même une faculté productrice à l'instar de l'imagination sensible, même si dès lors la raison se voit contrainte de schématiser sans intuition, c'est-à-dire simplement à l'aide de concepts. Kant ne nous facilite pas la tâche ici dans la mesure où dès l'introduction à la Dialectique transcendantale, il insiste surtout sur le fait que les idées de la raison pure sont issues de syllogismes. Or chacun sait qu'un syllogisme ne vise pas à établir de nouvelles connaissances et encore moins à produire de nouveaux objets, mais bien plutôt à déterminer, comme l'affirme Kant, une connaissance particulière en la subsumant sous un concept général. Le syllogisme en tant que tel n'est pas vraiment productif ; seul un syllogisme fallacieux peut prétendre engendrer une connais- sance nouvelle, et par là faire naître une apparence transcendan- tale. C'est une subreption dans les prémisses de chacune des trois séries de syllogismes de la raison pure qui entraîne une dialectique de la raison, si bien qu'une fois l'erreur dissipée, on voit mal comment pourrait subsister un espace de jeu pour quelque chose de tel qu'un schématisme. À vrai dire, Kant insiste à tel point sur les motivations dogmatiques qui sont à l'origine de ces subreptions qu'il fait passer à l'arrière-plan les modalités précises du méca- nisme d'engendrement de ces objets fictifs que sont les trois idées de la raison, laissant ainsi dans l'ombre sa théorie du schématisme de la raison, qui fait surface, de manière quelque peu inopinée, dans l'Appendice. Il importe pourtant de distinguer à l'occasion de chacune de ces trois idées transcendantales comment la raison LES FICTIONS DE LA RAISON PURE 293 engendre son scheme avant même que celui-ci ne soit interprété dogmatiquement comme un objet réel. Cela exige un travail d'analyse complexe au niveau de la structure de chacune des trois idées, travail dont nous avons déjà livré certains résultats2, mais qu'il nous est impossible de reprendre dans les limites de cet article. Nous nous restreindrons ici à la première idée transcen- dantale, telle qu'elle apparaît dans les Paralogisme de la raison pure, dans le but non pas d'en faire l'étude exhaustive, mais plutôt de montrer simplement comment la raison entre en jeu comme faculté productrice, comme facultas figendi, pour reprendre le vocabulaire de la psychologie de l'époque. Certes, la démonstration du caractère schématisant de la raison est ici particulièrement délicate, plus encore que dans le cas des Antinomies et de l'Idéal transcendantal ; mais par ailleurs le type d'intervention de la raison dans la psychologie rationnelle recèle des aspects très révélateurs quant à l'essence de cette faculté. Afin de simplifier la tâche au maximum, l'exposé sera axé sur l'analyse d'un court extrait, faisant suite à une mise au jour des prémisses du problème. Il s'agit donc dans un premier volet de préciser la nature de l'objet servant de point de départ à la psychologie rationnelle, à savoir IeJe ou Je pense compris comme abstraction ; un deuxième volet, plus ample cette fois, contribuera à mettre en lumière l'aspect productif de la raison conduisant à l'hypostase qui est à l'origine de l'illusion dans la psychologie rationnelle. I. LEJE: UNEABSTRACTION Kant ne cesse d'insister sur l'indigence extraordinaire du point de départ de la psychologie rationnelle ; son seul « texte», dit-il, réside dans l'unique pronom Je, ou encore dans la propo- sition Je pense. Il s'agit là, on le sait, du véhicule qui doit pouvoir accompagner toutes les représentations ; le Je ne joue ici le rôle que de condition subjective de toute pensée. Il accompagne assurément toutes les représentations, mais le privilège de cette polyvalence est payé très cher, si l'on note incidemment que IeJe, en tant que tel, est une « représentation simple et par elle-même 2. Cf. de l'auteur Das Ideal: Ein Problem der Kantischen Ideenlehre. Bouvier Verlag, Bonn, 1984. 294 PHILOSOPHIQUES totalement vide de contenu»7'. Le Je partage la richesse des données empiriques présentes dans la perception interne, et l'on ne peut avoir d'autre expérience de ce Je qu'en se tournant vers le sens interne, comme le seul lieu de sa manifestation qui nous soit accessible. Par suite, si l'on veut obtenir une représentation du Je pris pour lui-même, on doit s'en remettre à une abstraction à l'égard des multiples données empiriques du sens interne. Mais alors la représentation Je dans toute sa pureté n'est rien d'autre que la « plus pauvre de toutes les représentations » 4. L'abstraction est portée ici à un niveau très élevé, et c'est ce qui fait que Kant hésite à qualifier le Je de «concept» 5: sa représentation est complètement vide, il ne contient rien « en soi», quoique, si l'on considère l'ampleur et la richesse de l'expérience interne d'où il a été tiré par abstraction, on puisse affirmer qu'il contient beaucoup « sous lui» 6. Au vide de contenu de la représentation Je correspond l'importance de son étendue^ et lorsque Kant met en rapport et souligne à la page A 785 le contenu ainsi que l'étendue du Je à l'aide des expressions « en soi» et « sous lui», c'est manifestement en songeant au principe logique bien connu selon lequel l'intension et l'extension d'un concept ont un rapport inversement propor- tionnel 7. Le domaine d'application d'un concept croît proportion- nellement à l'élimination des traits particuliers qui constituent le contenu du concept. Le texte du chapitre sur les Paralogismes de la raison pure indique de façon très nette et à plusieurs reprises l'origine de cette représentation vide qu'est le Je, à savoir qu'il est uploads/Philosophie/ claude-piche-les-fictions-de-la-raison-pure.pdf
Documents similaires










-
37
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 21, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.8390MB