Formation Former un animateur aux processus de pensée philosophiques Des compét
Formation Former un animateur aux processus de pensée philosophiques Des compétences pour conceptualiser (I) Michel Tozzi, didacticien de l’apprentissage du philosopher, formateur d’animateurs d’ateliers philo Ce texte, qui s’adresse aux praticiens des ateliers philo et à leurs formateurs, a pour objectif leur formation aux processus de la pensée réflexive. La première partie traitera de la conceptualisation. Un second texte traitera des compétences à problématiser et argumenter. Un dernier de la compétence interprétative… Introduction La question de la formation est essentielle pour se sentir à l’aise dans l’animation d’un atelier philo, plus légitime à ses yeux et aux yeux d’autrui. Ce n’est pas évident pour quelqu’un qui a suivi un cursus universitaire de philosophie, qui aura suivi nombre de cours sur des doctrines, des auteurs, des textes, bref sur l’histoire de la philosophie, mais n’aura peut-être jamais vécu à l’université une véritable discussion philosophique en cours. Ce n’est pas évident non plus pour un professeur de philosophie du secondaire, qui dans l’état actuel des habitus de la profession, passe plus de temps à faire cours, expliquer des textes ou travailler des dissertations qu’à faire discuter ses élèves (même si certains jeunes enseignants y sont plus sensibles), parce que la discussion n’est pas au centre du paradigme français de la didactique de la philo (le tryptique : un cours sur des notions, des explications de textes de philosophes et la dissertation). Il est de plus habitué à des élèves de terminale, et non du primaire ou de collège ; et à des élèves, non des adultes, comme dans un café philo. D’où les difficultés qu’il va rencontrer à animer une discussion dans une école ou dans la Cité. Ce n’est pas évident enfin, pour un enseignant non philosophe du primaire ou de collège, chez lequel la formation philosophique date de la terminale, et dont les souvenirs peuvent être légers ou pénibles… On peut donc se demander, dans ces trois cas, quelle formation s’avère nécessaire pour un animateur d’atelier philo ? I) Former à des compétences Nous posons que la professionnalité de celui-ci suppose l’acquisition de compétences en : animation de groupes (la notion-clef est ici celle d’animation, distincte de celle d‘enseignement) ; animation d’échanges d’idées (la notion-clef est ici celle de discussion sociocognitive). La difficulté majeure des enseignants, et en particulier des jeunes enseignants, est en effet de créer des interactions élèves-élèves) ; animation de discussion à visée philosophique (mais qu’est-ce ce que la « philosophicité » d’une discussion ?). Habiter la fonction d’animateur est un déplacement de posture par rapport à celle d’enseignant. Celui-ci a traditionnellement pour mission de transmettre un savoir (ici philosophique) et de vérifier s’il a été acquis. Un animateur travaille sur la dynamique d’un groupe plus que sur une transmission descendante ; et lorsqu’il s’agit d’une discussion, de faire vivre si possible à chacun des intervenants au cours des échanges l’expérience de la construction et de l’examen de sa propre pensée, puis de permettre au groupe d’expérimenter une vie intellectuelle collective sous forme d’échanges d’idées, ce que M. Lipman appelle une « communauté de recherche ». Il est donc sensible au questionnement de chacun pour lui permettre de préciser pleinement ses idées, et aux interactions entre participants, notamment cognitives. Quand la discussion est à visée philosophique, c’est la « philosophicité » des échanges qui est recherchée. La capacité d’un animateur à permettre une énonciation et à rendre une discussion philosophiques est donc fondamentale. Elle pose de grandes difficultés aux professeurs d’école, d’autant qu’ils doivent maintenant, depuis 2015, organiser des DVP (discussions à visée philosophique) dans leur classe en cours d’EMC (Enseignement moral et civique). D’où l’urgence de leur formation. Qu’est-ce qui donne alors sur le fond une visée philosophique à ce qui peut en rester à un échange – même démocratique dans la forme – d’opinions et de préjugés ? Notre réponse est la suivante, qui découle de l’élaboration théorico- pratique d’une didactique de l’apprentissage du philosopher : c’est pour une part la nature ou le thème de la question traitée (certains se prêtent plus facilement à un traitement philosophique), mais surtout la façon dont on traite celle-ci, par la mise en œuvre individuelle et collective par les participants à la discussion d’un certain nombre de processus de pensée dont l’animateur est la vigie et le garant. C’est la production de ces processus au cours de la discussion qui étaye la compétence philosophique (« penser par soi-même ») des participants comme apprentis-philosophes. Quels sont ces processus de pensée ? Ayant travaillé pendant deux ans avec une vingtaine d’enseignants de philosophie français tous correcteurs au bac, nous en avons dégagé ensemble, dans une perspective rationaliste, trois essentiels, requis par une dissertation : la problématisation, la conceptualisation et l’argumentation. F . Galichet en propose une quatrième, dans une tradition herméneutique, l’interprétation (d’une situation, d’un texte, d’une œuvre artistique, d’un phénomène culturel, d’une pratique sociale etc.). Clarifions un point : on problématise, conceptualise et argumente dans nombre de disciplines, mais pas de la même façon. Problématiser et conceptualiser par exemple sont des processus de pensée communs à la philosophie et à la science, mais ces mots ne recouvrent pas le même sens en philosophie et science, parce qu’il s’agit de champs distincts de la connaissance. Par exemple Aristote définit le concept d’homme par le genre prochain (animal) et la (ou les) différence(s) spécifique (s) (qui a une raison, vit en Cité) ; alors que la vitesse en physique classique est définie comme un rapport quantifiable entre deux variables (l’espace et le temps). Dans les deux cas, on définit un concept, et le processus de conceptualisation s’effectue dans et par le langage (les mathématiques sont un langage), mais dans le premier la démarche est taxinomique (classification), alors que dans l’autre cas elle est relationnelle et numérique (mise en rapport de plusieurs grandeurs mesurables dont on établit une loi de leurs variations respectives). De la même façon l’administration de la preuve n’est pas du même registre épistémologique en science (on démontre en mathématiques ; on observe, expérimente, vérifie et modélise dans les sciences de la nature) et en philosophie (Dieu n’est pas une hypothèse scientifique, les « preuves de son existence » - par exemple chez Saint-Anselme, Thomas d’Aquin, Descartes ou Leibniz - ne sont pas de cet ordre, mais néanmoins elles font appel à la raison et sont rationnellement discutables, comme on le voit chez certains philosophes). Il ne faut pas confondre raison scientifique et raison philosophique, sinon le positivisme aurait depuis longtemps eu raison de la philosophie. Par ailleurs on argumente aussi bien en français qu’en philosophie, mais dans cette dernière l’argumentation se veut rationnelle et vise l’auditoire universel des esprits, comme dit Perelman ; alors qu’en français on peut aussi (c’est l’objectif de la didactisation de la rhétorique), argumenter (voire persuader) pour un auditoire particulier, pour un groupe déterminé (ex : pour un électorat précis, un segment du marché de consommateurs…) Être formé aux processus de pensée du philosopher implique : d’avoir vécu des situations d’échanges où leur emploi aura été examiné : identifié, problématisé, caractérisé ; de comprendre et faire comprendre en quoi ils consistent ; de les pratiquer soi-même ; de les faire pratiquer par les élèves. Ce qui soulève plusieurs questions : pour prendre un exemple, qu’est-ce conceptualiser une notion ? Comment didactiser cette conceptualisation, c’est-à-dire rendre accessible ce concept à des élèves, et des élèves d’âges différents ? Dans cette didactisation, peut-on, faut-il distinguer des niveaux de conceptualisation ? Quelles sont les difficultés à conceptualiser ? Et selon l’âge ? Comment les surmonter ? Comment conceptualiser dans une discussion ? Comment aider les élèves (et des adultes) à conceptualiser ? Les questions se posent dans deux registres : philosophique (Qu’est-ce qu’un concept ? Qu’est-ce que conceptualiser ?) et didactique (Comment faire conceptualiser des élèves ?). Registres à ne pas confondre épistémologiquement. Car toute didactisation d’une activité philosophique implique certains présupposés philosophiques, qui peuvent être interrogés, ce qui relativise cette pratique ; et toute position philosophique entraîne un certain type de didactisation, qui est donc relative à ce positionnement. Il n’y a donc pas de bonne méthode dans l’absolu (sinon on tomberait dans le dogmatisme) … II) Le processus de conceptualisation (1) A) Le versant philosophique Nous sommes peut-être là au cœur de l’activité du philosopher, tout au moins pour certains philosophes. G. Deleuze ne définit-il pas la philosophie comme « la discipline qui consiste à créer des concepts » (Qu’est-ce que la philosophie ? p. 10) ? Chaque philosophe a sa façon particulière de conceptualiser. Guéroult le montre à propos de Descartes, Kojève à propos de Hegel, Deleuze à propos de Spinoza ou Nietzsche etc. On sait que dans la tradition classique du rationalisme occidental, le concept est un instrument au service d’une démarche discursive de connaissance dépendante d’une logique de la représentation. Un premier courant, platonicien, se situe dans une logique de la vision abstraite de l’objet (matériel ou mental) la plus juste possible, et renvoie à la contemplation. Un second, plus kantien, fait du concept l’outil privilégié d’une construction de la connaissance, qui uploads/Philosophie/ former-aux-processus-de-pensee-v3-conceptualisation-et-carte-mentale-conceptualiser.pdf
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- Publié le Mai 24, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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