E R. Laurent Giassi L’ESPRIT SELON HEGEL Essais et Recherches Les textes publié

E R. Laurent Giassi L’ESPRIT SELON HEGEL Essais et Recherches Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Laurent Giassi - Philopsis 2010 Philopsis éditions numériques http ://www.philopsis.fr E R. L’esprit selon Hegel « Il [Pécuchet] se procura une introduction à la philosophie hégélienne, et voulut l'expliquer à Bouvard. -« Tout ce qui est rationnel est réel. Il n'y a même de réel que l'idée. Les lois de l'Esprit sont les lois de l'univers ; la raison de l'homme est identique à celle de Dieu ». Bouvard feignait de comprendre. -« Donc, l'absolu c'est à la fois le sujet et l'objet, l'unité où viennent se rejoindre toutes les différences. Ainsi les contradictoires sont résolus. L'ombre permet la lumière, le froid mêlé au chaud produit la température, l'organisme ne se maintient que par la destruction de l'organisme ; partout un principe qui divise, un principe qui enchaîne ». Ils étaient sur le vignot ; et le curé passa le long de la claire-voie, son bréviaire à la main. Pécuchet le pria d'entrer, pour finir devant lui l'exposition d'Hegel et voir un peu ce qu'il en dirait. L'homme à la soutane s'assit près d'eux ; et Pécuchet aborda le christianisme. -« Aucune religion n'a établi aussi bien cette vérité : « La Nature n'est qu'un moment de l'idée ! » -Un moment de l'idée ! murmura le prêtre, stupéfait. - Mais oui ! Dieu, en prenant une enveloppe visible, a montré son union consubstantielle avec elle. - Avec la Nature ? oh ! oh ! - Par son décès, il a rendu témoignage à l'essence de la mort ; donc, la mort était en lui, faisait, fait partie de Dieu ». L'ecclésiastique se renfrogna. Philopsis © Laurent Giassi 3 http://www.philopsis.fr -« Pas de blasphèmes ! C’était pour le salut du genre humain qu'il a enduré les souffrances.. » -Erreur ! On considère la mort dans l'individu, où elle est un mal sans doute, mais relativement aux choses, c'est différent. Ne séparez pas l'esprit de la matière ! -Cependant, monsieur, avant la création... - Il n'y a pas eu de création. Elle a toujours existé. Autrement ce serait un être nouveau s'ajoutant à la pensée divine ; ce qui est absurde. » Le prêtre se leva ; des affaires l'appelaient ailleurs. -« Je me flatte de l'avoir crossé ! » dit Pécuchet. -« Encore un mot ! Puisque l'existence du monde n'est qu'un passage continuel de la vie à la mort, et de la mort à la vie, loin que tout soit, rien n'est. Mais tout devient ; comprends- tu ? -« Oui ! Je comprends, ou plutôt non ! » L'idéalisme à la fin exaspérait Bouvard » (Bouvard et Pécuchet, VIII, Flaubert) Flaubert a beau jeu d’ironiser sur l’absurdité manifeste des propos de ce pauvre Pécuchet qui se perd dans le galimatias philosophique après une lecture rapide de résumés mal digérés de la philosophie hégélienne. Si comme Flaubert l’indique souvent « la bêtise consiste à vouloir conclure »1, la pensée systématique de Hegel ne pouvait que l’agacer. Le comique naît ici du transfert de propositions spéculatives dans le discours commun, sans justification aucune : abstraites du cadre systématique, les formules hégélienne relatives à l’esprit, à l’Idée apparaissent comme autant de défis au bon sens propres à montrer la vacuité de la philosophie. On comprend que Bouvard soit exaspéré par cette présentation de l’idéalisme absolu. Qui ne le serait à sa place ? Quand on traite de l’esprit chez Hegel, les voies d’approche sont multiples : historiquement c’est la rupture avec Schelling à Iéna qui amène Hegel à compléter la Naturphilosophie schellingienne, transformée en philosophie de l’identité, par une philosophie de l’esprit. Du point de vue de la genèse du système hégélien, c’est la 1 Lettre à Louis Bouilhet, 4 septembre 1850. Philopsis © Laurent Giassi 4 http://www.philopsis.fr Phénoménologie de l’Esprit comme système et introduction au système qui donne une présentation des différentes figures de l’Esprit, depuis la certitude sensible jusqu’à la Religion. Enfin lors de la constitution du système c’est dans le cadre d’une Philosophie de l’esprit, comme troisième partie de l’Encyclopédie des sciences philosophiques que Hegel présente l’esprit sous sa forme triadique – l’esprit subjectif, l’esprit objectif, l’esprit absolu. En laissant de côté les leçons relatives à l’art, la religion ou l’histoire, où les développements sur l’essence de l’esprit ne manquent pas, on voit l’abondance des matériaux. A partir de là une double possibilité se présente : une présentation diachronique de la philosophie de l’esprit, de 1801 à 1827-1830, des premières Philosophies de l’esprit de Iéna jusqu’à la version finale de l’Encyclopédie, ou une présentation systématique, se limitant à une œuvre en particulier. Si on choisit la première possibilité, l’entreprise serait trop vaste, obligeant à de nombreux parallèles entre les œuvres de la jeunesse et de la maturité. Cela donnerait peut-être l’impression d’une continuité discursive seulement interrompue par des aléas extérieurs au système. Si on choisit la deuxième possibilité se pose alors la question du choix de l’œuvre: entre les Philosophies de l’esprit de Iéna, la Phénoménologie et la Philosophie de l’Esprit de l’Encyclopédie, laquelle choisir ? A l’époque où on croyait voir dans l’œuvre de 1807 l’opus hégélien par excellence, l’expression de la génialité philosophique, on aurait fait de la Phénoménologie le seul point de départ valable pour une analyse de l’Esprit chez Hegel. On a depuis longtemps rejeté le mythe d’une Phénoménologie préservée de l’ossification logique. Si on veut comprendre l’articulation de l’Esprit, c’est à l’Encyclopédie2 qu’il faut recourir car elle présente la totalité du système, ce qui n’interdit pas de la compléter par d’autres œuvres de Hegel si nécessaire. On montrera tout d’abord la signification de l’esprit dans le cadre d’une philosophie spéculative de l’esprit. Ce sera l’occasion de montrer qu’une telle philosophie s’oppose aussi bien à la pneumatologie rationnelle de l’ancienne métaphysique qu’à ce que 2 Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. B.Bourgeois, La science de la logique (I), 1986, La philosophie de la nature (II), 2004, La philosophie de l’esprit (III), 1988, Paris, Vrin. Philopsis © Laurent Giassi 5 http://www.philopsis.fr Fichte, après Platner, appelait l’histoire pragmatique de l’esprit humain (1) En intégrant l’Anthropologie à la doctrine de l’esprit subjectif Hegel admet une infrastructure naturelle de l’esprit tout en évitant la naturalisation de celui-ci. Quant à la Psychologie elle est la discipline qui permet de voir à l’œuvre l’esprit subjectif dans son double mouvement d’intériorisation et d’extériorisation (2-8). On indiquera enfin les conséquences de l’intégration de l’esprit objectif et de l’esprit absolu dans une philosophie de l’esprit. Par là Hegel repousse les limites entre la psychologie vouée à l’étude des phénomènes du sens interne et les autres disciplines chargées d’étudier le sens des productions spirituelles par lesquelles l’humanité s’objective dans l’histoire (9). La décomposition du système hégélien montre les difficultés qui surgissent dans l’interprétation de cette objectivation de l’esprit dans l’histoire et dans ses œuvres, de Marx à Dilthey (10). Philopsis © Laurent Giassi 6 http://www.philopsis.fr 1. La définition de l’Absolu comme esprit Avant d’analyser l’exposition encyclopédique de l’esprit il faut remonter à la forme car sans elle il n’y pas de présentation du contenu, pour la simple raison que la philosophie spéculative récuse l’idée d’une forme indépendante du contenu et d’un contenu préexistant à la forme. La philosophie spéculative est auto- présentation discursive de la forme comme seul contenu de la pensée, formulation qui prête à tous les malentendus si jamais on voit là une déduction a priori des éléments du réel qui est au pire grotesque (à peu près comme Minerve qui sort toute ailée de la tête de Jupiter) ou bien encore malhonnête (puisque ce qui est déduit a priori existe déjà et ne peut être ainsi déduit que parce qu’il existe déjà). Dans le cas de l’esprit ce serait parce que quelque chose comme l’esprit existe comme un étant particulier ou comme un domaine ontique déterminé que le philosophe pourrait tenir un discours sur lui3. Hegel est pourtant clair sur ce point : la philosophie ne part pas de ce que lui donne la représentation immédiate ou l’expérience4. Si on veut rendre compte de la possibilité d’une philosophie de l’esprit et il faut remonter à la philosophie comme système de la vérité et au vrai comme résultat de son propre mouvement comme l’indique Hegel dans la Préface de la Phénoménologie. La thèse hégélienne prend son sens dans le contexte polémique d’une relativisation du paradigme schellingien : les réflexions de Hegel et ses premiers travaux philosophiques5 l’ont porté à juger insatisfaisante la méthode de Schelling qui part de 3 On reconnaît là ce que Hegel appellera la Première position à l’égard de l’objectivité dans le Concept préliminaire de l’Encyclopédie et qui est typique de la philosophie scolastique admettant que ses objets existaient comme tels (§30, p. 295). 4 Encyclopédie, Introduction (1817), §1 et Introduction (1827-1830), § 17. 5 En particulier l’article publié dans le Kritisches Journal der Philosophie, Des manières de traiter uploads/Philosophie/ esprit-hegel.pdf

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