Études photographiques 34 | Printemps 2016 Que dit la théorie de la photographi
Études photographiques 34 | Printemps 2016 Que dit la théorie de la photographie ? / Interroger l'historicité Photographie, ontologie, analogie, compulsion Photography, Ontology, Analogy, Compulsion Joel Snyder Traducteur : Jean-François Allain Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3589 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 4 juin 2016 ISBN : 9782911961342 ISSN : 1270-9050 Référence électronique Joel Snyder, « Photographie, ontologie, analogie, compulsion », Études photographiques [En ligne], 34 | Printemps 2016, mis en ligne le 27 mai 2016, consulté le 21 décembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/etudesphotographiques/3589 Ce document a été généré automatiquement le 21 décembre 2020. Propriété intellectuelle Photographie, ontologie, analogie, compulsion Photography, Ontology, Analogy, Compulsion Joel Snyder Traduction : Jean-François Allain Contrairement aux images ordinaires [exécutées à la main] où ce sont les modèles qui fournissent les idées, les images photographiques sont elles-mêmes les modèles. Chacune de ces poses étonnantes a eu son représentant dans la nature. Chaque trait de l’original est là. Imaginez un peu l’organisation du vice que cela suppose – le vice sous les atours de la science et de l’art. « Questionable Subjects for Photography », The Photographic News, 18581 L’image peut être floue, déformée, décolorée, sans valeur documentaire, elle procède par sa genèse de l’ontologie du modèle ; elle est le modèle. André Bazin, « Ontologie de l’image photographique », 19452 Car les images qui jouissent d’une autorité à peu près illimitée dans une société moderne, ce sont surtout les images photographiques, et l’étendue de cette autorité s’explique par les propriétés des images prises à l’aide d’un appareil photo. Ces images sont d’ailleurs capables de se substituer à la réalité, car une photographie n’est pas seulement une image (comme l’est un tableau), une interprétation du réel, c’est aussi une trace, quelque chose de directement décalqué du réel, comme une trace de pas ou un masque mortuaire. Alors qu’un tableau, même s’il satisfait aux critères photographiques de la ressemblance, n’est jamais qu’une interprétation, la photo, pour sa part, se contente d’enregistrer une émanation (des ondes lumineuses réfléchies par des objets), un vestige matériel de son sujet, ce qu’aucun tableau ne peut faire. Susan Sontag, « Photography Unlimited », 19773 1 Il est curieux de constater que les théorisations de la photographie depuis les années 1960 et 1970 utilisent généralement les mêmes termes et font appel au même répertoire d’analogies. Ainsi, certains auteurs invoquent à l’envi des notions toutes faites comme automatique, reproduction, reproduction mécanique, trace, enregistrement, ontologie, indice, réalité (sans qualificatif), réalité physique et visuelle, et colportent les mêmes analogies : la photographie comme fossile, les empreintes digitales, les traces de pas, le pochoir, la Photographie, ontologie, analogie, compulsion Études photographiques, 34 | 2016 1 décalcomanie, les masques de vie et de mort, les reliques, les vestiges. Il existe, semble-t- il, toute une communauté de théoriciens-spéculateurs qui n’éprouvent pas le besoin de rompre avec le passé, à moins qu’il ne faille comprendre qu’il existe une vision de la photographie partagée par tous, comme l’est le bon sens. Mais quel est ce passé avec lequel ils ne veulent pas rompre ? 2 On continue d’écrire sur la théorie de la photographie, mais ce qui s’écrit relève essentiellement du recyclage : ce sont des commentaires sur des éléments de théorie et des commentaires sur les commentaires. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe occidentale entretiennent un petit commerce autour des cadavres de théories écrites entre les années 1930 et jusque dans les années 1980, et spéculent à l’infini sur le punctum, par exemple, comme s’il était possible de lui trouver une « véritable signification », capable de nous apprendre quelque chose que nous ne connaissons pas déjà – ou que nous ne soupçonnions pas – sur nos réactions aux images photographiques. Quelques auteurs – comment ne pas le mentionner ? – ont trouvé un nouveau sujet de réflexion en théorisant les différences entre la photographie argentique et la photographie numérique. Dans ce débat entre l’image sur pellicule et l’image électronique, d’aucuns estiment qu’elles sont ontologiquement différentes, d’autres qu’elles sont intrinsèquement semblables. 3 J’ai conscience qu’il est difficile d’échapper au passé, y compris, en ce qui me concerne, à mon propre passé. L’année 2015 marque le quarantième anniversaire du premier texte que j’ai publié sur la photographie, écrit avec mon ami Neil Walsh Allen sous le titre « Photography, Vision, and Representation4 ». Dans cet essai, nous tentions avec zèle de trouver un sens à ce que Rudolf Arnheim dit de la relation spéciale qu’entretient la photographie avec la réalité, d’analyser ce qu’il entend par le concept de « nature de la photographie ». Je continue de chercher un sens à des spéculations comme celles d’Arnheim, essentiellement parce que je ne comprends pas les termes de base employés. C’est peut-être une preuve de mes limites, mais cela nous apprend aussi quelque chose d’utile sur les théories. 4 Cela ne signifie pas que je n’ai pas d’auteurs favoris dans le domaine de la théorie. J’en ai, et parmi eux, mon préféré est André Bazin. J’admire son amour passionné et compulsif pour le cinéma et l’histoire du cinéma – une histoire qui s’est déroulée sous ses yeux ; j’admire aussi sa remarquable sensibilité, les scrupules et l’humilité dont il fait preuve. 5 Beaucoup de lecteurs de « Ontologie de l’image photographique » ont vu dans ce texte un ensemble de prémisses interdépendantes et univoques sur la relation entre la photographie et la réalité, prémisses qui conduisent à une conclusion ontologique incontournable. Mais une telle lecture oblige le lecteur – peut-être surtout s’il est américain – à ignorer le détour enjoué et amusant que fait l’auteur dans le monde du mythe. 6 Bazin, qui se propose de décrire et d’analyser la manière dont le mode de production des photographies « a bouleversé radicalement la production de l’image5 », commence par une conjecture qui guide son texte du début à la fin : « Une psychanalyse des arts plastiques pourrait considérer la pratique de l’embaumement comme un fait fondamental de leur genèse. À l’origine de la peinture et de la sculpture, elle trouverait le “complexe” de la momie6. » Cette phrase n’est ni une incantation ni une simple attitude rhétorique. En plaçant son essai sous le signe de cette hypothèse, Bazin nous révèle la division de son âme et, ce faisant, nous invite à trouver la même division en nous-mêmes. Il cherche une Photographie, ontologie, analogie, compulsion Études photographiques, 34 | 2016 2 explication à la passion qu’il éprouve – et nous avec lui – pour le mythe moderne qui entoure la photographie, et cet engagement est le moteur même de sa spéculation. 7 Globalement, son texte est une réflexion sur les mythes des origines et sur un mythe moderne fait de fantasmes, de désir et de compulsion. Si l’on veut y trouver la vérité de ce qu’est la photographie, telle une présentation logique de faits concernant ce médium, on passe à côté de sa dynamique centrale : la lutte infinie entre une impulsion psychologique ancienne, originelle et désormais permanente, et notre aptitude à trouver des raisons à nos croyances, ce que Bazin appelle notre « intelligence critique » ou notre « esprit critique ». 8 Cette genèse automatique [de la photographie] a bouleversé radicalement la psychologie de l’image. L’objectivité de la photographie lui confère une puissance de crédibilité absente de toute œuvre picturale. Quelles que soient les objections de notre esprit critique, nous sommes obligés de croire à l’existence de l’objet représenté, effectivement re-présenté, c’est-à-dire rendu présent dans le temps et dans l’espace. La photographie bénéficie d’un transfert de la réalité de la chose sur sa reproduction. Le dessin le plus fidèle peut nous donner plus de renseignements sur le modèle, il ne possédera jamais, en dépit de notre esprit critique, le pouvoir irrationnel de la photographie qui emporte notre croyance7. 9 Notre impulsion psychologique, insiste Bazin, serait donc mue par notre peur des ravages du temps, notre crainte de la dégradation, de la corrosion, de la corruption, notre terreur de perdre les gens et les choses qui nous entourent dans le présent, dans le ici et maintenant. Et en fin de compte, évidemment, par la peur de notre propre annihilation. 10 Bazin divise la catégorie de la croyance en deux. Certaines croyances reposent sur la connaissance, les raisons, les données ou les preuves, culturellement constituées par les circonstances du lieu et de l’époque ; d’autres, profondément enracinées, agissent sur nous avec notre complicité inconsciente à travers l’histoire de ce qu’il appelle la « civilisation » ; ces croyances n’exigent pas d’explications rationnelles, elles sont opaques et résistent à nos raisonnements. C’est dans ce contexte que Bazin propose ses hypothèses ontologiques sur la photographie. Il me paraît impossible de dissocier sa description de la photographie et ce mythe originel de la représentation. Autrement dit, Bazin comprend bien que l’ontologie qu’il propose est elle-même mythique, magique, réfractaire à toute intelligence critique. 11 Là encore, il imagine, avec l’aide fantasmatique de la psychanalyse, que les arts plastiques ont commencé par la momification, avec la volonté de mettre uploads/Philosophie/ etudesphotographiques-3589.pdf
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- Publié le Jan 25, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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