Gilles Vervisch – Bergson, Le rire 1 Texte : Pour tout dire, nous ne voyons pas

Gilles Vervisch – Bergson, Le rire 1 Texte : Pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent tous des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience, avec les mille nuances fugitives et les milles résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles (…). Bergson, Le rire. Remarques méthodiques préliminaires . L’explication de texte ne consiste pas à paraphraser le texte, et donc, à répéter ce qui est écrit dans le texte. Considérez que le correcteur a le texte sous les yeux, et que vous ne lui apprendrez rien en lui indiquant que « l’auteur écrit ceci, et puis ceci… » Comment éviter la paraphrase ? Tout est dit dans l’énoncé de l’explication : « La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question. » . « Que l’explication rende compte du problème dont il est question » : il faut poser un problème, problématiser ! Le meilleur moyen d’éviter la paraphrase, c’est de savoir pourquoi on cherche à expliquer le texte. Il faut donc problématiser, c’est-à-dire, s’étonner de ce que dit l’auteur ; dès l’introduction, en se demandant pour qui et pourquoi sa thèse principale est étonnante (en général, elle est tout simplement paradoxale et contraire au sens commun). Dans le développement, ensuite, on peut s’étonner des différentes idées avancées par l’auteur pour défendre sa thèse, et là encore, se donner une bonne raison de l’expliquer. . « Par la compréhension précise du texte » : pour éviter encore la paraphrase, il faut analyser le texte avec précision, en particulier en définissant les concepts et termes- clés utilisés par l’auteur pour en expliquer le sens, et justifier les idées. Dès lors qu’on s’est étonné de ce que dit l’auteur, il faut chercher à le justifier pour le défendre. Malgré les paradoxes, pour quelles bonnes raisons peut-il avoir raison ? Gilles Vervisch – Bergson, Le rire 2 Plan détaillé Introduction Ce texte permet d’aborder plusieurs notions du programme : le langage d’abord, mais aussi, la perception, le sujet, la conscience et même l’art. Bergson énonce une thèse que l’on retrouve à peu près au milieu du texte : sous l’influence du langage, « ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous ». Autrement dit, le langage serait un obstacle aussi bien à la connaissance des choses ou de la réalité extérieures, qu’à la connaissance de nous-mêmes. Le langage et les mots qui le composent nous « cacheraient » les choses. Cette thèse peut paraître étonnante pour le sens commun (c.-à-d. par rapport à ce que n’importe qui a tendance à penser spontanément). Si l’on définit le langage comme un système de signes servant à la communication et/ou à l’expression, il apparaît plutôt comme un moyen pour la connaissance. Connaissance des choses et de la réalité, d’abord : on a l’intuition que c’est en nommant les choses qu’on acquiert des connaissances sur le monde ; et c’est d’ailleurs en définissant les mots que l’on explique et connaît la nature des choses. Pour ce qui est de la connaissance de soi, le problème semble assez différent : on a plutôt le sentiment de ne pas même avoir besoin du langage et des mots pour connaître ses propres « états d’âme ». D’accord avec Descartes, le sens commun a sans doute l’intuition d’avoir un accès direct à sa vie intérieure, à ses sentiments. Le langage est sans doute utile pour connaître les sentiments d’autrui. Mais ai-je vraiment besoin de mots pour savoir ce que je ressens au fond de moi ? J’ai plutôt l’impression de le savoir, ou du moins, de le sentir immédiatement et directement. D’ailleurs, il arrive qu’on dise : « je n’ai pas le mots pour le dire ». Loin d’influencer la conscience que j’ai de moi-même, le langage semble bien plutôt inapte à l’exprimer aux autres. Le problème est le suivant : le langage est-il donc un moyen ou un obstacle à la connaissance du monde et de soi-même ? Dans un premier temps, Bergson montre que le langage est un obstacle à la connaissance de la réalité extérieure, parce que les mots ne sont jamais que des noms communs qui ne nous révèlent pas la nature des choses, mais l’utilité qu’elles ont pour nous. Pour la même raison, à savoir que les noms ne sont que des « étiquettes » ou des « généralités », le langage nous empêche de nous connaître nous-mêmes dans ce qui constitue notre individualité. « Connais-toi toi-même » est-il écrit sur le fronton de l’oracle de Delphes. Une tâche bien difficile, lorsqu’on se contente d’utiliser les mêmes mots que tous les autres. I. Le langage est un obstacle à la connaissance choses extérieures §A. « Nous ne voyons pas les choses mêmes ». Affirmation d’emblée étonnante (étonnez-vous ! Problématisez, non seulement l’idée générale du texte, mais les idées mêmes qui servent à la montrer tout au long du texte ; manière d’éviter la paraphrase). Pour le sens commun (c.-à-d., ce que pense et ressent n’importe qui sans réfléchir, spontanément), les sens nous offrent une connaissance immédiate de la réalité. « Je ne crois que ce que je vois » ; il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour voir le monde ; la réalité qui est telle que je la vois. Alors, pourquoi pas d’après Bergson ? Parce que le témoignage de nos sens est subjectif ; la sensation ne nous révèle pas la nature des choses (« les choses mêmes ») : le soleil est plus loin et plus grand qu’il paraît. On se trompe peut- être en disant que « l’eau est chaude » ou que « le ciel est bleu ». Je sens que l’eau est Gilles Vervisch – Bergson, Le rire 3 chaude, dans la mesure où la température de l’eau est inférieure à celle de mon corps. De même, tous les animaux ne voient pas en couleur ; même les hommes entre eux (exemple : quelle est la vraie couleur de la robe bleue ou blanc et or ?). Difficile voire impossible de dire quelle est la « vraie » couleur de la réalité. Est-ce à dire que les sens sont trompeurs ? Seulement si on veut leur faire dire ce qu’ils ne disent pas : mais les informations qu’ils nous donnent nous sont utiles. « Cette tendance issue du besoin » : quand je mets ma main au feu, j’éprouve une sensation de douleur, de brûlure, ce qui me permet de retirer immédiatement ma main. La sensation est une information utile, et même vitale. Pour assurer ma propre conservation, peu m’importe de connaître la « vraie » nature des choses, j’ai seulement besoin de savoir, comme dirait Spinoza « la mesure dans laquelle mon corps en est affecté ». Le monde perçu par les sens ne consiste donc pas à « voir les choses elles-mêmes », mais à « lire des étiquettes ». « Coller des étiquettes » sur quelqu’un ou quelque chose, on le sait, c’est être victime de préjugés faux. Une étiquette est un petit morceau de papier fixé sur un objet qui en indique les caractéristiques utiles : confiture de fraise, prix, etc. D’une part, l’étiquette n’est pas la chose elle-même ; ensuite, elle ne contient que des informations utiles (« ne pas avaler » ; « à consommer de préférence avant »). Transition : le langage, les mots, ne nous révèlent-ils pas la nature des choses qui nous est cachée par la perception ? §B. Au contraire, d’après Bergson, le mot « en masquerait la forme à nos yeux ». « Cette tendance…s’est encore accentuée sous uploads/Philosophie/ g-vervisch-bergson-le-rire 1 .pdf

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