A propos de « Cogito et histoire de la folie » Author(s): Jacques Derrida Sourc

A propos de « Cogito et histoire de la folie » Author(s): Jacques Derrida Source: Revue de Métaphysique et de Morale , Janvier-Mars 1964, 69e Année, No. 1 (Janvier-Mars 1964), pp. 116-119 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40900799 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale This content downloaded from 141.2.140.67 on Fri, 03 Jun 2022 16:22:38 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CORRESPONDANCE A propos de « Cogito et histoire de la folie » * 1. L* intelligence du discours patent, première étape nécessaire (p. 462, 1. 12) : Dans la Traumdeutung (eh. 2, 1), à propos du lien entre le rêve et l'expression verbale, Freud rappelle la remarque de Ferenczi : toute langue a sa langue de rêve. Le contenu latent d'un rêve (et d'une conduite ou d'une conscience en général) ne communique avec le contenu mani- feste qu'à travers l'unité d'une langue ; d'une langue que l'analyste doit donc parler le mieux possible. (Cf. à ce sujet, D. Lagache, Sur le poly- glottisme dans V analyse, in La Psychanalyse, t. I, 1956). Le mieux pos- sible : le progrès dans la connaissance et la pratique d'une langue étant par nature ouvert à l'infini (d'abord en raison de l'équivocité originaire et essentielle du signifiant dans le langage, au moins, de la « vie quoti- dienne », de son indétermination et de son espace de jeu qui libère pré- cisément la différence entre le caché et le déclaré ; ensuite, en raison de la communication essentielle et originale de langues différentes entre elles à travers l'histoire ; enfin en raison de l'infinie mémoire de soi ou « sédi- mentation » de chaque langue), l'insécurité ou l'insuffisance de l'analyse n'est-elle pas principielle ou irréductible ? Et l'historien de la philo- sophie, quels que soient sa méthode et son projet, n'est-il pas livré aux mêmes menaces ? Surtout si l'on tient compte d'un certain enracine- ment du langage philosophique dans le langage non-philosophique. 2. La folie, thème ou index (p. 482, 1. 12) : Ce qui est significatif, c'est que Descartes, au fond, ne parle jamais de la folie elle-même dans ce texte. Elle n'est pas son thème. Il la traite comme un index pour une question de droit et de valeur épistémologique. C'est peut-être là, dira- ♦ Cf. dans le numéro précédent, J. Derrida, Cogito et histoire de la folie (p. 460) Nous publions ici des notes ou additions que l'auteur nous a fait parvenir après l'impression. 116 This content downloaded from 141.2.140.67 on Fri, 03 Jun 2022 16:22:38 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Correspondance t-on, le signe d'une exclusion profonde. Mais ce silence sur la folie elle- même signifie simultanément le contraire de l'exclusion, puisqu'iZ ne s'agit pas de la folie dans ce texte, qu'il n'en est pas question, fût-ce pour l'exclure. Ce n'est pas dans les Méditations que Descartes parle de la folie elle-même. 3. Folie et erreur (p. 483, 1. 25) : II faudrait préciser, pour souligner cette vulnérabilité et toucher à la plus grande difficulté, que les expressions « faute des sens et du corps » ou « erreur du corps » n'auraient aucune signification pour Descartes. Il n'y a pas d'erreur du corps, en parti- culier dans la maladie : la jaunisse ou la mélancolie ne sont que les occa- sions d'une erreur qui naîtra seulement avec le consentement ou l'affir- mation de la volonté dans le jugement, quand « nous jugeons que tout est jaune » ou quand « nous regardons comme des réalités les fantômes de notre imagination malade » (Règle XII. Descartes y insiste beaucoup : l'expérience sensible ou imaginative la plus anormale, considérée en elle- même, à son niveau et en son moment propre, ne nous trompe jamais ; ne trompe jamais l'entendement, « s'il se borne à avoir l'intuition nette de ce qui se présente à lui tel qu'il l'a, soit en lui-même, soit dans l'ima- gination, et si de plus il ne juge pas que l'imagination représente fidèle- ment les objets des sens, ni que les sens prennent les vraies figures des choses, ni enfin que la réalité extérieure est toujours telle qu'elle appa- raît »). 4. Langage philosophique et langage ordinaire (p. 485, 1. 4) : Comme Leibniz, Descartes fait confiance au langage « savant » ou « philoso- phique », qui n'est pas nécessairement celui qu'on enseigne dans les écoles (Règle III) et qu'il faut aussij soigneusement distinguer des « termes du langage ordinaire » qui peuvent seuls nous « décevoir » (Méditations, II). 5. Mémoire et folie (p. 489, 1. 29) : dans Pavant-dernier paragraphe de la sixième des Méditations, le thème de la normalité communique avec celui de la mémoire, au moment où celle-ci est d'ailleurs garantie par la Raison absolue comme « véracité divine », etc. D'une façon générale, la garantie du souvenir des évidences par Dieu ne signifie-t-elle pas que seule l'infinité positive de la raison divine peut réconcilier absolument la temporalité et la vérité ? Dans l'infini seule- ment, au delà des déterminations, des négations, des « exclusions » et des « renfermements », se produit cette réconciliation du temps et de la pensée (de la vérité) dont Hegel disait qu'elle était la tâche de la philo- sophie depuis le xixe siècle, alors que la réconciliation entre la pensée et l'étendue eût été le dessein des rationalismes dits « cartésiens ». Que l'infinité divine soit le lieu, la condition, le nom ou l'horizon de ces deux réconciliations, c'est ce qui n'a jamais été contesté par aucun métaphy- 117 This content downloaded from 141.2.140.67 on Fri, 03 Jun 2022 16:22:38 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Jacques Derrida sitien, ni par Hegel ni par la plupart de ceux qui, tel Husserl, ont voulu penser et nommer la temporalité ou l'historicité essentielles de la vérité et du sens. Pour Descartes, la crise dont nous parlons aurait finalement son origine intrinsèque (c'est-à-dire ici intellectuelle) dans le temps lui- même comme absence de liaison nécessaire entre les parties, comme contingence et discontinuité du passage entre les instants ; ce qui sup- pose que nous suivions ici toutes les interprétations qui s'opposent à celle de Laporte au sujet du rôle de l'instant dans la philosophie de Descartes. Seule la création continuée, unissant la conservation et la création qui « ne diffèrent qu'au regard de notre façon de penser », récon- cilie en dernière instance la temporalité et la vérité. C'est Dieu qui exclut la folie et la crise, c'est-à-dire les « comprend ». Ce qui revient à dire que la crise, l'anomalie, la négativité, etc., sont irréductibles dans l'expé- rience de la finitude ou d'un moment fini, d'une détermination de la rai- son absolue, ou de la raison en général. Vouloir le nier et prétendre assu- rer la positivité (du vrai, du sens, de la norme, etc.) hors de l'horizon de cette Raison infinie (de la raison en général et au delà de ses détermina- tions), c'est vouloir effacer la négativité, oublier la finitude au moment même où l'on prétendrait dénoncer comme une mystification le théolo- gisme des grands rationalismes classiques. 6. Raison infinie et exclusion de la folie (p. 489, note 1). Et qu'est-ce qui saurait exclure, réduire ou, ce qui revient au même, comprendre abso- lument la folie, sinon la raison en général, la raison absolue et sans déter- mination, dont l'autre nom est Dieu pour les rationalistes classiques ? On ne peut accuser ceux, individus ou sociétés, qui ont recours à Dieu contre la folie, de chercher à s'abriter, à s'assurer des garde-fous, des frontières asilaires, qu'en faisant de cet abri un abri fini, dans le monde, en faisant de Dieu un tiers ou une puissance finie, c'est-à-dire en se trom- pant ; en se trompant non pas sur le contenu et la finalité effective de ce geste dans l'histoire, mais sur la spécificité philosophique de la pensée et du nom de Dieu. Si la philosophie a eu lieu - ce qu'on peut toujours contester - c'est seulement dans la mesure où elle a formé le dessein de penser au delà de l'abri fini. En décrivant la constitution historique de ces garde-fous finis, dans le mouvement des individus, des sociétés et de toutes les totalités finies en général, on peut à la limite tout décrire - et c'est une tâche légitime, immense, nécessaire - sauf le projet phi- losophique lui-même. Et sauf le projet de cette description elle-même. On ne peut prétendre que le projet philosophique des rationalismes infinitistes a servi d'instrument ou d'alibi à une violence histórico -poli- uploads/Philosophie/ derrida-a-propos-de-cogito-et-histoire-de-la-folie.pdf

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