La philosophie des mathématiques de Kant Louis Couturat Alain.Blachair@ac-nancy
La philosophie des mathématiques de Kant Louis Couturat Alain.Blachair@ac-nancy-metz.fr Cliquez sur le lien ci-dessus pour signaler des erreurs. Émile BOUTROUX – L’histoire de la philosophie 1 La philosophie des mathématiques de Kant ...............................................................................2 DÉFINITION DES JUGEMENTS ANALYTIQUES. ..........................................................4 PRINCIPE DES JUGEMENTS ANALYTIQUES. ...............................................................8 DÉFINITIONS ANALYTIQUES ET SYNTHÉTIQUES. ..................................................11 QUELLES SONT LES MATHÉMATIQUES PURES ?.....................................................15 LES JUGEMENTS ARITHMÉTIQUES SONT-ILS SYNTHÉTIQUES ?.........................17 LE SCHÉMATISME............................................................................................................26 LE NOMBRE ET LA GRANDEUR....................................................................................30 L’ALGÈBRE........................................................................................................................32 LES JUGEMENTS GÉOMÉTRIQUES...............................................................................35 LES DÉMONSTRATIONS GÉOMÉTRIQUES. ................................................................38 ROLE DE L’INTUITION EN GÉOMÉTRIE......................................................................42 LE PARADOXE DES OBJETS SYMÉTRIQUES..............................................................46 LES PRINCIPES DE LA GÉOMÉTRIE. ............................................................................50 LES ANTINOMIES. ............................................................................................................53 CONCLUSIONS. .................................................................................................................54 Émile BOUTROUX – L’histoire de la philosophie 2 La philosophie des mathématiques de Kant1 Wenn die mathematischen Urtheile nicht synthetisch sind, so fehlt Kant’s ganzer Vernunftkritik der Boden. Zimmermann [235] La question fondamentale de la Critique de la Raison pure est : « Comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? » Qu’il existe de tels jugements, c’est ce dont Kant ne doute pas un instant, car ce sont de tels jugements qui constituent, selon lui, la métaphysique et la mathématique pure. Expliquer comment ces jugements sont légitimes en mathématique et illégitimes en métaphysique, tel paraît être le but de la Critique de la Raison pure ; tel est en tout cas l’objet de la Méthodologie transcendentale. « La mathématique fournit l’exemple le plus éclatant d’une raison pure qui réussit à s’étendre d’elle-même sans le secours de l’expérience » (B. 740, cf. p. 8 et 752)2 ; et cet exemple a été séducteur pour la métaphysique3. Celle-ci peut-elle légitimement aspirer à la certitude apodictique en employant la même méthode que la [236] mathématique ? Telle est la question (B. 872). Or « la métaphysique est la connaissance rationnelle par concepts ; la mathématique est la connaissance rationnelle par construction de concepts » (B. 865, 741). Qu’est-ce que construire un concept ? C’est « exposer l’intuition a priori qui lui correspond ». La construction des concepts n’est donc possible que si nous possédons des intuitions a priori. Celles-ci nous sont fournies par les deux formes a priori de la sensibilité, l’espace et le temps. C’est donc l’Esthétique transcendentale qui est chargée de répondre à cette question : « Comment les mathématiques pures sont-elles possibles ? » (B. 55, 73.) Par là se trouvent déterminés à la fois l’objet des mathématiques et la portée de leur méthode. Leur 1 Ce mémoire a paru dans la Revue de Métaphysique et de Morale, n° de mai 1904 (consacré au centenaire de la mort de Kant). [Le texte reproduit ici est celui qui figure en appendices de : Les principes des mathématiques, Paris, Alcan, 1905] 2 Conformément à l'usage introduit par M. Vaihinger, nous désignons respectivement par A et B la 1e et la 2e édition de la Critique de la Raison pure, dont la pagination se trouve reproduite dans les principales éditions modernes (notamment celles de B. Erdmann et de Kehrbach). 3 Cf. Fortschritte der Metaphysik [Sur la question mise au concours par l'académie royale des sciences pour l’année 1791 : quels sont les progrès réels de la métaphysique en Allemagne depuis le temps de Leibniz et de Wolff ?], Introduction (1791) ; éd. Hartenstein, VIII, 522. Émile BOUTROUX – L’histoire de la philosophie 3 objet ne peut être que la grandeur, « car seul le concept de grandeur se laisse construire » (B. 742) ; et l’espace et le temps sont les seules « grandeurs originaires » (B. 753). Leur méthode ne peut s’appliquer qu’à ce qui peut être objet d’intuition, et d’intuition a priori : elle ne peut donc s’appliquer ni aux concepts purs et simples, ni aux intuitions empiriques, par exemple aux qualités sensibles (B. 743). La mathématique ne peut avoir pour objets que les concepts qu’on peut construire, à savoir la figure, détermination d’une intuition a priori dans l’espace, la durée, division du temps, et le nombre, résultat général de la synthèse d’un seul et même objet dans l’espace et dans le temps, qui par suite mesure la grandeur d’une intuition (B. 752). Ainsi c’est la méthode, et non l’objet, qui distingue essentiellement la mathématique de la métaphysique, et c’est la méthode de la mathématique qui détermine son objet4. Par là s’explique que les jugements mathématiques puissent être à la fois synthétiques (comme les jugements empiriques) et a priori (comme les jugements analytiques). Ils sont synthétiques, parce qu’ils reposent sur une synthèse effectuée dans l’intuition ; et ils sont a priori, parce que cette intuition est elle-même a priori. Kant caractérise la méthode mathématique en l’opposant à [237] la méthode de la philosophie. La mathématique seule a des axiomes, c’est-à-dire des principes synthétiques a priori, « parce qu’elle seule peut, en construisant un concept, lier a priori et immédiatement ses prédicats dans l’intuition de son objet » (B. 760)5. La philosophie ne peut pas avoir d’axiomes, car elle ne peut pas sortir du concept pour le lier à un autre concept. La mathématique seule a des définitions, car seule elle crée ses concepts par une synthèse arbitraire ; par suite, ses définitions sont indiscutables et ne peuvent être erronées. Au contraire, on ne peut pas à proprement parler définir, soit les objets empiriques, soit les concepts a priori, on ne peut que les décrire, et cette description est toujours discutable, car on ne sait jamais si l’on a épuisé la compréhension d’un concept préalablement donné6. Enfin la mathématique seule a des démonstrations proprement dites, car « on ne peut appeler démonstration qu’une preuve apodictique, en tant qu’elle est intuitive » (B. 762). La philosophie ne peut pas effectuer des démonstrations sur ses concepts, car il lui manque « la certitude intuitive ». La conclusion de cet examen est la séparation complète, l’opposition absolue de la mathématique, non seulement par rapport à la métaphysique, mais par rapport à la philosophie tout entière, et notamment à la logique. Car la logique repose sur des principes analytiques, qui paraissent se réduire au principe de contradiction ; et elle ne permet d’établir que des jugements analytiques. Si la mathématique peut légitimement énoncer des jugements synthétiques a priori, c’est parce qu’« elle ne s’occupe d’objets et de connaissances que dans la mesure où ceux-ci se laissent représenter dans 4 Cf. Logique, Introduction, III (Hartenstein, VIII, 23). 5 Exemple : Trois points sont toujours situés dans un même plan. 6 Cf. Logique, § 103. Émile BOUTROUX – L’histoire de la philosophie 4 l’intuition » (B. 8). Il est manifeste, d’ailleurs, que si Kant insiste tellement sur la différence des méthodes de la mathématique et de la métaphysique, c’est par réaction contre le rationalisme de Wolff, qui prétendait, comme Leibniz, appliquer à la philosophie la méthode mathématique, comme étant la seule méthode logique et apodictique. [238] Nous allons examiner successivement les différentes thèses que nous venons d’énumérer. DÉFINITION DES JUGEMENTS ANALYTIQUES. Les jugements mathématiques sont-ils synthétiques ? Pour le savoir, il faut d’abord définir les termes de synthétique et d’analytique. Rappelons la définition textuelle de Kant : « Ou bien le prédicat B appartient au sujet A comme quelque chose qui est contenu (d’une manière cachée) dans ce concept A, ou bien B est tout à fait en dehors du concept A, bien qu’il soit en connexion avec lui7. Dans le premier cas j’appelle le jugement analytique, dans l’autre, synthétique » (B. 10). Cette définition suppose que tous les jugements sont des jugements de prédication. Or il est reconnu aujourd’hui qu’il y a bien d’autres formes de jugements, qui sont irréductibles aux jugements de prédication ; autrement dit, qu’il y a une multitude de relations qu’on peut penser et affirmer entre deux ou plusieurs objets, et que ces relations ne peuvent pas se ramener à l’unique relation d’inclusion de deux concepts (exprimée par la copule est). Même au point de vue de la logique kantienne, cette définition est trop étroite, car elle ne s’applique qu’aux jugements catégoriques, et non aux jugements hypothétiques et disjonctifs, qui, de l’aveu même de Kant, établissent un rapport, non plus entre deux concepts, mais entre deux ou plusieurs jugements (B. 98). Ce défaut est d’autant plus étonnant que Kant déclare ailleurs n’avoir jamais été satisfait de la définition que les logiciens donnent en général du jugement, en disant que c’est la représentation d’un rapport entre deux concepts (B. 140, § 19 de la Critique)8. La définition de Kant est donc absolument insuffisante en principe. M. Vaihinger a essayé de la justifier, en [239] disant qu’elle doit comprendre les jugements de relation, puisque Kant l’appliquera 7 On pourrait remarquer que l’alternative n’est pas complète, du moins dans les termes précis de l’énoncé : en effet, entre le cas où B est contenu (entièrement) dans A, et celui où il est tout entier hors de (ganz ausser) A, il y a le cas où B n’est ni inclus dans A ni exclu de A. Or ce dernier cas est celui des jugements particuliers. 8 Cette remarque a été faite par KOPPELMANN, Kant’s Lehre vom analytischen Urtheil, ap. Philosophische Monatshefte, t. XXI, pp. 65-101 (1885). 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- Publié le Mai 14, 2021
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