Revue des Études Grecques Le chêne et le voile de Phérécyde. Note sur un témoig

Revue des Études Grecques Le chêne et le voile de Phérécyde. Note sur un témoignage du gnostique Isidore (7 B 2 DK, F 76 S) Lucia Saudelli Citer ce document / Cite this document : Saudelli Lucia. Le chêne et le voile de Phérécyde. Note sur un témoignage du gnostique Isidore (7 B 2 DK, F 76 S). In: Revue des Études Grecques, tome 124, fascicule 1, Janvier-juin 2011. pp. 79-92; doi : https://doi.org/10.3406/reg.2011.8042 https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_2011_num_124_1_8042 Fichier pdf généré le 19/04/2018 Résumé Cet article est consacré à un témoignage sur le présocratique Phérécyde de Syros qui n’a pas d’égal dans la tradition le concernant. Le gnostique alexandrin Isidore, cité par Clément d’Alexandrie, accuse Phérécyde d’avoir plagié la prophétie de Cham en recourant à l’image du « chêne » couvert par le « voile » . Afin de saisir la valeur de ce témoignage, je l’ai d’abord comparé aux citations littérales de l’écrit de Phérécyde et aux comptes rendus les plus pertinents sur sa pensée. J’ai d’autre part étudié la référence d’Isidore à l’épisode biblique de Cham pour en tirer des éléments utiles à la connaissance et à la compréhension de la cosmologie et de l’éthologie de Phérécyde. Abstract This article focuses on a testimony about the Pre-Socratic Pherekydes of Syros that has no equal in the tradition that concerns him. The Alexandrian Gnostic Isidore, quoted by Clemens of Alexandria, accuses Pherekydes to have plagiarized the prophecy of Cham using the image of the “ oak” covered by the “ veil”. In order to estimate the value of this testimony, I have first (of all) compared it to the literal quotations of the writing of Pherekydes and most pertinent evidences on his thought. On the other hand, I have studied the reference that Isidore makes to the Biblical episode of Cham in order to find useful elements for the knowledge and comprehension of the cosmology and ethology of Pherekydes. REG tome 124 (2011/1), 79-92. Lucia SAUDELLI* LE CHÊNE ET LE VOILE DE PHÉRÉCYDE. NOTE SUR UN TÉMOIGNAGE DU GNOSTIQUE ISIDORE (7 B 2 DK, F 76 S) RÉSUMÉ. – Cet article est consacré à un témoignage sur le présocratique Phé- récyde de Syros qui n’a pas d’égal dans la tradition le concernant. Le gnostique alexandrin Isidore, cité par Clément d’Alexandrie, accuse Phérécyde d’avoir plagié la prophétie de Cham en recourant à l’image du «∞∞chêne∞∞» couvert par le «∞∞voile∞∞». Afin de saisir la valeur de ce témoignage, je l’ai d’abord comparé aux citations littérales de l’écrit de Phérécyde et aux comptes rendus les plus pertinents sur sa pensée. J’ai d’autre part étudié la référence d’Isidore à l’épisode biblique de Cham pour en tirer des éléments utiles à la connaissance et à la compréhension de la cosmologie et de l’éthologie de Phérécyde. ABSTRACT. – This article focuses on a testimony about the Pre-Socratic Pherekydes of Syros that has no equal in the tradition that concerns him. The Alexandrian Gnostic Isidore, quoted by Clemens of Alexandria, accuses Pherekydes to have plagiarized the prophecy of Cham using the image of the “oak” covered by the “veil”. In order to estimate the value of this testimony, I have first (of all) compared it to the literal quotations of the writing of Pherekydes and most perti- nent evidences on his thought. On the other hand, I have studied the reference that Isidore makes to the Biblical episode of Cham in order to find useful elements for the knowledge and comprehension of the cosmology and ethology of Pherekydes. * Cette étude s’inscrit dans le programme de recherche A.N.R. «∞∞Présocratiques Grecs, Présocratiques Latins∞∞» (08-BLAN-0063-01) de l’Université Paris-Sorbonne, Paris IV (2009-2011). Je remercie mes directeurs, Monsieur André Laks et Monsieur Carlos Lévy, ainsi que mon collègue Gérard Journée, pour leurs conseils précieux et leurs observations critiques. 80 LUCIA SAUDELLI [REG, 124 Dans le sixième Stromate, Clément d’Alexandrie1 revient encore une fois sur le thème, typique de l’apologétique alexandrine de matrice judéo-chrétienne, du «∞∞larcin des Grecs∞∞»2. Son but est de démontrer que les philosophes païens se sont approprié les idées mosaïques et prophétiques∞∞; selon lui, les Grecs ont puisé aux enseignements des Écritures sacrées des Juifs, qu’il appelle «∞∞barbares∞∞». Dans le cadre de son apologie de la véritable «∞∞gnose∞∞» — la connaissance chrétienne apportée par la révélation du Nouveau Testament —, Clément a recours, entre autres, à trois extraits d’Isidore d’Alexandrie (IIe s. ap. J.-C.), fils et disciple du gnostique Basilide3. Selon le témoignage de Clément (Strom. VI 53, 2 sqq.), Isidore est l’auteur de Commentaires sur le prophète Parchor, qui est pour lui le «∞∞vrai∞∞» philosophe, parce qu’il s’agit d’un gnostique ayant obtenu des révélations directes. Dans le premier livre de cet ouvrage, Isidore accuse Aristote d’avoir tiré sa doctrine sur les démons personnels d’un prophète, c’est-à-dire d’une révélation déjà écrite4. Ensuite, dans le deuxième livre, Isidore généralise en affirmant que les philosophes ont emprunté leurs idées aux prophètes pour les attribuer à leurs sages. Dans ce même livre, Isidore fait aussi référence à Phérécyde (Strom. VI 53, 5, 1-4 = 7 B 2 D(iels)-K(ranz), F 76 S(chibli))∞∞: kaì gár moi doke⁄ toùv prospoiouménouv filosofe⁄n, ÿna máqwsi tí êstin ™ üpópterov drÕv kaì tò êpˆ aût±Ç pepoikilménon f¢rov, pánta ºsa Ferekúdjv âlljgorßsav êqeológjsen, labÑn âpò t±v toÕ Xàm profjteíav t®n üpóqesin· 1 Cf. P. DESCOURTIEUX (éd.), Clément d’Alexandrie, Les Stromates. Stromate VI, Intro- duction, texte critique, traduction et notes par P. D., Paris, Cerf, “Sources chrétiennes” 446, 1999, p. 169-171. 2 Sur ce thème, voir A. LE BOULLUEC (éd.), Clément d’Alexandrie, Les Stromates. Stromate V, introduction, texte critique et index par A. L. B., traduction par P. Voulet, Paris, Cerf, “Sources chrétiennes” 278, 1981, réimpr. 2006, p. 13-18∞∞; M. ALEXANDRE, «∞∞Apo- logétique judéo-hellénistique et premières apologies chrétiennes∞∞», dans B. POUDERON, J. DORÉ (eds.), Les Apologistes chrétiens et la culture grecque, Paris, Beauchesne, 1998, p. 1-40. Après le juif hellénisé Philon d’Alexandrie, Isidore serait le premier chrétien qui présente ce motif, comme le souligne P. PILHOFER, Presbyteron Kreitton. Der Altersbeweis der jüdischen und christlichen Apologeten und seine Vorgeschichte, “WUNT” 2, 39, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1990, p. 267. 3 Sur Basilide, voir G. QUISPEL, «∞∞L’homme gnostique. La doctrine de Basilide∞∞», Eranos Jahrbuch XVI (1948), p. 89-139∞∞; W. FOERSTER, «∞∞Das System des Basilides∞∞», New Testa- ment Studies 9 (1962), p. 233-255∞∞; R.M. GRANT, «∞∞Place de Basilide dans la théo logie chrétienne ancienne∞∞», Revue des études augustiniennes XXV (1979), p. 201-216. Quispel a étudié Basilide en relation avec la pensée médioplatonicienne∞∞; Foerster a insisté sur les fragments authentiques donnés par Clément∞∞; Grant s’est occupé des sources proprement chrétiennes de Basilide. 4 Cf. Dictionnaire des philosophes antiques, sous la direction de R. GOULET, Vol. II, Paris, CNRS Éditions, 1994, s.v. «∞∞Basilide∞∞» par M. TARDIEU, p. 84-89∞∞: p. 88. 2011] LE CHÊNE ET LE VOILE DE PHÉRÉCYDE 81 1 doke⁄ <didáskein> aut <êlégxein> Früchtel || 2 pánta hjte⁄n coni. Koe- nen || labe⁄n Heyse Il me semble en effet aussi que ceux qui prétendent philosophent [∞∞?], afin d’apprendre ce qu’est le chêne ailé et le voile brodé [posé] sur lui, toutes choses que Phérécyde, en recourant à un discours allégorique, a dit sur les dieux, en tirant son propos de la prophétie de Cham. Le texte a été considéré comme corrompu. L’éditeur Schibli5 pose une crux avant pánta («∞∞toutes choses∞∞»), car le lien syntaxique entre l’ensemble des propos de Phérécyde et les deux images du chêne et du voile n’est pas clair. Dans son apparat critique, il signale la proposition de Koenen qui tente de résoudre le problème en ajoutant un verbe (pánta hjte⁄n)∞∞; selon cette suggestion, «∞∞ceux qui prétendent philo- sopher … examinent toutes les choses∞∞» que Phérécyde a dites de manière allégorique dans sa théologie. Schibli pose une deuxième crux après labÉn («∞∞en tirant∞∞»), car la lettre et le sens de la dernière partie du texte posent problème∞∞: le sujet de l’action, c’est-à-dire l’auteur du plagiat, pourrait être Phérécyde ou bien les soi-disant philosophes. À ce propos, l’éditeur signale la conjecture de Heyse qui corrige le participe des manuscrits (labÉn) avec un infinitif (labe⁄n)∞∞: ainsi, ce seraient les pseudo-philosophes qui «∞∞tirent leur propos de la prophétie de Cham∞∞». Pour ce qui est des discussions actuelles, le paléographe Marwan Rashed suggère la correction labe⁄n ãn, en supposant une faute du copiste par haplographie∞∞: LABEINANAPO devenant LABÔNAPO∞∞; dans ce cas, Isidore affirmerait que ceux qui font mine de philosopher «∞∞pourraient bien prendre la prophétie de Cham∞∞» pour point de départ. Si l’on tente, malgré tout, de traduire le texte transmis, le gnostique Isidore (ap. Clément) semble soutenir le point de vue suivant∞∞: ceux qui prétendent philosopher essaient de comprendre la signification du «∞∞chêne ailé∞∞» (üpópterov drÕv) et du «∞∞voile brodé∞∞» (pepoikilmé- non f¢rov), éléments qui figurent dans la théologie allégorique du sage païen Phérécyde∞∞; celui-ci a emprunté le sujet de son récit à la prophétie de Cham. Le personnage de Cham (ou Ham) apparait dans la Genèse (5∞∞: 32, puis 9∞∞: 18-27) où Noé, le premier cultivateur, planta une vigne et en but le vin6. Lorsqu’il s’enivra et se dénuda, son plus jeune fils, Cham, uploads/Philosophie/2011-saudelli-lucia-le-chene-et-le-voile-de-pherecyde.pdf

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