La structure du mélange dans la pensée antique Le Mélange constitue chez les gr
La structure du mélange dans la pensée antique Le Mélange constitue chez les grands penseurs de l'antiquité grecque un thème, une image de pensée fondamentale qui coïncide avec leur intuition même concernant le Tout. HERACLITE Ainsi chez Heraclite nous avons affaire à un système dans lequel le processus intégral de la cosmogonie se réduit au montage et au démontage d'un mélange de plus en plus véhément, se renouant à tout instant, se ruant dans un sens vertical. Considéré analytiquement, le cycle de la mixtion héraclitéenne comporte trois moments — que les Stoïciens distingueront soigneusement plus tard : le mélange-juxtaposition, le mélange intime et total, enfin le mélange-confusion infinie. Ce dernier est le synonyme de la conflagration héraclitéenne, l'acmé de la voie ascendante, comme le mélange-juxtaposition est le terminus de la voie qui descend. Quant au mélange intime et total, il est l'intermédiaire entre les deux et correspond au processus de parcours, au mouvement éternel de la Justice qui pénètre sous la forme du Feu (Soleil intelligible selon Platon) la totalité des choses. Cette justice héraclitéenne, synonyme du Logos et du voue, ou encore du Feu et de l'Un, se présente chez l'Éphésien comme la causalité instauratrice de toute chose, l'entité qui est en même temps la cause, la limite, le mixte et l'illimité. Les analyses étymologiques du Cratyle nous montrent que la Justice- Unité est en effet la Cause-limite qui pénètre ; or cette dernière ne peut être qu'illimitée, vu la conception héraclitéenne de l'identité des contraires. Mais cette cause-limite infinie est simultanément le mixte : c'est ce que désigne aussi bien le mot Xoyoç que les mots 2juvov et Iv qui nous suggèrent une sorte de rassemblement, un état d'être-avec qui est très proche de celui d'un mélange total. Nous avons affaire, en dernière analyse, à un principe qui se rassemble et se disperse, à un mixte Un-infini qui présente toute l'unité et la pureté absolue de la Cause et de la limite et en même temps tout l'émiettement de l'illimité. Autrement dit, la limite, coïncidant avec l'unité même du Logos, se transforme subitement, grâce à l'antinomie et la réversibilité 482 LA STRUCTURE DU MÉLANGE essentielle du système (loi fondamentale de la Causalité) en illimité, en tout l'infini des êtres et des choses de l'Univers. C'est la Siocxocxpr/jcriç héraclitéenne s'accomplissant dans l'instant intemporel et éternel de la foudre, analogue à l'instantané platonicien. Parménide Dans le système parménidien la Nécessité, ou Justice, constitue un principe analogue au Bien platonicien. Cette divinité est en effet appelée par la doxographie (cf. Aetius, I 25, 3 ; D. 321) 7rp6vot,oc ; autrement dit, on peut l'envisager comme étant située sur un plan encore supérieur que celui du vouç, puisqu'antérieure à ce dernier ; c'est-à-dire, étant donné l'identité entre l'intelligence et l'Essence, de l'Être parménidien. La divine nécessité, ou justice, située au delà du voîîç, engendre, en tant que Causalité suprême, le mixte qu'est la sphère parfaite de l'Être. Les termes sTCsS^crs . . . Trsipaç . . . 7mpaat sont bien significatifs à cet égard. La Déesse nécessité, ou justice, a enchaîné le tout de l'Essence et en a fait ainsi le mixte parfait de l'Être, tel qu'il nous est décrit dans la première partie du poème parménidien : mélange harmonieux et parfait (tel que celui qui caractérisera plus tard les Idées et l'Être platoniciens), lequel vu dans la perspective synthétique de la mixtion ne comporte pas de parties ; ses membres (pour employer un mot empédocléen : cf fr. 27a, 30, 31) étant fondus les uns dans les autres et, de ce fait, devenus indiscernables. Toutes ses régions internes ont toutes absolument la même tonalité, le même degré d'essence. La tension de ce mélange parfait, qu'est l'Être, est celle de la plénitude d'un illimité qui se trouve limité ; d'un infini-fini, mixte sphérique parfaitement équilibré. Il n'y a pas ici plus d'Être et là moins. L'infini de l'Essence a été pris dans les liens de l'enveloppe-limite de la Justice-Nécessité ; celle-ci, en le pénétrant tout entier, le maintient ferme et immuable de chaque côté, mixte entier et inviolable, sphère suprême, forme plastique achevée comportant la limite extrême de la Divinité. Empédocle Chez Empédocle, grand métaphysicien du Mélange, nous retrouvons les trois sortes de mélange : a) juxtaposition, b) confusion, c) mélange intermédiaire, que nous avons déjà rencontrées chez Heraclite. Le premier mixte est le résultat du règne prolongé de Y Amour qui unit ; le second celui de la Haine qui sépare ; et le troisième, intermédiaire entre les deux, est le mélange proprement empé- DANS LA PENSÉE ANTIQUE _ 483 docléen (infiniment plus plastique que le mélange d'Heraclite), situé au milieu de ces deux extrêmes, qui sont des cas à la limite. En effet, dans le règne alternatif de l'Amour et de la Haine nous avons tantôt, sous l'effet de l'action erotique, créatrice des unions, un mélange qui va se compliquant et s'enchevétrant de plus en plus, pour aboutir, vers la fin de l'ère de l'Amour, à une véritable confusion, où tout est mêlé à tout, image même du mélange primitif d'Anaxagore ; et tantôt sous l'effet de la Haine (Nsïxo'ç), agent des séparations, nous avons une dissociation de plus en plus poussée, qui nous donnera, pour un moment, le mélange intime et total, état normal et parfait du Cosmos empédocléen ; pour se dégrader par la suite en mélange-juxtaposition-chaos mécanique, où rien n'est en rapport avec rien, et qui ne représente que le cas extrême du Mélange d'Empédocle. En somme, ce ne sera que le mixte intermédiaire, où les effets de l'Amour et de la Haine se font équilibre, grâce à une interpénétration intime et totale (xpàatç Si ôXcov), qui constituera, dans sa sphéricité accomplie, l'image la plus parfaite de la permanence et de l'immobilité du sphairos : Dieu lié « dans l'étroite enveloppe de l'Harmonie », « égal en tous sens », « sphérique et rond », si semblable, dans sa solitude circulaire à l'Etre sphérique de Parménide. AnâXÀGÛÏŒ Chez Anaxagore l'intuition cosmogonique, la structure fondamentale est celle du mélange, ou de l'adjonction de l'Esprit à la matière ; le vouç jouant le rôle de la limite et la matière celui de l'illimité. Il est évident, en effet, que le mélange primitif qui caractérise la matière anaxagoréenne, étant infiniment grand et petit, est infini, au même titre que l'illimité du Philèbe. Quant à l'Esprit, il est Vautre aspect de cet Être qu'est le mélange primitif {pris dans un sens aussi absolu que celui de l'Être parmé- nidien) ; en d'autres termes, il est la limite de l'Être anaxagoréen, considéré dans son ensemble. Or, le voîiç, d'après le Cratyle, pénètre la matière et c'est à la suite de cette pénétration — synonyme de limitation — que le Cosmos surgit. On peut détecter cette pénétration dans le fragment 12 qui nous dit que la 7ispi/<op7](7K;, œuvre de la mise en mouvement de la masse du mélange primitif par l'Esprit, a commencé à partir du petit (àno tou <7[j.ixpou). En effet, le petit (a[juxpov), étant d'après la métaphysique anaxagoréenne de la grandeur, l' infiniment petit, peut être considéré aussi petit qu'un point ; par conséquent le mouvement premier 484 LA STRUCTURE DU MELANGE est rectiligne et il se trouve, ainsi, que nous avons affaire à un mouvement de pénétration. Cette pénétration, qui s'effectue dans la temporalité infinitésimale et foudroyante de l'instantané — correspondant à la spa- tialité ponctuelle et infinitésimale du petit, infini de petitesse — s'avère ainsi intemporelle. Nous pouvons par conséquent affirmer que, de tout temps, il y a eu mélange du vouç au chaos primitif, autrement dit, StakocifjLYjcnç et xocjjioç ; et ce n'est qu'analytiquement, par une sorte de facticité d'ordre méthodologique, facilitant l'exposé du système, que le mélange primitif nous est présenté avant le voiïç et son action ordonnatrice. C'est ainsi que l'on peut être amené à étudier le mouvement éternel du mélange primitif tendant irrésistiblement vers la limite qu'est l'Esprit ; le contact de cet illimité avec cette limite dans l'instant intemporel de l'instantané ou du soudain (è£a7UV7]ç, selon le témoignage du poète Timon dans les Silles) ; les rapports, enfin, de l'instantané (è£,a[cpvY]ç) avec l'accroissement (aû^aiç). On constate, en approfondissant les fragments d'Anaxagore, que le logos du vouç consiste en une sorte de mouvement brusque qui s'accroît de son infiniment petit (correspondant au repos) à son infiniment grand (Ta^iaTov). C'est de cette façon que le vouç, en tant que porteur de la limite, agit de deux côtés sur le double illimité de la masse originaire des choses (/py][i.aTa). Or cette action du vouç, synonyme d'un double mouvement de pénétration et d'enveloppement, se réduit à l'exercice de la justice ; l'injustice consistant en l'empêchement et l'obstacle (le mot èxcoXusv du frg. 12) présentés à ce mouvement ordonnateur. En faisant remarquer par la suite que cette œuvre de justice anaxagoréenne est la même que celle par laquelle est définie la Sixouoctuvy) platonicienne dans la République, on arrive à la conclusion que les ^pY^aToo du mélange primitif ne pouvaient que représenter l'élément sensible (toutes les sensations et les qualités uploads/Philosophie/ essai-sur-la-structure-du-melange-dans-la-pensee-presocratique.pdf
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- Publié le Jan 15, 2022
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