Gaston Bachelard (1934) LA FORMATION de l’esprit scientifique Contribution à un

Gaston Bachelard (1934) LA FORMATION de l’esprit scientifique Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective Un document produit en version numérique par Jean­Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: jmt_sociologue@videotron.ca Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 2 Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul­Émile­Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 3 Cette édition électronique a été réalisée par Jean­Marie Tremblay, professeur de sociologie à partir de : Gaston Bachelard (1934), La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective. Paris : Librairie philosophique J. VRIN, 5e édition, 1967. Collection : Bibliothèque des textes philosophiques, 257 pages Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Les formules ont été réalisées avec l’Éditeur d’équations d’Office 2001. Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 4 Table des matières DISCOURS PRÉLIMINAIRE CHAPITRE I. La notion d'obstacle épistémologique. Plan de l'ouvrage CHAPITRE II. Le premier obstacle: l'expérience première CHAPITRE III. La connaissance générale comme obstacle à la connaissance scientifique CHAPITRE IV. Un exemple d'obstacle verbal : l'éponge. Extension abusive des images familières CHAPITRE V. La connaissance unitaire et pragmatique comme obstacle à la connaissance scientifique CHAPITRE VI. L'obstacle substantialiste CHAPITRE VII Psychanalyse du Réaliste CHAPITRE VIII. L'obstacle animiste CHAPITRE IX. Le mythe de la digestion CHAPITRE X. Libido et connaissance objective CHAPITRE XI. Les obstacles de la connaissance quantitative CHAPITRE XII. Objectivité scientifique et Psychanalyse Index des noms cités Retour à la table des matières Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 5 Discours Préliminaire I Retour à la table des matières Rendre géométrique la représentation, c'est­à­dire dessiner les phénomènes et ordonner en série les événements décisifs d'une expérience, voilà la tâche première où s'affirme l'esprit scientifique. C'est en effet de cette manière qu'on arrive à la quantité figurée, à mi­chemin entre le concret et l'abstrait, dans une zone intermédiaire où l'esprit prétend concilier les mathématiques et l'expérience, les lois et les faits. Cette tâche de géométrisation qui sembla souvent réalisée ­ soit après le succès du carté­ sianisme, soit après le succès de la mécanique newtonienne, soit encore avec l'optique de Fresnel ­ en vient toujours à révéler une insuffisance. Tôt ou tard, dans la plupart des domaines, on est forcé de constater que cette première représentation géométri­ que, fondée sur un réalisme naïf des propriétés spatiales, implique des convenances plus cachées, des lois topologiques moins nettement solidaires des relations métriques Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 6 immédiatement apparentes, bref des liens essentiels plus profonds que les liens de la représentation géométrique familière. On sent peu à peu le besoin de travailler pour ainsi dire sous l'espace, au niveau des relations essentielles qui soutiennent et l'espace et les phénomènes. La pensée scientifique est alors entraînée vers des « construc­ tions » plus métaphoriques que réelles, vers des « espaces de configuration » dont l'espace sensible n'est, après tout, qu'un pauvre exemple. Le rôle des mathématiques dans la Physique contemporaine dépasse donc singulièrement la simple description géométrique, Le mathématisme est non plus descriptif mais formateur. La science de la réalité ne se contente plus du comment phénoménologique ; elle cherche le pour­ quoi mathématique. Aussi bien, puisque le concret accepte déjà l'information géométrique, puisque le concret est correctement analysé par l'abstrait, pourquoi n'accepterions­nous pas de poser l'abstraction comme la démarche normale et féconde de l'esprit scientifique. En fait, si l'on médite sur l'évolution de, l'esprit scientifique on décèle bien vite un élan qui va du géométrique plus ou moins visuel à l'abstraction complète. Dès qu'on accède à une loi géométrique, on réalise une inversion spirituelle très étonnante, vive et douce comme une génération ; à la curiosité fait place l'espérance de créer. Puisque la première représentation géométrique des phénomènes est essentiellement une mise en ordre, cette première mise en ordre ouvre devant nous les perspectives d'une abstraction alerte et conquérante qui doit nous conduire à organiser rationnellement la phénoménologie comme une théorie de l'ordre pur. Alors ni le désordre ne saurait être appelé un ordre méconnu, ni l'ordre une simple concordance de nos schémas et des objets comme cela pouvait être le cas dans le règne des données immédiates de la conscience. Quand il s'agit des expériences conseillées ou construites par la raison, l'ordre est une vérité, et le désordre une erreur. L'ordre abstrait est donc un ordre prouvé qui ne tombe pas sous les critiques bergsoniennes de l'ordre trouvé. Nous nous proposons, dans ce livre, de montrer ce destin grandiose de la pensée scientifique abstraite. Pour cela, nous devrons prouver que pensée abstraite n'est pas synonyme de mauvaise conscience scientifique, comme semble l'impliquer l'accusa­ tion banale. Il nous faudra prouver que l'abstraction débarrasse l'esprit, qu'elle allège l'esprit, qu'elle le dynamise. Nous fournirons ces preuves en étudiant plus particuliè­ rement les difficultés des abstractions correctes, en marquant l'insuffisance des pre­ mières ébauches, la lourdeur des premiers schémas, en soulignant aussi le caractère discursif de la cohérence abstraite et essentielle qui ne peut pas aller au but d'un seul trait. Et pour mieux montrer que la démarche de l'abstraction n'est pas uniforme, nous n'hésiterons pas à employer parfois un ton polémique en insistant sur le caractère Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 7 d'obstacle présenté par l'expérience soi­disant concrète et réelle, soi­disant naturelle et immédiate. Pour bien décrire le trajet qui va de la perception réputée exacte à l'abstraction heureusement inspirée par les objections de la raison, nous étudierons de nombreux rameaux de l'évolution scientifique. Comme les solutions scientifiques ne sont jamais, sur des problèmes différents, au même stade de maturation, nous ne présenterons pas une suite de tableaux d'ensemble ; nous ne craindrons pas d'émietter nos arguments pour rester au contact de faits aussi précis que possible. Cependant, en vue d'une clarté de premier aspect, si l'on nous forçait de mettre de grossières étiquettes histori­ ques sur les différents âges de la pensée scientifique, nous distinguerions assez bien trois grandes périodes : La première période représentant l'état préscientifique comprendrait à la fois l'antiquité classique et les siècles de renaissance et d'efforts nouveaux avec le XVIe, le XVIIe et même le XVIIIe siècles. La deuxième période représentant l'état scientifique, en préparation à la fin du XVIIIe siècle, s'étendrait sur tout le XIXe siècle et sur le début du XXe. En troisième lieu, nous fixerions très exactement l'ère du nouvel esprit scientifique en 1905, au moment où la Relativité einsteinienne vient déformer des concepts primordiaux que l'on croyait à jamais immobiles. A partir de cette date, la raison multiplie ses objections, elle dissocie et réapparente les notions fondamentales, elle essaie les abstractions les plus audacieuses. Des pensées, dont une seule suffirait à illustrer un siècle, apparaissent en vingt­cinq ans, signes d'une maturité spirituelle étonnante. Telles sont la mécanique quantique, la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie, la physique des matrices de Heisenberg, la mécanique de Dirac, les méca­ niques abstraites et bientôt sans doute les Physiques abstraites qui ordonneront toutes les possibilités de l'expérience. Mais nous ne nous astreindrons pas à inscrire nos remarques particulières dans ce triptyque qui ne nous permettrait pas de dessiner avec assez de précision les détails de l'évolution psychologique que nous voulons caractériser. Encore une fois, les forces psychiques en action dans la connaissance scientifique sont plus confuses, plus essoufflées, plus hésitantes, qu'on ne l'imagine quand on les mesure du dehors, dans les livres où elles attendent le lecteur. Il y a si loin du livre imprimé au livre lu, si loin du livre lu au livre compris, assimilé, retenu ! Même chez un esprit clair, il y a des Gaston Bachelard (1934) La formation de l’esprit scientifique 8 zones obscures, des cavernes où continuent à vivre des ombres. Même chez l'homme nouveau, il reste des vestiges du vieil homme. En nous, le XVIIIe siècle continue sa vie sourde ; il peut ­ hélas ­ réapparaître. Nous n'y voyons pas, comme Meyerson, une preuve de la permanence et de la fixité de la raison humaine, mais bien plutôt une preuve de la somnolence du savoir, une preuve de cette avarice de l'homme cultivé ruminant sans cesse le même acquis, la même culture et devenant, comme tous les avares, victime de l'or caressé. Nous montrerons, en effet, l'endosmose abusive de l'assertorique dans l'apodictique, de la mémoire dans la raison. Nous insisterons sur ce fait qu'on ne peut se prévaloir d'un esprit scientifique tant qu'on n'est pas assuré, à tous les moments de la vie pensive, de reconstruire tout son savoir. Seuls les axes rationnels permettent ces reconstructions. Le reste est basse mnémotechnie. La patience de l'érudition n'a rien à voir avec la patience scientifique. Puisque tout savoir scientifique doit être à tout moment reconstruit, nos démons­ trations épistémologiques auront tout à gagner à se développer uploads/Philosophie/ formation-esprit-scientifique.pdf

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