Gabriel Tarde (1843-1904) - Les lois de l'imitation Adversaire d’Émile Durkheim
Gabriel Tarde (1843-1904) - Les lois de l'imitation Adversaire d’Émile Durkheim et inventeur de la célèbre théorie de l’imitation, Gabriel Tarde est autant un philosophe métaphysicien qu’un psychosociologue engagé. L’année 1999 a été le point d’aboutissement de la redécouverte de Gabriel Tarde. En moins d’une année, les quatre ouvrages majeurs de G. Tarde sont réédités. Ces publications achèvent trente années de rééditions, amorcées par le travail du philosophe Jean Millet. Son nom, cité par des intellectuels importants comme Raymond Aron ou Gilles Deleuze, est désormais connu dans toutes les sciences humaines. G. Tarde serait l’un des fondateurs, oublié, des sciences sociales. Car à l’époque où la sociologie naît, à la fin du xixe siècle, deux grands penseurs se disputent la première place : Émile Durkheim et G. Tarde. Le premier remporte la victoire, effaçant le second. Pourtant, les œuvres de ce dernier, novatrices et très appréciées de son vivant, lui valent son élection au Collège de France en 1900, à la chaire de philosophie moderne. Mais G. Tarde n’élabore aucune réelle doctrine universitaire. Aucune école ni aucun successeur ne prolongera son œuvre après sa mort et, face à l’emprise croissante de É. Durkheim dans les sciences sociales, il sera progressivement oublié. Jusqu’à sa redécouverte dans les années 1960. L’intérêt de la psychologie Mais que dit G. Tarde ? Considéré comme l’un des fondateurs de la psychologie sociale, il marque les sciences humaines de son temps. Il s’appuie sur la philosophie et la métaphysique pour construire une théorie de société. Contrairement à É. Durkheim, il choisit d’appréhender le social à partir de l’individu. La seule réalité sociale est pour lui l’existence de consciences individuelles liées les unes aux autres par les lois de l’imitation. Celle-ci agit comme une onde ou un courant magnétique, qui se propage d’individu en individu. G. Tarde voit là le principe fondamental du fait social. L’imitation est au cœur de toute vie sociale et explique aussi bien les relations humaines que l’histoire. Celle-ci n’est rien d’autre que le processus par lequel les individus inventent en s’imitant, d’une civilisation à l’autre. Dans L’Opinion et la Foule (1901), G. Tarde mobilise également sa théorie de l’imitation pour expliquer la naissance de l’opinion publique. Elle se forme par la cohésion mentale qui naît entre les lecteurs séparés. Cette cohésion, possible grâce à l’imitation, transforme une masse de lecteurs anonymes en public distinct. La presse a ainsi, aux yeux de G. Tarde, un rôle fondamental. Elle peut faire naître une opinion publique et devient donc garante du bon fonctionnement de la démocratie.Mais si cette théorie de l’imitation, fidèle à la mode de l’hypnose et du somnambulisme, a été un succès à l’époque de G. Tarde, elle n’a plus cours dans la sociologie d’aujourd’hui. Comment expliquer alors le grand retour de G. Tarde depuis trente ans ? Bruno Latour affirme dans Changer de société. Refaire de la sociologie (La Découverte, 2006) que son apport aux sciences sociales a été décisif. G. Tarde a su autonomiser les sciences humaines par rapport à la biologie, et montrer l’importance de la psychologie pour comprendre les comportements humains. Il serait à ce titre l’un des précurseurs des sciences humaines. G. Deleuze, le premier, dans Différence et Répétition (1969), l’a considéré comme un philosophe de premier plan, inventeur d’une « microsociologie » qui confère aux forces psychologiques du désir et des croyances la place qu’elles méritent. Dans la théorie tardienne, ces forces sont celles qui permettent aux monades, consciences individuelles ou groupes sociaux, d’agir et de s’imiter les unes les autres. Cette méthode rend la séparation de l’individu et du social inutile. G. Deleuze et Félix Guattari mobiliseront cette idée dans leur entreprise de « révolution moléculaire » de la pensée. G. Tarde a également été redécouvert en sociologie par Raymond Boudon, qui l’a rallié au camp de l’individualisme méthodologique, en opposition au holisme durkheimien. Des théories inutiles ? Certains auteurs demeurent cependant rétifs à cette « tardomania ». Laurent Mucchielli, dans un article de la Revue d’histoire des sciences humaines , croit voir dans cette redécouverte de G. Tarde des raisons plus tactiques que réellement théoriques. R. Boudon l’aurait ainsi utilisé pour attaquer le holisme méthodologique. Plus généralement, la velléité de voir en lui et dans sa « statistique psychologique » un précurseur tant de l’individualisme que de la sociologie des réseaux et de la philosophie des flux, à la G. Deleuze ou B. Latour, ne convainc pas L. Mucchielli. Ces redécouvertes sont à ses yeux illégitimes et refléteraient surtout le désir, pour un courant de philosophes et de sociologues, de dépasser le structuralisme et de réhabiliter la métaphysique face à l’emprise des sciences humaines. En réalité, pour L. Mucchielli, les théories de G. Tarde ne sont d’aucune utilité. De fait, son individualisme et son opposition au déterminisme seraient contredits par sa théorie de l’imitation elle-même. Celle-ci ne transforme-t-elle pas les individus en somnambules ? Bref, les monades sont de peu de secours pour expliquer la société contemporaine. Dès lors ne doit-on pas considérer que la victoire d’É. Durkheim s’explique tout bonnement par un plus grand souci de rigueur scientifique ? Et les emplois contemporains de G. Tarde ne sont-ils pas simplement le fait de chercheurs en mal de filiation ? La charge de L. Mucchielli est sévère. Pourtant, malgré ces critiques, l’œuvre de G. Tarde continue à intriguer. Et si ses théories n’ont eu qu’un impact limité sur les sciences sociales, selon L. Mucchielli, leur reconnaissance suggère néanmoins que G. Tarde a ouvert des pistes de réflexion stimulantes. Solenn Carof 2007 Gabriel Tarde et la criminologie Gabriel Tarde est utilisé aujourd’hui en criminologie pour son ouvrage La Philosophie pénale (1890), dans lequel il a refondé une théorie de la responsabilité. Cette réflexion lui a permis de s’opposer avec force aux théories déterministes de Cesare Lombroso et de l’école italienne, qui évoquaient une criminalité d’origine biologique. Pour G. Tarde, ces théories impliquent inévitablement une irresponsabilité des individus, biologiquement anormaux, et placent le fou et le criminel sur le même plan. En s’appuyant sur la statistique, G. Tarde démontre le contraire. Les causes des crimes sont à rechercher ailleurs, dans les origines sociales et psychologiques des criminels. L’une des preuves de G. Tarde montre que les crimes sont relatifs à une époque et à un pays donnés. Tuer une vache en Inde peut ainsi être considéré comme le crime suprême alors qu’il ne sera que peu réprimé dans le reste du monde. Personne ne naît donc criminel puisque la définition même du crime évolue selon l’opinion et la législation. Par contre, de nombreuses causes sociales et psychologiques expliquent la naissance du criminel. Ce dernier est souvent influencé par les difficultés économiques et les croyances de son milieu qui ne correspondent pas aux modèles de référence invoqués par la société. Par conséquent, G. Tarde considère que le crime et sa répression sont moins des questions juridiques que morales et sociales. Il participera aux Archives d’anthropologie criminelle et aux congrès pour défendre ses thèses contre les théories déterministes de C. Lombroso. En ce sens, il peut être considéré comme l’un des fondateurs de la criminologie. Solenn Carof 2007 Tarde et Le Bon sur la foule Dans les années 1880-1890, l’hypnose est à la mode en France. Le scientifique polygraphe Gustave Le Bon (1841-1931) s’inspire de son contemporain Gabriel Tarde pour proposer une Psychologie des foules en 1895. Il retient de G. Tarde la suggestion et l’imitation, mais sa vision des comportements collectifs est plus inquiétante. Pour G. Le Bon, « l’ère des foules » est celle des associations et des corporations, de nouveau autorisées en 1864. L’ « âme collective » des masses leur confère une puissance dangereuse. Manipulées par des meneurs, les foules peuvent tout détruire sur leur passage. Mais elles sont aussi un moteur des changements politiques et sociaux. Bibliographie petite bibliographie • Les Lois de l’imitation 1890, rééd. Kimé, 1993. • La Philosophie pénale 1890, rééd. Cujas, 1972. • L’Opinion et la Foule 1901, rééd. Le Sandre, 2006. • Psychologie économique Félix Alcan, 1902. Sciences Humaines a publié • « Gabriel Tarde et la théorie de l’imitation » n° 183, juin 2007. • « La psychologie sociale pose ses bases » hors-série n° 30, décembre 2000. uploads/Philosophie/ gabriel-tarde-lois-de-l-x27-imitation.pdf
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- Publié le Oct 07, 2022
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