Table des matières Couverture Page de titre Introduction par Alain Roger LE FON

Table des matières Couverture Page de titre Introduction par Alain Roger LE FONDEMENT DE LA MORALE Note sur la présente édition Question de la Société Royale des Sciences du Danemark sur l’origine et le fondement de la morale I. — Introduction II. — Critique du fondement de la morale proposé par Kant III. — Établissement de la morale IV . — D’une explication métaphysique du fait primordial en morale « Judicium regiæ danicæ scientiarum societatis » Chronologie Bibliographique Paru dans Le Livre de Poche Page de copyright Introduction Lorsque Schopenhauer publie, en 1841, Les Deux Problèmes fondamentaux de l'éthique — c'est-à-dire La Liberté de la volonté1 et Le Fondement de la morale2 —, il n'est plus le jeune philosophe conquérant auquel Goethe avait prédit un brillant avenir. Voilà plus de vingt ans qu'il a produit, sans succès, son œuvre majeure — Le Monde comme volonté et comme représentation3 —, près de dix ans qu'il mène à Francfort une vie de rentier solitaire, tout entière vouée à la rumination de son « unique pensée », la distinction, reprise de Kant, entre le phénomène et la chose en soi, qui deviennent, dans le système de Schopenhauer, la représentation, soumise au principe de raison suffisante (espace- temps-causalité), et la Volonté, une, universelle, indestructible et libre. Et il lui faudra patienter encore une décennie pour connaître enfin la gloire avec la publication de ses Parerga et Paralipomena (1851), qui, d'ailleurs, n'ajoutent rien de décisif au livre de 1819. Mais qui est donc cet homme amer, sinon acrimonieux ? Et comment expliquer son insuccès durable, d'autant plus étonnant qu'il fut suivi d'un triomphe plus éclatant, aussi bien en France qu'en Allemagne ? La philosophie allemande, en cette première moitié du XIXe siècle, est marquée par l'influence considérable de Hegel (1770-1831). Schopenhauer l'avait d'ailleurs imprudemment défié quand, jeune privat-dozent à l'université de Berlin, il avait cru pouvoir placer son cours à la même heure que le sien, essuyant ainsi, après l'échec éditorial du Monde, une cuisante déconvenue pédagogique, qui le conduisit bientôt à renoncer à l'enseignement. Ces désillusions expliquent probablement, pour une large part, la haine que Schopenhauer vouera à l'Université, à commencer par ses « trois sophistes », Hegel, Fichte et Schelling, et leur cortège de disciples vénaux, tous ces professeurs de philosophie accusés de ravaler celle-ci au rôle de domestique, « servante larvée de la théologie », et prêts, pour assurer leur subsistance, « à déduire a priori tout ce qu'on leur demandera, y compris le diable et sa mère, et même, s'il le faut, à en avoir l'intuition intellectuelle4 ». Il ne fait, à cet égard, aucun doute que la pensée de Schopenhauer est, en 1840, inactuelle, au sens que Nietzsche donnera à ce terme. La philosophie allemande — qui va connaître une décennie prodigieuse avec les hégéliens dits « de gauche » et les publications de Bauer, Feuerbach, Stirner, Marx et Engels — se développe à l'opposé des conceptions de Schopenhauer, dont la théorie politique est quasiment inexistante : sa doctrine de l'Etat est rudimentaire, ses considérations économiques dépassent rarement le niveau de l'anecdote, sa métaphysique exclut l'histoire et le progrès. Eadem, sed aliter5, telle est sa devise. C'est pourquoi « les hégéliens, pour qui la philosophie de l'histoire devient même le but principal de toute philosophie, doivent être renvoyés à Platon6 ». On mesure ici l'ambiguïté, ou, du moins, l'inconfort des positions de Schopenhauer. D'une part, il récuse tous les « progressistes » et dénonce l'histoire comme une illusion représentative. Il n'a pas assez de sarcasmes pour le « matérialisme aussi grossier que stupide7 », stigmatise l'atomisme, « une absurdité révoltante », et, dans les derniers mois de sa vie, critique l'évolutionnisme de Darwin, contraire à sa propre métaphysique de l'éternité des espèces. Mais, de l'autre, il s'en prend violemment à la théologie, avec des accents qui, parfois, relèvent de l'anticléricalisme le plus agressif. « Un philosophe doit avant tout être un mécréant » et « la philosophie n'est pas faite pour apporter de l'eau au moulin de la prêtraille8 ». L'attitude de Schopenhauer n'est d'ailleurs pas dépourvue d'équivoques puisque son éthique (Livre quatre du Monde) fait l'apologie des vertus chrétiennes et recourt systématiquement aux catégories néo-testamentaires, péché, grâce, conversion, rédemption, etc. Schopenhauer en convient : « On pourrait qualifier ma doctrine de véritable philosophie chrétienne. » « Elle est au spinozisme ce que le Nouveau Testament est à l'Ancien9. » Sa solitude philosophique n'est donc pas surprenante, même s'il s'en indigne en des termes qui, parfois, prêtent à sourire. Mais, en 1841, il a cinquante-trois ans et ne peut soupçonner que le temps travaille pour lui et prépare en secret la « divine surprise » des Parerga... * L'Essai sur la Liberté fut couronné, première satisfaction d'auteur pour Schopenhauer. Ce succès l'incita sans doute à briguer le prix de la Société Royale des Sciences du Danemark, qui avait mis au concours cette question, assez confuse au demeurant : « L'origine et le fondement de la morale doivent-ils être cherchés dans l'idée de la moralité, qui est fournie directement par la conscience psychologique ou morale et dans les autres notions premières qui dérivent de cette idée, ou bien dans quelque autre principe de connaissance ? » Bien que seul en lice, Schopenhauer n'obtint pas le prix, et les attendus dont la Société Royale assortit son refus le blessèrent à tel point qu'il faut sans doute y voir l'une des raisons pour lesquelles il fit éditer ensemble ses deux mémoires de concours. C'était en effet — comme la Préface, violemment polémique, le montre à l'évidence — une façon de retourner l'offense, en opposant le jugement éclairé des Norvégiens à la bêtise des Danois. Il n'est d'ailleurs pas impossible que Schopenhauer ait pensé à Rousseau, qui, moins d'un siècle auparavant, avait connu la même infortune puisque l'Académie de Dijon, après avoir couronné son premier « Discours » — Sur les Sciences et les Arts — , avait dédaigné le second : De l'Inégalité parmi les hommes. A cette raison anecdotique s'en ajoute une seconde, plus profonde et proprement philosophique. D'un point de vue kantien, les « deux problèmes » de la liberté et de la moralité sont indissociables puisque, si la liberté est « la ratio essendi de la loi morale », « la loi morale est la ratio cognoscendi de la liberté10 ». Schopenhauer est donc tout à fait fondé à réunir ses deux mémoires, même si, après avoir loué la doctrine kantienne des deux caractères dans le premier, il dénonce celle de l'impératif catégorique dans le second, disjoignant ainsi la liberté de la moralité, et assignant pour fondement à celle-ci, non la raison, mais la pitié. Tout se passe d'ailleurs comme s'il s'était proposé de récrire les Fondements de la métaphysique des mœurs, plutôt que la seconde Critique, jugée confuse et sénile11. Kant, sans doute, a ruiné définitivement la théologie spéculative, privant du même coup l'éthique de son fondement traditionnel ; et il « a bien mérité de la morale en un point : il l'a purifiée de tout souci du bonheur, de tout eudémonisme » (§ 3). Il est vrai que « cet eudémonisme même, que d'abord Kant, le trouvant hétéronome, a éconduit solennellement, par la grande porte, hors de son système ; maintenant, caché sous le nom du souverain bien, par la petite porte, il s'y glisse à nouveau » (§ 4). Mais voici l'essentiel : Kant est resté théologien. Sa philosophie pratique est « un pur déguisement de la morale théologique » (§ 12). Ce vice théologique, Schopenhauer le décèle dans la pure forme de l'impératif : « Ce concept, avec tous ses voisins, ceux de loi, de commandement, de nécessité morale et autres, si on le prend en ce sens absolu, est emprunté à la morale théologique, et n'est dans la morale philosophique qu'un étranger » (§ 4), un avatar laïque de la loi mosaïque. Kant est resté juif. Hegel l'avait déjà dit dans ses Écrits théologiques de jeunesse, mais en des termes différents, et d'ailleurs inconnus de Schopenhauer, pour qui le judaïsme est entaché de trois péchés majeurs : son réalisme, son monothéisme et son « plat optimisme ». L'accusation de judaïsme n'épuise pourtant pas la critique du formalisme kantien. L'impératif n'est pas seulement mosaïque, il « manque de toute substance réelle » (§ 6), et ne saurait, comme tel, constituer un véritable critère de décision. Le reproche n'est pas vraiment nouveau. Hegel l'avait déjà formulé dans son article sur Le Droit naturel et dans La Phénoménologie de l'Esprit. Mais la critique schopenhauerienne, si elle aboutit au même résultat — la réfutation du légalisme de la raison pratique —, emprunte une voie différente. Pour Hegel, l'universalité de la loi n'est que le masque de la subjectivité, la caution du caprice : toute conduite, même la plus égoïste, peut être justifiée de la sorte. Pour Schopenhauer, cette possibilité devient nécessité : « Quand je pose une maxime que tous, en général, doivent suivre, nécessairement je ne peux pas me regarder comme toujours actif, mais je prévois que uploads/Philosophie/ arthur-schopenhauer-le-fondement-de-la-morale.pdf

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