S E X O A N A LY S E D ans les années soixante-dix, la sexologie clinique était
S E X O A N A LY S E D ans les années soixante-dix, la sexologie clinique était presque entièrement sous l’emprise des comportementalistes. À l’aide de tech- niques de rééducation sexuelle et de per- missions thérapeutiques, on libérait les inhibitions superficielles et on améliorait la fonctionnalité génitale. Les stratégies thérapeutiques étaient fort simples : par exemple, en neutralisant l’anxiété de per- formance de l’homme impuissant, on rétablissait ses capacités érectiles; par la technique de “compression pénienne”, on facilitait un meilleur contrôle éjacula- toire; par des dilatations vaginales, on permettait à la femme vaginique de s’ou- vrir physiologiquement au coït; par une autorisation à l’auto-érotisme, on per- mettait à des femmes anorgastiques d’ac- céder à la jouissance. Les premières applications cliniques de mes recherches sur l’imaginaire érotique au début des années quatre-vingt m’avaient aussi laissé croire à la pertinence d’une intervention de surface focalisée sur le réseau strictement conscient. Je croyais alors qu’il était possible de refaçonner l’imaginaire et le mode d’érotisation par de simples prescriptions ou par un travail de rééducation. Les comportementalistes m’avaient influencé et j’ai cru un moment aux métamorphoses magiques. Quelle illu- sion ! Quelle naïveté ! Par la suite, j’ai constaté que les résultats cliniques si spectaculaires des interven- tions comportementalistes étaient, dans bien des cas, assez éphémères. Au mieux, on rendait possible une meilleure fonc- tionnalité génitale sans changer vérita- blement la dynamique sexuelle de l’indi- vidu. Tout cela reposait sur une conception réductionniste de la sexualité humaine. D’où mon intérêt pour l’explo- ration des couches plus profondes du psy- chisme et des conflits inconscients, dont les troubles sexuels sont porteurs. Je trou- vais plus instructif d’aller du côté des éga- rements de la mémoire, de la répression, du refoulement, bref dans les voies secrètes du psychisme, pour comprendre vraiment la sexualité humaine dans toute son étrangeté et sa complexité. Il me sem- blait de plus en plus évident que, pour résoudre un trouble sexuel, on ne pouvait faire l’économie des forces inconscientes. Cette conviction m’a amené, au début des années quatre-vingt, à créer la sexoana- lyse, un nouveau chapitre de la sexologie ayant comme objet d’étude l’inconscient sexuel. Depuis lors, plusieurs cliniciens se sont intéressés à ce nouveau champ d’études. Même si elle est encore bien jeune, la sexoanalyse a son histoire. Cer- taines hypothèses que j’ai formulées il y a une dizaine d’années doivent être révi- sées et nuancées. C’est ce que je tenterai de faire dans cet article. Définition de la sexoanalyse Initialement, j’ai forgé le mot sexoanalyse pour désigner une nouvelle approche sexothérapeutique. La sexoanalyse se démarquait des autres sexothérapies par RÉSUMÉ : Après avoir présenté les hypothèses sexoanalytiques centrales concernant le développement psychosexuel, l’auteur établit une distinction entre la maturité et la santé sexuelle. Il précise les liens entre les fantasmes, les rêves et la réalité. Il propose ensuite une classification des désordres sexuels. Une nouvelle typologie des homosexualités est suggérée. C. CRÉPAULT Nouvelles hypothèses en sexoanalyse CRÉPAULT C. (2004) Rev. Europ. Sexol ; Sexologies ; (XIII), 48 : 12-19 - VOL.XIII, N°48 Le professeur Claude Crépault est cofondateur du Département de Sexologie de l’Uni- versité du Québec à Montréal (UQAM). Il y enseigne depuis 1969. Ses travaux de recherche sont centrés sur l’imaginaire sexuel, sur les liens entre les fantasmes, les rêves et la réalité. Il a développé un nouveau chapitre de la sexologie, à savoir la sexoanalyse qui a comme objet d’étude l’inconscient sexuel et qui est aussi une approche sexothérapeutique. Il a formé plusieurs dizaines de sexoanalystes à l’UQAM. Tableau 1 : Combinaisons des fantasmes et des rêves sexuels. Rêves sexuels Fantasmes sexuels Comportements sexuels + + + L’hyperérotique + + - Le non-réalisant - + - Le fantasmant + - - Le rêveur + - + Le non-fantasmant - + + Le non-rêveur - - + L’opératoire - - - L’anérotique MOTS-CLEFS : • Sexoanalyse • Santé sexuelle • Inconscient sexuel • Désordres sexuels • Homosexualités l’accent qu’elle mettait sur les significa- tions inconscientes des troubles sexuels et sur le travail correctif sur l’imaginaire. L’objectif central était d’amener le patient à comprendre la genèse de son trouble sexuel et les facteurs inconscients qui contribuent à son maintien pour ensuite faire une expérience corrective sur l’ima- ginaire et le réel afin de rétablir la fonc- tionnalité sexuelle et de permettre l’ac- quisition d’une meilleure maturité et santé sexuelle. Par la suite, la sexoanalyse s’est appuyée sur ses propres référentiels onto- géniques en suggérant des hypothèses originales en ce qui concerne le dévelop- pement de la genralité et ses liens avec la fonction érotique. La sexoanalyse est devenue à la fois une thérapeutique et une “théorie” du développement psy- chosexuel (Crépault, 1986, 1997; Crépault et Côté, 1999; Crépault et Lévesque, 2001). Actuellement, je dirais que la sexoanalyse est avant tout l’étude de l’inconscient sexuel et de ses manifestations. Le sexuel en sexoanalyse Dans les écrits sexologiques, le sexuel est habituellement associé à la sexualité et à la fonction génitale. La pensée psychanaly- tique freudienne a donné une plus grande extension à la notion de sexualité en l’as- similant, du moins dans l’enfance, à l’en- semble des plaisirs et des excitations liés à l’assouvissement des besoins physiolo- giques fondamentaux (respiration, faim, fonction d’excrétion). Pour Freud, la sexua- lité n’est pas réductible au génital; tout plaisir est en lien direct avec la sexualité. Dans la vision freudienne, la sexualité semble se confondre avec l’“hédonicité”. Comparativement à la théorie psychana- lytique freudienne, la sexoanalyse donne un sens plus large à la notion de sexuel, mais définit plus étroitement la notion de sexualité. En sexoanalyse, le sexuel renvoie à la sexualité, à la “genralité” et au rapport à l’autre sexe. La sexualité désigne l’en- semble des productions fantasmatiques et des conduites réelles qui sont une source potentielle ou manifeste de plaisir érotique. Le plaisir érotique est défini comme une impression subjective spécifique suscep- tible de provoquer une excitation génitale. On voit ici que les concepts de sexualité et génitalité sont assez proches en sexoana- lyse. La “genralité” – un néologisme que j’ai forgé au début des années quatre-vingt- dix – est la quantité de masculinité et de féminité dont est porteur un individu. Quant au rapport à l’autre sexe, la troi- sième sphère du sexuel en sexoanalyse, il fait référence à l’ensemble des perceptions conscientes et inconscientes concernant l’autre sexe. Jusqu’ici, nous avons passa- blement occulté le rapport au même sexe. On aurait toutefois avantage à l’inclure dans la troisième sphère du sexuel. Le sexuel comme noyau étiologique Les troubles sexuels ne se limitent pas aux dérèglements de la fonction érotique ; ils englobent aussi les désordres de la gen- ralité et du rapport à l’autre sexe. Dans le tableau clinique, il n’est pas rare de retrou- ver en juxtaposition ces trois anomalies. Le trouble sexuel est mis en relation avec l’histoire sexuelle et les conflits qui ont pu en résulter. Autrement dit, on tente d’ex- pliquer le sexuel par le sexuel. On a donc un regard essentiellement sexologique sur les troubles sexuels. Prenons à titre d’exemple le travestisme fétichiste chez l’homme. Pour en comprendre la genèse, il faut regarder du côté de l’histoire sexuelle, c’est-à-dire du développement de la genralité, du rapport à l’autre sexe et des accidents de parcours dans l’éroto- genèse, par exemple une sexualisation défensive précoce, un conflit œdipien non résolu. D’autres facteurs non sexuels, par exemple une relation parentale défec- tueuse, une carence narcissique, des expé- riences d’abandon, pourront maximiser des perturbations sexuelles, sans être tou- tefois suffisants en eux-mêmes pour les induire. Ainsi, pour reprendre notre exemple du travestisme fétichiste, nous avons de bonnes chances de retrouver dans ce désordre un traumatisme genral et, plus spécialement, des attaques mas- sives à la masculinité et une forte anxiété de castration. On sera aussi susceptible de retracer des expériences perturbantes dans la relation à l’autre sexe (mépris, rejet, abandon par des femmes). Pour d’autres anomalies sexuelles, par exemple l’incapacité à érotiser un lien fusionnel (ce que nous appelons en sexoanalyse l’ané- rotisme fusionnel), des expériences sexuelles atypiques (abus sexuel, inceste fantasmatique ou réel) ou un éveil sexuel précoce fortement culpabilisé pourront en être la cause principale. Hypothèses sur le développement de la genralité S’appuyant, entre autre, sur les travaux de Stoller (1978, 1989), la théorie sexoa- nalytique reconnaît l’existence d’une phase de féminité primaire, d’une proto- féminité commune aux deux sexes. Pour accéder à la masculinité, le garçon doit se désidentifier “genralement” de l’élément maternel et renoncer, du moins tempo- rairement, à ses composants féminins. Il doit en plus trouver un modèle identifi- catoire masculin (habituellement le père). La masculinité est donc vue comme une construction secondaire facilitée par la mise en veilleuse de la féminité de base et par l’émergence de l’agressivité phal- lique. L’agressivité phallique serait une force masculinisante, une sorte de prin- cipe additif que j’ai appelé le facteur Y. Elle renvoie à l’ensemble des fantasmes et des conduites manifestes visant à démontrer la puissance phallique et à imposer une domination intersexuelle ou intrasexuelle. Elle ne doit pas être confon- due avec l’agressivité uploads/Philosophie/ crepault-sexo48.pdf
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- Publié le Sep 05, 2021
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