Décalages Volume 1 | Issue 2 Article 7 1-1-2012 Lire Gramsci après Althusser Vi
Décalages Volume 1 | Issue 2 Article 7 1-1-2012 Lire Gramsci après Althusser Vittorio Morfino This Literature Review is brought to you for free and open access by Occidental College Scholar. It has been accepted for inclusion in Décalages by an authorized administrator of Occidental College Scholar. For more information, please contact cdlr@oxy.edu. Recommended Citation Morfino, Vittorio (2012) "Lire Gramsci après Althusser," Décalages: Vol. 1: Iss. 2, Article 7. Available at: http://scholar.oxy.edu/decalages/vol1/iss2/7 LIRE GRAMSCI APRÈS ALTHUSSER Vittorio Morfno Peter Tomas, Te Gramscian Moment. Philosophy Hegemony and Marxism (“Historical materialism” 24), Brill, Leiden Boston, 2009, pp. 477. Fabio Frosini, Da Gramsci a Marx. Ideologia, verità e politica, Deriveapprodi, Roma 2009, pp. 126. Le livre de Peter Tomas, Te Gramscian Moment. Philosophy Hegemony and Marxism, publié dans la collection “Historical materialism” des éditions Brill de Leiden, se propose comme une interprétation d’ensemble des Cahiers de Prison. Le titre fait allusion à l’annus mirabilis 1932 dans lequel Gramsci, “en approfondissant et en articulant son projet de recherche interdisciplinaire, trace les trois parties fondamentales qui composent la ‘philosophie de la praxis’ à travers la notion d’historicisme absolu, d’immanence absolue et d’humanisme absolu”. Mais il se réfère aussi au débat contemporain, dans lequel Gramsci, au de là de la critique d’Althusser, mais justement grâce à la paradoxale proximité avec certains de ses thèmes, la non contemporanéité du présent in primis, nous permettrait d’hériter de la tradition marxiste à la fois “en tant que continuation et transformation, fdélité et renouvellement ”. Le premier geste de Tomas consiste en la reconstruction détaillée de la critique que Althusser adresse à Gramsci dans un célèbre paragraphe de Lire Le Capital, “Le marxisme n’est pas un historicisme” : ici, dans l’élaboration de sa propre théorie en tant que antihumanisme et antihistoricisme, Althusser prend ses distances de la tradition marxiste italienne où seraient présents “les traits les plus accusés et les formes les plus rigoureuses” de l’interprétation du marxisme en tant qu’historicisme, tradition qu’il fait remonter à Gramsci qui, à son tour, “l’avait en grand partie héritée de Labriola et de Croce”. Donc Althusser élève Gramsci au rang de paradigme, de grammaire fondamentale, de l’interprétation historiciste du marxisme, étant bien conscient du risque de “défgurer par des remarques forcément schématiques, l’esprit d’une oeuvre géniale, prodigieusement nuancée et subtile”. Et voici le schéma fondamental de la problématique de Gramsci dans son essentiel : la relation entre théorie marxiste et histoire réelle est conçue à travers la catégorie d’“expression directe” et doit être pensée “sur le modèle du rapport d’une idéologie ‘organique’ (historiquement dominante et agissante) à l’histoire réelle”, tout cela étant rendu possible par un concept idéologique de praxis sous laquelle généricité sont subsumée toutes les pratiques sociales, en effaçant toute 1 Morfino: Lire Gramsci après Althusser Produced by The Berkeley Electronic Press, 2012 distinction de niveau entre idéologie, religion, philosophie et science. Or, il faut dire que le Gramsci sur lequel Althusser travaille est celui de l’édition thématique des Cahiers du deuxième après guerre, la célèbre édition Togliatti-Platone, plus précisément le Gramsci du volume Il materialismo storico e la flosofa di Benedetto Croce : de ce livre Althusser extrait ce que lui-même défnit comme les “concepts organiques” de la problématique gramscienne. Bien évidemment l’édition critique de Gerratana a ouvert des horizons tout-à-fait nouveaux en permettant de saisir la complexe stratifcation temporelle des notes de Gramsci. La partie la plus originelle de l’oeuvre de Tomas se sert justement de l’édition critique de Gerratana, mais aussi des meilleures contributions de la philologie gramscienne de ces dernières années, pour répondre à cette critique althussérienne et les trois chapitres fnales (7. “Te Philosophy of Praxis is the Absolute ‘Historicism’”; 8. “Te Absolute Secularisation and Earthlinessof Tought”; 9. “An Absolute Humanism of History”) condensent le travail de tout le livre dans cette direction. Il en dérive un Gramsci que nous parle encore au-delà de la critique althussérienne, mais souvent en strict dialogue, sinon en consonance, avec le marxisme althussérien. L’historicisme absolu de Gramsci serait lisible, selon le schéma d’Althusser, comme une forme d’hégélisme sans savoir absolu, où chaque présent serait passible d’une coupe d’essence qui révélerait une contemporanéité fondamentale de tous les éléments de la société (donc l’homogénéité d’un Zeitgeist au sens hégélien). La limite principale de cette critique réside dans la présupposition de la totale dépendance de la problématique gramscienne de celle de Croce. C’est justement en travaillant sur la stratifcation temporelle des notes que Tomas met en évidence, par une recherche à la fois historiquement pointue et théoriquement profonde, que Gramsci se libère progressivement de l’hypothèque crocienne et que rien n’est plus éloigné de sa pensée du concept d’un temps homogène, d’un présent contemporain à lui même : “Pour Gramsci le présent est nécessairement non identique à lui même, composé par une multiplicité de ‘temps’ que ne coïncident pas, mais se rencontrent dans une réciproque incompréhension. […] Loin d’être expression d’une essence également présente dans toutes les pratiques, le présent de Gramsci est justement un ensemble de pratiques dans leur différentes temporalités, pratiques qui se battent pour affirmer leur primauté et donc pour articuler le présent en tant qu’une unité réalisée plutôt qu’originaire”. Exemples de cette structurelle non contemporanéité du présent, de cette nature ‘fracturée’ du temps historique, sont : 2 Décalages, Vol. 1 [2012], Iss. 2, Art. 7 http://scholar.oxy.edu/decalages/vol1/iss2/7 1) la théorie gramscienne de l’individu (la ‘persona’, selon sa terminologie), qui loin d’être un sujet doué d’une essence unitaire et unifante, c’est bien autrement un ‘site archéologique vivant’ dans lequel sont à l’oeuvre différents niveau de l’expérience historique. 2) Les considérations sur le langage, dont la nature métaphorique révèle couches ou sédiments de différentes expériences historiques, et sur le rapport entre langues nationales et dialectes qu’il faut penser non pas selon des “relations hiérarchiques de dégénérescence et pureté, mais comme des indices performatifs de diff érents temps du développement historique, liés en dernière analyse aux conditions de subalternité politiques ou de direction hégémonique”. 3) Les considérations sur le présent des Etats-Nation lui-même fragmenté entre “centres urbaines et périphéries rurales” et fnalement, à un niveau international, sur les “relations hégémoniques entre différents nations [que] relèguent certaines formations sociales au passé d’autres” , dont l’exemple privilégié est la différence entre Occident et Orient relevée non sur la base d’une ligne temps progressive où l’Occident serait l’élément avancé et l’Orient celui sousdéveloppé, ni à la lumière d’un modèle idéal-typique d’Etat, présent en Occident et absent en Orient, mais en tant que résultat “de la temporalité et de l’efficacité de l’expansion impérialiste [qui] progressivement impose une unité essentielle aux disparités des expériences historiques nationaux”. Cette non contemporanéité du présent, cette stratifcation temporelle, cette pluralité de temps, est selon Gramsci symptôme par excellence de la lutte des classes : le présent, en tant que temps de la lutte de classe, est nécessairement et essentiellement ‘hors de ses gonds’ [out of joint], fracturé par les temps différentiels de différents projets de classe”. Loin de présupposer, come le croyait Althusser, un présent omnipénétrant, Gramsci pense ce présent comme l’effet de l’hégémonie politique et sociale d’un groupe, imposé comme une sorte d’horizon absolu aux autres groupes sociaux, non seulement du savoir mais aussi de la praxis. Le creusage archéologique du présent est donc à la fois intervention dans la conjoncture dominée par des rapports de forces entre groupes sociaux; et cependant ce creusage n’est pas suffisant à lui-même, car les classes subalternes “resteront telles si incapables d’élaborer un appareil hégémonique” à même de défer ces rapports de forces. Il n’est pas possible donc de comprendre l’historicisme absolu gramscien sans ce continu renvoi de la philosophie à la politique et de l’histoire à la 3 Morfino: Lire Gramsci après Althusser Produced by The Berkeley Electronic Press, 2012 politique, qui met en évidence l’innervation confictuelle, politique, de chaque conjoncture historique et de chaque position philosophique. Cela signife que la philosophie ne peut pas être chez Gramsci l’expression d’un présent historique contemporain à lui-même – et, en ce sens, pacifé – mais elle est projet politique, intervention dans une conjoncture, qui est un entrelacement de temps justement car constituée par des rapports de force, par rapport auxquels la contemporanéité loin d’être un originaire, est bien autrement un effet, l’artifce produit par l’hégémonie d’une classe. Pour conclure ce qui surprend de l’interprétation de Tomas est sa capacité d’instaurer un dialogue constant entre Gramsci et Althusser – au-delà des schématismes dogmatiques qui ont opposé les deux auteurs dans les année Soixante et Soixante Dix (historicisme contre structuralisme, herméneutique contre épistémologie) – sur la théorie de l’État, sur la théorie de l’idéologie et sur la théorie de l’histoire, qui n’est pas pensée dans la forme intrinsèquement téléologique des états de développement, mais dans sa nature politique, entièrement plongée dans les rapports de force et dans les confits de la conjoncture : en ce sens l’historicisme absolu de Gramsci et la théorie du temps historique althussérien se rencontrent productivement dans la tentative de construire ce que nous pourrions défnir un nouveau ‘matérialisme de la conjoncture’. C’est dans cette direction, bien qu’à partir d’une perspective différente, que va le uploads/Philosophie/ lire-gramsci-apres-althusser-por-vittorio-morfino.pdf
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- Publié le Fev 17, 2022
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