/// Paris, le mercredi 21 novembre 2012, Sorbonne. Discours de soutenance de th

/// Paris, le mercredi 21 novembre 2012, Sorbonne. Discours de soutenance de thèse La structure de la réolution numérique par Stéphane Vial @svial /// — Page 1 sur 9 — #1 Présentation Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Je tiens tout d’abord à vous remercier de l’intérêt que vous avez bien voulu porter à mon travail, en prenant part à ce jury et en me permettant de soutenir cette thèse de doctorat. La recherche que je présente devant vous aujourd'hui est une recherche philosophique. Son objectif est de proposer un renouvellement conceptuel dans l'analyse philosophique de la technique en général et des technologies numériques en particulier. Depuis vingt ans, en effet, le concept philosophique qui domine les études sur le numérique est le concept de virtuel. Ma thèse repose sur le postulat que ce concept, bien qu’il soit d’origine philosophique, n’est pas pertinent pour saisir philosophiquement la nature du phénomène numérique. C’est pourquoi la thèse consacre un chapitre entier à la déconstruction heuristique du concept de virtuel, que je ne fais qu’évoquer ici. Vingt ans d’accoutumance quotidienne aux interfaces nous montrent que la dimension de la virtualité n’est qu’une dimension parmi d’autres dans les expériences que nous vivons avec les appareils numériques. Nous avons besoin de nouveaux concepts plus aptes à saisir la complexité philosophique du phénomène numérique et susceptibles d’éclairer plus en profondeur le sens de ce que nous éprouons en face des interfaces. C’est pourquoi ce travail de thèse propose d’introduire le concept général d’ontophanie. Ce concept, dont l’étymologie convoque la dimension de l’être (ontos) et de l’apparaître (phaïnô), témoigne de l’approche fondamentalement phénoménologique que j’ai adoptée dans ce travail. De manière générale, on peut dire que ma thèse est une méditation sur la technique et la perception. Le numérique y est étudié comme phénomène, c’est-à-dire comme ce qui apparaît et se donne au sujet à travers les interfaces. Aussi, le principal résultat conceptuel auquel je suis parvenu et que je développerai dans cet exposé réside dans le concept général d’ontophanie technique (concept sur lequel se fonde en quelque sorte la philosophie première de ce travail) et dans sa déclinaison dans le concept particulier d’ontophanie numérique, qui est l’aboutissement principal de la thèse. — Page 2 sur 9 — #2 La méthode Le travail que j’ai mené se présente principalement comme un travail conceptuel. Cependant, il ne s’agit pas d’un travail purement spéculatif. Les concepts que je propose ont été mis au point de manière à pouvoir résister à l’épreuve de réalité. Et ce, en deux sens. D’abord, l’épreuve de réalité professionnelle. Depuis bientôt dix ans, j’exerce en parallèle de ma carrière d’enseignant des fonctions de concepteur Web. Au début, j’étais ce que Bernard Stiegler appelle (au sens noble du terme) un « amateur », c’est-à-dire un contributeur qui goûte à ce qu’il fait autant qu’il est fait par ce qu’il goûte. De cette époque, je garde l’amour du travail bien fait et du code bien écrit. Aujourd’hui, je dirige une agence de design interactif et j’enseigne le multimédia dans un Master professionnel. Mon travail philosophique est donc constamment soumis à l’épreuve de réalité de mon métier, au sens où l’observation quotidienne de la matière numérique, de ses comportements, de ses réactions, de ses petites manies, est devenue pour moi un terrain empirique que je présuppose constamment. Et je le revendique. Mon objectif dans ce travail n’est pas de créer uniquement des concepts pour les philosophes, mais de créer des concepts philosophiques opératoires, que chacun peut mettre à l’épreuve de son expérience numérique pour tenter d’en saisir l’originalité et la complexité propres. Ensuite, l’épreuve de réalité historique. Ma thèse fait une large part au travail des historiens. Il ne s’agit pas seulement de puiser dans l’histoire des exemples concrets nécessaires à mes démonstrations — ce qui permet déjà d’ancrer mon propos dans une certaine positivité. Il s’agit surtout d’un véritable choix de méthodologie philosophique. Je cherche à fonder ma philosophie de la technologie sur le matériau objectif de l’histoire des techniques, tout comme chez Bachelard l’épistémologie se fonde sur le matériau objectif de l’histoire des sciences. Ne jamais dissocier le propos philosophique du matériau historique, tel est le principe méthodologique que j’ai essayé de suivre pour ne jamais tomber dans l’écueil spéculatif ou, pire, dans l’écueil idéologique. C’est pourquoi les concepts que je développe sont constamment rapportés à des situations tirées de l’histoire des techniques et, en particulier, de l’histoire des appareils numériques. Par conséquent, pour bien saisir la démarche de ma thèse, il faut ajouter à la dimension phénoménologique une dimension d’épistémologie des techniques, fondée sur une connaissance et une expérience de première main du terrain numérique. — Page 3 sur 9 — #3 La problématique générale de l’ontophanie Tout le monde parle aujourd’hui de « révolution numérique ». C’est presque un fait social de vocabulaire. Mais qu’est-ce qui nous autorise à parler précisément de réolution ? En quoi les changements induits par les technologies numériques méritent-ils d’être considérés comme réolutionnaires ? Pourquoi ce mot ? u’est-ce qui se renerse et se bouleverse, se réforme et se transforme, se déplace et se remplace dans ce qu’on appelle la « révolution numérique » ? En un mot (et c’est là la question la plus générale à laquelle la thèse tente de répondre) : de quoi la révolution numérique est-elle la révolution ? La réponse peut tenir en une phrase : du point de vue phénoménologique, ce qui se renverse et se transforme dans la révolution numérique, ce dont nous procédons au remplacement, ce sont nos structures perceptives. Telle est ma thèse. À travers l’adoption au plan socio-historique d’un nouveau système technique (en l’occurrence, celui que j’appelle le système technique numérique), nous adoptons au plan phénoménologique une nouvelle matrice ontophanique (en l’occurrence, celle que j’appelle l’ontophanie numérique). En ce sens, la révolution numérique, comme toute révolution technique, est une révolution ontophanique, c’est-à- dire un ébranlement du processus par lequel l’être nous apparaît et, par suite, un bouleversement de l’idée même que nous nous faisons de ce qui est réel. C’est pourquoi la révolution numérique contient une certaine violence phénoménologique : elle introduit dans nos existences un véritable choc perceptif. Dès lors, on peut dire la réolution numérique fonctionne comme une révélation numérique. Elle nous révèle que nous ne sommes pas seulement entourés d’objets objectivement techniques. Elle nous révèle que nous sommes déjà des sujets subjectivement techniques (ou technifiés). Elle nous révèle que notre rapport-au-monde, comme rapport phénoménologique aux choses mêmes, est fondamentalement conditionné par les techniques de l’époque dans laquelle nous vivons. Comme le moule coule le plastique, les techniques coulent nos perceptions et notre culture matérielle de référence coule notre capacité particulière à être-au-monde. Tel est le sens du concept d’ontophanie technique, que j’ai forgé à partir du concept bachelardien de phénoménotechnique. La phénoménotechnique, qu’est-ce que c’est ? C’est justement l’idée que les techniques engendrent les phénomènes. Dans la physique quantique, par exemple, c’est seulement quand on met en marche les appareils que les phénomènes apparaissent. L’idée d’ontophanie technique est donc simplement l’idée d’une phénoménotechnique généralisée, c’est-à-dire étendue à tous les phénomènes, bien au-delà de la science. C’est l’idée que le fait d’apparaître comme une chose, le fait d’être phénomène, est un processus phénoménotechnique en soi. Les objets ou dispositifs techniques sont tous des appareils, c’est-à-dire des machines phénoménotechniques ou machines à faire apparaître le monde. Et l’ensemble des machines phénoménotechniques d’une époque — Page 4 sur 9 — donnée constituent ce que j’appelle une matrice ontophanique. En ce sens, toute perception est le fruit d’une machination technique. Sans doute cela était-il déjà visible avant les appareils numériques. Mais en nous apportant des « perceptions d’un monde inconnu » (pour reprendre une formule de Bachelard à propos de la microphysique), les interfaces numériques ont profondément bouleversé la culture ontophanique dans laquelle nous avions pris l’habitude de vivre. Pourquoi ? Parce qu’elles nous ont mis en présence de nouvelles formes de l’être, telles que les procédures algorithmiques et interactives (que nous pratiquons à travers nos interfaces) ; telles que les icônes et les avatars (que nous utilisons dans nos différents environnements simulés) ; ou telles que les innombrables actions de connexion, navigation, notification, et j’en passe (que nous pratiquons sur les réseaux). Bref, les interfaces numériques ont modifié nos habitudes phénoménologiques. S’interroger philosophiquement sur la révolution numérique, c’est donc tenter de comprendre en quoi consiste cette nouvelle phénoménologie du monde, celle de la matière calculée, celle que j’appelle l’ontophanie numérique. Quel est l’être des êtres numériques ? Et que font-ils à notre être ? Telles sont les questions fondamentales auxquelles cette thèse tente de répondre en postulant que l’être est toujours une construction anthropotechnique, qui implique la culture matérielle d’une époque donnée. — Page 5 sur 9 — #4 La théorie des révolutions techniques J’en viens maintenant à la théorie des révolutions techniques qui sous-tend toute la thèse. Si mon propos est principalement phénoménologique, il ne prend son sens que grâce au socle épistémologique sur lequel il s’appuie. Ce socle, c’est celui de la théorie uploads/Philosophie/ discours-de-soutenance.pdf

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