1 © Gérard Granel INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE (NOTES PRISES AU COURS DE M. GR

1 © Gérard Granel INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE (NOTES PRISES AU COURS DE M. GRANEL)1 AVERTISSEMENT Les programmes de Propédeutique2 prévoient, en ce qui concerne la philosophie, outre une heure de cours (le mercredi), une heure dite de « méthodologie » (le vendredi). Il s’agit essentiellement d’exercices, qui sont de types divers : compte-rendu de dissertations, exposés d’étudiants, explications de textes. Seules ces dernières ont été retenues ici, car seules elles offrent une certaine unité. Il reste cependant que les notes qu’on va lire conservent le caractère parfois décousu propre à des « exercices ». Ces notes présentent en outre une lacune assez grave : elles ne comprennent pas les trois explications de textes de l’Esthétique Transcendantale par lesquelles nous avons commencé l’année. Ou plutôt, il n’a été possible de rassembler que des notations très fragmentaires sur ces premières explications. A partir d’elles, on a pourtant essayé de donner au moins un aperçu sur les problèmes généraux de la théorie kantienne du sensible, sous la forme d’un commentaire du § 1 de l’Esthétique. Il n’en reste pas moins que cet aperçu ne peut suffire, et que la lacune subsiste. Ceux qui le désirent pourront la combler par la lecture du livre de Michel Alexandre : Lecture de Kant, paru aux P.U.F. en décembre 1961 dans la collection Epiméthée. G.G. 1 Cours du mercredi 18h. 2 La Propédeutique était la première année des études universitaires de Lettres. 2 TABLE DES MATIERES – Première leçon : le § 1 de l’Esthétique Transcendantale ……… ………….. 4 – Deuxième leçon : le chemin cartésien et le chemin kantien (1) … …….. .. 9 – Troisième leçon : le chemin cartésien et le chemin kantien (2) ……………. 11 – Quatrième leçon : Pascal, « Disproportion de l’homme » (les 2 infinis) (1).. 19 – Cinquième leçon : Pascal, « Disproportion de l’homme » (2) ………. .. .. 26 – Sixième leçon : Pascal, « Disproportion de l’homme » (3) … …………… 30 – Septième leçon : Kant, CRP, « Analytique des concepts », § 16 (1) Méthode et philosophie ………………………………. 38 (2) L’aperception ……………………………………………. 41 (3) L’aperception (suite) ……………………………………..... 52 (4) Commentaire du § 17 …………………………………….. 61 (5) La note du § 16 ………………… ………………………… 69 3 PREMIERE LEÇON : LE § 1 DE L’ESTHETIQUE TRANSCENDANTALE « De quelque manière et par quelque moyen qu’une connaissance puisse se rapporter à des objets, le mode par lequel elle se rapporte immédiatement aux objets et auquel toute pensée tend, comme au but en vue duquel elle est le moyen (worauf alles Denken als Mittel abzweckt) est l’intuition. » Le type qui définit la pensée dans la philosophie occidentale est toujours l’intuition, le “voir”. Cela est plus profond en elle que la détermination conceptuelle, la réflexivité, la discursivité. Même la philosophie cartésienne et post-cartésienne vit de quelque façon l’envers de la vue de Dieu sur sa création ; et c’est dans le lien à la véracité de cette vue que la pensée de l’homme peut atteindre ce qui l’assure d’elle- même : ainsi les idées claires et distinctes de Descartes sont-elles ancrées dans la véracité divine ; ainsi également dans Leibniz nos perceptions n’ont de réalité que parce que la vue de Dieu est toujours véritable. Nous sommes loin de pouvoir comprendre ce que signifie ce rôle archétype du “voir” pour le “penser”. Mais peut-être Kant nous en apprendra-t-il quelque chose. « Mais cette intuition n’a lieu qu’autant que l’objet nous est donné ; ce qui n’est possible à son tour, du moins pour nous autres hommes, qu’à la condition que l’objet affecte d’une certaine manière notre esprit. La capacité de recevoir des représentations (réceptivité) grâce à la manière dont nous sommes affectés par des objets se nomme SENSIBILITÉ ». La phrase est restrictive, elle commence par un « Mais...», comme s’il y avait deux types d’intuition possibles, dont l’un seulement, et qui suppose une limitation, est possible « pour nous autres hommes ». Pourquoi Kant dit-il : « nous autres hommes » ? De qui sommes-nous l’autre ? La réponse est claire, par le contexte de l’œuvre : nous sommes l’autre de Dieu. Pour Kant aussi, l’homme vit de quelque façon l’envers de la vue de Dieu. C’est- à-dire que la Critique commence dans le langage même de la métaphysique ; dans un certain sens, elle y demeurera toujours, et cela ne fera que rendre plus précaire notre effort pour comprendre qu’avec cette même Critique, et dans un autre sens, commence pourtant l’athéisme de la perception dont la pensée contemporaine poursuit l’achève- ment. Dieu possède l’intuitus originarius, l’homme seulement l’intuitus derivativus. Qu’est-ce que ce latin veut dire ? D’abord que l’originel est compris par Kant dans le langage de la causalité métaphysique : dire que l’intuitus de Dieu est “originaire”, cela veut dire que ce dont il est l’intuition est postérieur à son acte de voir et se produit par et dans cet acte : le réel pour Dieu est un réel qui naît dans et de la vue de Dieu, qui donc ne lui fait pas “face” (la face de Dieu n’a pas d’en face), qui ne se tient pas “contre 4 lui”. La tenue du réel pour Dieu n’est pas de se tenir en-face (Gegen-stand), mais de surgir par réponse à la vue causante dans laquelle Dieu le pose pour la première fois en lui-même : Enstehen. Gegen-stand en allemand, chacun sait que c’est l’objet. Le réel pour Dieu n’est pas objet. Mais en introduisant ici le mot objet, nous n’introduisons pas une explication, nous apprenons au contraire de l’opposition de la “tenue-en-face” et de la “naissance” (Enstehen, en allemand, est “naître”), ce que veut dire, pour Kant, l’objet. L’objet est ce qui est donné sans son origine, hors d’origine. L’objet est le déjà- né, le déjà-là, le pur rencontré, le donné sans les conditions de son don. Comme tel il définit le lieu et la nature de l’intuition humaine, et de quoi elle est l’autre. Ici déjà il y a le bon et le mauvais, ou, pour parler moins “naïvement”, il y a cette ambiguïté des textes kantiens que nous avons annoncée. Il y a le bon parce que le caractère originaire de l’intuition divine est conçu dans le langage de la causalité, c’est-à-dire dans le langage de la représentation. En opposant le “voir” de l’homme à cette causalité divine, et lorsqu’il s’agira de décrire ce qu’il y a pourtant d’originel (d’a priori) dans le voir humain, Kant ne pourra le faire que dans un autre langage que celui de la causalité, de la représentation. De la lettre à Marcus Herz (22 février 1772) jusque dans le corps de la Critique de la Raison pure, c’est pour Kant un dilemme que le rapport de la représentation à l’objet. Ainsi, le § 14 de l’Analytique des Concepts : « ou bien c’est l’objet seul qui rend possible la représentation, ou bien celle-ci l’objet »3. Mais c’est aussi un dilemme à rompre, à dépasser à tout prix, parce que le jeu de la pensée et du réel est alors toujours trop rigide : ou bien en effet c’est passivité absolue, le monde s’imprime dans l’esprit comme un cachet dans une cire ; mais cela ne peut pas se comprendre, parce que tout ce qui est de “forme” : l’espace, le temps, et toutes les formes de l’objet (les catégories), ne peut pas s’imprimer. Si je considère le contenu qui m’assaille, tout ce qui est de forme est inexprimable en termes de contenu, n’est pas contenu dans le contenu, et n’étant pas une marque dans les choses, ne saurait se marquer en moi. Ainsi le bruit de la cloche du village, que j’entends sonner là-bas, ne comporte pas comme un bruit dans le bruit sa détermination d’être “lointaine”, “faible”, etc. Comptée à partir du contenu, cette “forme” spatiale des douze coups qui marquent midi sur la campagne tomberait dans le “rien”. Mais ce rien de la forme entraînerait aussi le contenu dans son néant ; car ce n’est pas ce qui s’ajoute du dehors au son de la cloche, que le caractère lointain et faible de ce son ; c’est comme lointain qu’il sonne, c’est faiblement qu’il se fait entendre. L’illusion serait de croire qu’il y a là de l’audible pur d’une part, plus une distance objective d’autre part : comment l’un rentrerait-il ensuite dans l’autre ? Comment le sonore insitué regagnerait-il un lieu qui lui serait extérieur, et comment le lointain le serait-il si le son ne le déclarait ? La passivité de la sensibilité comme réceptivité est donc impropre à rendre compte de la forme intuitive : l’espace et le temps ne sont pas des marques dans les choses, et ne sauraient être l’effet 3 Trad. cit. p. 104. 5 en moi d’une impression causée par le réel. Or cela veut dire que le réel ne me fait aucune impression au sens philosophique, qu’il n’est pas l’assaillant de la conscience. S’il ne peut l’être selon la forme, il ne peut l’être selon le contenu, car uploads/Philosophie/ cours-sur-kant.pdf

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