08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Av

08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/676?lang=fr 1/12 Centre Jacques- Berque Pratiquer les sciences sociales au Maghreb | Mohamed Almoubaker, François Pouillon Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri Azelarabe Lahkim Bennani p. 573-582 Texte intégral 08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/676?lang=fr 2/12 1 2 3 Rationalisme et mystique Driss Mansouri avait soutenu en 2007 une thèse de doctorat d’État sur La pensée d’Avicenne. En choisissant cet auteur et ce thème, il marchait à contre-courant de la vogue des recherches académiques. Il voulait rétablir Avicenne dans sa volonté de réconcilier la théologie islamique avec la philosophie première, celle qui avait pour objet l’« étant en tant qu’étant », sans considération de la séparation stricte entre les genres. On l’avait vu par ailleurs débattre avec les ressortissants d’autres champs de recherche – historiens, anthropologues, psychanalystes – avec la même volonté d’échapper au dogmatisme du discours philosophique. Ses différentes recherches portent ainsi la marque de son engagement interdisciplinaire, ce qui le conduisait notamment à se dégager de l’hégémonie du rationalisme aristotélicien et averroèsien en vogue parmi les spécialistes de la philosophie islamique. Les philosophes et les médiévistes ont aujourd’hui remis en cause la distinction sommaire que les historiens faisaient entre la ‘scholastique’ latine, la philosophie péripatéticienne arabe, et la mystique. Kurt Flasch estime ainsi que cette distinction sommaire est une vision historique abstraite qui ne résiste guère à une investigation philologique plus profonde des textes arabes et latins.2 Cette parenté intellectuelle entre rationalisme philosophique et mystique ne fait pourtant pas l’unanimité parmi les spécialistes. Les adeptes d’un rationalisme étroit limitent l’idée de ‘rationalisme’ aux seuls disciples d’Aristote, creusant ainsi un fossé entre les disciples péripatéticiens, les philosophes aristotéliciens d’une part, et les adeptes de la théologie philosophique, de la mystique et de la Gnose néoplatonicienne de l’autre. Mohammed Abed Al-Jabri avait par exemple poussé très loin la séparation stricte entre ces deux sphères au point d’introduire une fracture entre philosophie arabe rationnelle « occidentale » et philosophie irrationnelle mystique « orientale ».3 Selon lui, la lumière ne pouvait provenir que de l’Occident musulman, avec 08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/676?lang=fr 3/12 4 5 6 l’héritage rationaliste d’ibn Bāja et d’Averroès , l’Orient étant associé à l’image stéréotypée de la mystique.4 En fait, le rapport entre philosophie aristotélicienne et théologie coïncide mal avec la limite qui séparerait Orient et Occident. Cette fracture serait présente aussi chez les philosophes de l’Orient musulman. Ulrich Rudolph souligne ainsi, à juste titre, que Fārābī avait proposé une doctrine cosmologique de l’ontologie alors incompatible avec la théologie musulmane5 et se demande « si la séparation radicale que Fārābi avait établi entre la philosophie universelle et la religion/théologie particulière a réellement atteint son but. »6 La séparation a conduit la philosophie, « en dépit de son aspiration universelle, à rester aveugle à certains domaines déterminés de la réalité, qui étaient particulièrement importants pour les croyants, en prétendant fournir une explication radicale de tous les phénomènes. »7 Il est sûr qu’Averroès a bénéficié d’un intérêt particulier de la philosophie scholastique après la réception de ses Grands Commentaires traduits en latin.8 Ces commentaires qui constituent une paraphrase détaillée d’Aristote se distinguent des autres genres d’écriture philosophique comme le dialogue (cher à Platon), la dissertation (Aristote), l’aphorisme (Nietzsche), le style hypothético-mathématique (Spinoza), par le souci d’expliquer en détail, phrase après phrase, tout en le débordant à maintes reprises, exprimant les doutes du commentateur, et proposant une solution aux apories présentes dans le texte d’Aristote.9 Averroès était reçu de manière différente en terre d’Islam et dans le monde latin, parce que ses commentaires originaux étaient assez différents des Grands commentaires traduits en latin. Pourtant, Averroès avait permis, dans les deux contextes latin et musulman, de ‘purifier’ l’œuvre d’Aristote du syncrétisme ambiant issu de la Gnose et du néo- platonisme de philosophes comme Fārābī ou Avicenne. C’est en tout cas la thèse défendue par l’averroïsme marocain. Kurt Flasch, réfractaire à tout ‘puritanisme’ abstrait, a le mérite de ne pas surévaluer l’abîme existant entre Averroès d’une part, et les maîtres antérieurs comme Al Kindī, Fārābī, Avicenne, Algazel ou Avempace, de l’autre. L’Averroès, qui 08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/676?lang=fr 4/12 7 8 9 L’existence comme perfection ressort des textes étudiés par Flasch, est différent de l’averroïsme forgé par les théologiens, puis par Ernest Renan.10 Bien conscient de ces problèmes, Driss Mansouri a eu le mérite de ne pas verser dans un débat d’école ainsi engagé. Il a préféré étudier en détail quelques aspects de la doctrine d’Abū ‘Ali ibn Sīnā, Avicenne (980-1037), dans les domaines de la logique, de l’ontologie, de la théologie, de la noétique et de la mystique. On voit ainsi comment le philosophe avait repris une réflexion profonde sur la mission de la philosophie d’une manière qui allait marquer les philosophes ultérieurs.11 Driss Mansouri était conscient des apories de la doctrine de l’émanation d’Avicenne. Celui-ci avait eu l’habileté d’intégrer les causes efficientes et finales dans la métaphysique, alors qu’Averroès allait les intégrer par la suite dans la physique. Driss Mansouri a montré comment la métaphysique comportait deux volets : un volet réservé au statut autonome des ‘essences’ dans leur être possible, et un volet réservé aux essences qui viennent à l’être par une cause efficiente – Dieu, en l’occurrence. Essence et existence sont deux catégories différentes. L’essence est en soi intelligible, car elle est autonome, alors que l’existence n’est pas intelligible de manière autonome. L’essence est un objet autonome dans l’acte judicatif, alors qu’on ne peut prononcer un jugement concernant l’existence, puisqu’elle n’est pas autonome. Exister se dit toujours d’une essence. L’existence serait un ‘accident’ de l’essence, comme tous les accidents qui ne sont pas consubstantiels, tels le néant, la pluralité, la généralité et l’individualité. L’être n’a « aucune propriété définie. »12 L’essence a ses propriétés propres indépendamment de ses accidents. Mais l’essence est possible en soi, sans que la possibilité présuppose l’existence. L’existence était considérée au Moyen Âge comme une perfection qui s’ajoute aux essences. Dieu en tant qu’être nécessaire est une essence dont il serait contradictoire de ne pas concevoir l’existence. De même qu’il 08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/676?lang=fr 5/12 10 est contradictoire de dire d’un carré qu’il a quatre lignes parallèles et que ses angles ne sont pas des angles droits, il est contradictoire de dire qu’un moteur inamovible du monde est une essence infinie, et que cette essence n’existe pas. Par contre, les choses matérielles sont des essences qui sont conçues comme possibles. Dieu n’intervient que dans les essences possibles pour les amener à l’existence, car Dieu ne peut agir sur des essences impossibles. Averroès avait par la suite centré la problématique principale de la métaphysique sur le rapport entre intellect humain et intellect agent, en précisant le statut ontologique de l’intellect agent et de l’intellect possible. Il suit une longue tradition consacrée à l’intellect et initiée par Alexandre Aphrodisiaque, Themistius, Saint-Thomas et approfondie par les philosophes arabes, en l’occurrence par Avicenne. Il me semble ici que la théorie de la conjunctio est un cadre qui peut unifier l’ontologie rationaliste et la mystique. Je montrerai seulement à titre d’indication que la mystique n’est pas, comme l’affirme Louis Gardet, le parent pauvre de la théorie de la connaissance fondée sur la conjonction.13 La mystique, en ce sens, fait partie d’une psychologie de la connaissance qui étudie comment les formes provenant de l’intellect agent sont imprimées dans l’intellect possible humain. Selon Aristote, pour que l’intellect puisse saisir le tout, il ne doit pas faire partie de ce tout. Il s’en suit que l’intellect est simple, vide de tout contenu du monde ; il n’a pas d’essence déterminée ou réifiée, afin de pouvoir saisir le tout. En fin de compte, l’intellect est impassible, dénué de toute matière. « C’est pourquoi son activité est identique avec son contenu. »14 Averroès en tire la conclusion que « l’âme doit être vide. Pour qu’elle puisse saisir les formes matérielles, elle ne doit pas être l’une de ces formes. ».15 « La vision doit être incolore pour qu’elle puisse saisir les couleurs – on doit être muni de toutes ces formules aristo- averroïstes afin de pouvoir étudier Dietrich et Eckhart. Ce sont des images de la négativité de l’Intellect. »16 On retrouve ici le relais entre négativité de la raison et théologie négative chez Maître Eckhart.17 La vision inédite d’Avicenne montre que la conjunctio, sous forme d’impression des formes séparées dans l’Intellect possible n’implique pas l’arrivée à 08/07/2020 Pratiquer les sciences sociales au Maghreb - Être et essence chez Avicenne : lecture de Driss Mansouri - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/676?lang=fr 6/12 11 12 uploads/Philosophie/ etre-et-essence-chez-avicenne-pdf.pdf

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