Nathalie Bittoun-Debruyne Sur L'Imaginaire : Sartre et Husserl In: Cahiers de l
Nathalie Bittoun-Debruyne Sur L'Imaginaire : Sartre et Husserl In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1998, N°50. pp. 297-310. Citer ce document / Cite this document : Bittoun-Debruyne Nathalie. Sur L'Imaginaire : Sartre et Husserl. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1998, N°50. pp. 297-310. doi : 10.3406/caief.1998.1325 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1998_num_50_1_1325 SUR L'IMAGINAIRE : SARTRE ET HUSSERL Communication de Mme Nathalie BITTOUN-DEBRUYNE (Université de Lleida, Espagne) au XLIXe Congrès de l'Association, le 10 juillet 1997 Au-delà des modes, l'actualité de Jean-Paul Sartre s'ap puie sur des bases bien solides : par exemple, sur sa capac ité de bâtir une œuvre qui essaie de donner des réponses à toutes les dimensions de l'être humain, ou sur l'engage ment par lequel il assume le droit au savoir et la liberté d'action de l'individu dans le monde. D'une façon presque involontaire, nous venons déjà d'associer sa facette reflexive à l'homme qui intervient face à toute st imulation sociale : Sartre est romancier, moraliste — dans le sens le plus radical de l'expression — , philosophe, ana lyste politique, journaliste, dramaturge... ; et il trouve encore le temps de collaborer à des manifestations de pro testation ou de solidarité, de s'intéresser au cinéma, de diriger une revue. Vivre, c'est lire et écrire, et écrire, c'est faire et se faire, agir en fonction de ce que l'on pense. Loin de vivre dans une tour d'ivoire, il s'est toujours ouvert à l'extérieur à travers tous les moyens possibles et, bien sûr, grâce aux échanges intellectuels et amicaux avec d'autres penseurs comme Simone de Beauvoir, Paul Nizan, Raymond Aron, Maurice Merleau-Ponty, René Maheu. C'est justement une conversation avec Raymond Aron, en 1933, qui s'avérera déterminante : le hasard d'un cocktail à l'abricot — selon le Castor — ou d'un demi — 298 NATHALIE BITTOUN-DEBRUYNE selon Aron — décida de la tâche que Sartre devait accomp lir, du moins, jusqu'au moment où il allait écrire L'Être et le Néant. Essai d'ontologie phénoménologique (1943), dans le domaine de la philosophie, et Huis clos (1944), dans le domaine du théâtre (1). En effet, c'est à partir de cette conversation où le verre sert d'exemple que Jean-Paul Sartre achète immé diatement un livre que lui avait recommandé son ami — la Théorie de l'intuition à la phénoménologie, de Huss erl — , qu'il lit avec passion toute l'œuvre du philo sophe allemand (2), et qu'ils échangent leurs postes de travail respectifs : Aron part pour Le Havre, tandis que Sartre, grâce à une bourse, s'en va à l'Institut Français de Berlin dans le but d'étudier les « Relations du psy chique avec le psychologique en général ». Il y rencont rera Husserl et, à partir de tout cela, écrira les œuvres qui composent la première étape de sa philosophie, parmi lesquelles, en 1940, il publie justement L'Imagi naire (3). Michel Contât et Michel Rybalka signalent que cet ouvrage, que Sartre avait d'abord pensé intituler « Le Monde imaginaire » ou « Les Mondes imaginaires », fait suite à L'Imagination et marque l'aboutissement des recherches sur la perception entreprises depuis les années vingt (4). (1) Dans le premier chapitre de la troisième partie de L'Être et le Néant (Paris, Gallimard, 1973, p. 288-310), Sartre commence à s'éloigner de Husserl en s'appuyant sur la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel. (2) II avoue avoir mis quatre ans à épuiser tout Husserl dans Les Carnets de la drôle de guerre (Paris, Gallimard, 1983, p. 225). (3) Nous utilisons l'édition d'Ariette Êl-Kaïm, Paris, Gallimard, 1986. En réalité, cette éditrice n'apporte presque rien à l'œuvre de Sartre, si ce n'est l'index onomastique, puisque le volume est pratiquement identique à celui de 1940. Il nous semble qu'il s'agit plus d'une question de droits d'auteur que de rigueur scientifique. À titre d'exemple, il suffit de signaler que la table des matières est incomplète et ne suit aucun critère logique : certaines sections sont citées et d'autres pas, toujours de façon arbitraire. (4) Les Écrits de Sartre, Paris, Gallimard, 1970, p. 78. L'IMAGINAIRE 299 En réalité, L'Imagination publié par Alcan en 1936 était une réélaboration du D.E.S. de Sartre, qui lui avait été demandée par son professeur Henri Delacroix. Cepend ant, ce premier volume ne contenait que la première part ie du travail : tel quel, le livre représente l'introduction critique à L'Imagi naire que Sartre élaborera par la suite en reprenant la partie rejetée par Alcan (5). C'est donc dans la perspective de la phénoménologie husserlienne qu'il faut essayer d'entrer dans cet essai, pour suivre à nouveau la démarche et l'évolution d'un penseur qui a définitivement marqué une époque et qui a su la transcender par l'universalité de ses idées. Car, il faut le dire, que l'on en soit partisan ou détracteur, la pen sée de Sartre est incontournable. * * L'un des mots clés de L'Imaginaire est analogon, que Sartre utilise dans le sens d'« un équivalent de la percep tion » (6). S'il est permis de généraliser ce petit exemple, nous nous trouvons donc au beau milieu d'une préoccu pation qui part, pour le moins, de Kant, quand ce dernier parle d'une phenomenologia generalis, antérieure à la méta physique. Sa fonction consisterait à « tracer la ligne de division entre le monde sensible et le monde intelligible dans le but d'éviter des transpositions illégitimes de l'un à l'autre » (7). Autrement dit, la phénoménologie se soucie (5) Ibid., p. 55. (6) Selon Paul Foulquié, employé substantivement, un analogon est, « dans un rapport d'analogie, le terme corrélatif d'un terme donné » (Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, PUF, 1969, p. 30). (7) José Ferra ter Mora, Diccionario defilosofia, Buenos Aires, Sudamericana, 1965, 1. 1, p. 645. J'utilise cet ouvrage en raison de sa grande clarté d'exposi tion : il nous servira de guide pour ces premiers pas à travers la phénomén ologie et la phénoménologie sartrienne. Pour la commodité du lecteur, je traduis toutes les citations en castillan et en catalan. 300 NATHALIE BITTOUN-DEBRUYNE d'établir les relations entre la réalité et l'apparence (la façon d'apparaître), ainsi que de donner une base solide au savoir empirique en reconsidérant absolument tous les contenus de la conscience (8). La phénoménologie se situe ainsi avant toute croyance et tout jugement, afin d'explorer clair ement et nettement ce qui est donné. C'est, comme l'a déclaré Husserl, un « positivisme absolu » (9). Ce type d'études avait donné de nombreux fruits dans la philosophie allemande, de sorte que Husserl et Heideg ger apporteront une grande multiplicité de réflexions phénoménologiques à la pensée française, tout spécial ement dans les années 30 : Jean-Paul Sartre n'en sera pas le seul récepteur, il y a aussi Merleau-Ponty et Paul Ricœur (10). Au cours de cette décennie, les centres d'intérêt th ématiques de Sartre sont phénoménologiques, comme le résume Francis Jeanson : d'abord, « il veut pouvoir affi rmer la souveraineté de la conscience tout en faisant droit à la réalité du monde » (11), parce qu'autrement il n'y aurait ni vérité ni sens et l'être humain ne posséderait pas la liber- (8) Précisons ici que le mot est pris selon cette ambivalence : « 1° conscien ce de soi comme sujet, c'est-à-dire principe actif de connaissance ; 2° conscience de l'autre (« la conscience est toujours conscience de quelque chose »), c'est-à-dire d'un objet distinct du sujet. Par suite, la connaissance que le sujet a de lui-même n'est pas intuitive mais réfléchie, c'est-à-dire lumière qui ne s'apparaît à elle-même que dans la mesure où elle se reflète dans l'objet qu'elle illumine » (P. Foulquié, op. cit., p. 122). Il faut rapprocher cette définition de l'énoncé de Sartre : « Toute conscience est conscience de quelque chose » (L'Imagination, Paris, PUF, 1994, p. 144). (9) J. Ferrater Mora, op. cit., I, p. 646. (10) Voir Herbert Spiegelberg, The Phenomenological Movement. A historical Introduction, 1960, 2 vol. Cependant, La Phénoménologie de la perception, de Merleau-Ponty, est de 1945, et, tout comme Sartre, il ne laisse jamais Des cartes de côté, quoiqu'il élargisse le je pense cartésien jusqu'à un je suis depuis le monde, conclusion qui a une certaine ressemblance avec la phénoménolog ie de Sartre. Voir Silvio A. Aguirre Batzán, El cuerpo propio en M. Merleau- Ponty, thèse de l'Université de Barcelone, 1974 ; résumé de 1977. (11) Sartre dans sa vie, Paris, Seuil, 1974, p. 103, ainsi que les deux citations suivantes. L'IMAGINAIRE ■ 301 té-dans-le-monde par laquelle il caractérise son existence et son essence ; ensuite, Sartre « veut rencontrer la réalité du monde dans la diversité de ses manifestations », dans un intense effort de compréhension de l'autre qui est consub- stantiel à toute sa pensée ; et, enfin, il veut comprendre les hommes « en tant que rapports de transcendance avec un monde réel : en tant que consciences singulières, à tout moment contraintes de se dépasser vers un indépass able », comme, à mon avis, le montre son théâtre. Pour comprendre ce mouvement phénoménologique inspiré par Husserl, il faut tenir compte du fait qu'il se manifesta comme une réaction face aux excès uploads/Philosophie/ sur-l-x27-imaginaire-sartre-et-husserl-pdf.pdf
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- Publié le Jui 21, 2021
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