École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses Henry Corbin
École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses Henry Corbin (1903-1978) Paul Nwyia Citer ce document / Cite this document : Nwyia Paul. Henry Corbin (1903-1978). In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 87, 1978-1979. 1978. pp. 39-47; doi : 10.3406/ephe.1978.15381 http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1978_num_91_87_15381 Document généré le 16/06/2016 Henry Corbin [1903-1978] Henry Corbin nous a quittés le 7 octobre dernier à l'âge de 75 ans. Il est mort en plein travail, ayant encore devant lui de nombreuses œuvres à achever ou même à entreprendre. Il laissait donc une tâche inachevée, encore qu'elle fut admirablement accomplie. Tandis que ses collègues assistaient à ses obsèques à l'Oratoire du Louvre, apparaissait à l'Ecole des Hautes Etudes le programme de l'année 1978-79 où figurait le nom de H. Corbin et le sujet des conférences qu'il prévoyait de donner : La conception Ismaélienne du Tawhîd et la conception chi'ite duodécimai- ne (Ecole du Kerman). Il était déjà à la retraite depuis plusieurs années, mais il aimait enseigner, et plus encore il aimait notre Ecole et appréciait le droit qu'elle donnait d'y enseigner même après le retraite. Il aura usé de ce droit usque ad mortem : une mort survenue au moment où, tandis que lui-même pénétrait dans les Lumières de l'éternité, le monde iranien s'enfonçait dans des ténèbres dont personne ne sait encore sur quel avenir elles se dissiperont. H. Corbin s'intéressait peu à la politique, celle qui fait l'histoire « historiale », mais il aimait trop l'Iran, devenue sa seconde patrie, pour ne pas souffrir terriblement de ce qui est advenu là-bas. N'avait-il pas eu le pressentiment de ces événements ? Comment comprendre autrement les mises en garde qu'il adressait à ses amis d'Orient à toute occasion et encore dans le Prélude à l'un de ses derniers livres où, n'hésitant pas à introduire dans son propos théoso- phique une « dissonnance », il écrivait ces lignes qui sont aujourd'hui prophétiques : « Les « Occidentaux » de l'Orient soupçonnent naïvement que toute revivification de ce qu'ils appellent le « passé », tend à freiner l'essor technologique de nos jours, et partant, ils opposent à ce « passé » des idéologies qu'ils croient solidaires de leur occidentalisation. On souhaite qu'ils s'éveillent à ce dont les « Orientaux » de l'Occident ont pris conscience depuis longtemps » {L'archange empourpré, p. XXIII). La mort a épargné à notre maître et ami d'assister à la manière dont se fait cet « éveil », mais hélas ! elle nous a imposé aussi une absence qui est celle d'un géant de l'Orientalisme dont le départ laisse un vide immense. Ceux qui ont suivi le développement de l'œuvre de Henry Corbin savent quel monument magnifique il a su construire au cours des quarante dernières années. Je voudrais, à l'adresse de ceux qui sont 40 étrangers à sa spécialité, rappeler brièvement ce que son œuvre a apporté à notre connaissance du monde musulman. Ma tâche n'est pas facile, car l'œuvre a des dimensions colossales, en largeur et en profondeur. Heureusement que H. Corbin a pris la peine de présenter lui-même son œuvre, dans un article paru dans le volume jubilaire de notre Cinquième section (Problèmes et méthodes d'histoire des religions, pp. 129-146). Evoquant plus tard cet article, il écrivait : « II est exceptionnel qu'un chercheur ait l'occasion, au cours de sa vie, de s'expliquer sur ce qu'il s'est proposé de faire, et de dire comment et pourquoi il a essayé de le faire, bref, de rédiger quelque chose qui soit à la fois un programme et un testament » (En Islam iranien, t. I, p. XII). C'est en philosophe que H. Corbin aborde l'islamologie, et il avait conscience de marcher sur une voie où il n'avait ni prédécesseur ni guide, et où il se sentira, longtemps, isolé : « Le philosophe orientaliste, plus exactement dit ici le philosophe islamisant, en est encore, écrit-il, à chercher son lieu et son habitat » ; il n'est tout à fait chez lui ni parmi les philosophes ni parmi les orientalistes : « Essayez, écrit-il, non sans humour, d'exposer en philosophe devant un congrès d'Orientalistes quelques-unes des questions techniques qui ont absorbé l'attention des penseurs de l'Islam : le dodelinement des têtes vous avertira que vous abusez peut-être d'une attention bienveillante. En revanche, cette attention vous est acquise d'emblée chez les philosophes. Malheureusement, vous devez citer des noms propres, employer des termes techniques, qu'il faut expliquer au fur et à mesure parce qu'ils ne sont encore familiers à personne » (Problèmes et méthodes, p. 132). Malgré cette situation inconfortable, H. Corbin est arrivé à s'imposer aussi bien dans le monde des Orientalistes que dans celui des Philosophes - et cela grâce à la profondeur de sa pensée et la richesse d'un langage (et d'une langue) qu'il créait lui-même, et grâce à un labeur acharné qui mobilisait toutes ses forces et prenait tout son temps. Il s'est imposé dans les milieux orientalistes islamisants, tout d'abord en se livrant à des tâches qui sont austères pour tout le monde mais qui, pour un philosophe, sont presque contre-naturelles : je veux parler des nombreux textes, arabes et persans, que H. Corbin a été amené, malgré lui, à éditer. Il parlait à ce propos des « tribulations du philosophe islamisant » qu'il décrivait ainsi : « L'état des recherches l'oblige à une besogne préalable de philologue qui n'est pas tout à fait la sienne. Il doit se faire, le plus souvent, l'éditeur des textes sur lesquels il fondera ensuite ses exposés ». Ainsi commencera la carrière scientifique de H. Corbin : par l'édition de la monumentale œuvre d'un mystique d'origine iranienne, mis à mort à Alep à l'âge de 36 ans : Suhrawardî qui sera pour lui ce que Hallâj avait été pour Massignon. On nous permettra de citer ici un émouvant passage où Corbin, unissant le souvenir de Massi- 41 gnon à celui de Suhrawardî, explique comment fut scellé son propre destin : « Quant à Massignon..., j'évoquerai particulièrement un geste de lui. Il attachait une signification symbolique au geste de la transmission d'un livre, signification se rattachant à l'âge du manuscrit où le livre était rare, et où la transmission d'un exemplaire d'un maître à un élève impliquait comme une filiation de pensée. C'est dans cet esprit que Massignon me remit - ce devait être en 1928 - le volumineux exemplaire de l'édition lithographiée d'une œuvre de Suhrawardî avec le commentaire de Molla Cadra Shirâzî, exemplaire qu'il avait rapporté d'un voyage en Iran. Ce geste scellait mon destin de chercheur. Je fus entraîné à me faire l'éditeur des œuvres de Suhrawardî, et Suhrawardî m'entraîna bien loin des paisibles fonctions dont j'avais été investi à la Bibliothèque Nationale » (Problèmes et Méthodes, p. 130). Le premier tome paraîtra en 1944 à Istanbul où Corbin avait passé les années de la guerre (54 1 p. de texte arabe et 80 p. de prolégomènes). Le second paraîtra en 1952 à Téhéran où Corbin avait élu domicile spirituel pour toujours et où il fondait la collection de « Bibliothèque iranienne ». Après Suhrawardî, les textes édités par Corbin se succéderont presque sans interruption jusqu'à sa mort. Citons dans l'ordre chronologique : En 1953, Nâsir Khosraw, Le livre réunissant les deux sagesses (K. Jâmïal-hikmatayn) (346 p. de persan et 147 p. de prolégomènes) - en 1955, Commentaire de la Qasîda ismaélienne de Jorjânî (128 p. de texte pers. et 116 p. de prolégomènes) - en 1958, Ruzbéhân Baqlî Shirâzî, Le Jasmin des Fidèles d'amour (244 p. de texte pers. et 128 p. d'Introduction et trad.) - en 1961, Trilogie ismaélienne (188 p. de texte arabe-persan et 400 p. de trad. et commt.)-en 1964, Molla Sadra Shirâzî, Le Livre des pénétrations métaphysiques, texte arabe et version persane (248 p. de texte et 271 p. de prolégomènes) - en 1966, Ruzbé- han Baqlî, Commentaire sur les paradoxes des Soufis (740 p. de texte persan et 46 p. d'Introduction) - en 1969, Haydar Amolî, Jâmiral-asrâr (en coll. avec O. Yahya, 832 p. de texte arabe et 76 p. d'Introduction) - et enfin en 1975, Haydar Amolî encore, Le texte des textes (546 p. de texte arabe et 46 p. d'Introduction). La totalité de ce qu'il a édité, seul ou en collaboration, fait 4 160 pages ! Ce nombre serait sans signification et ne surprendrait pas dans le cas d'un chercheur dont la spécialité serait l'édition des textes. Chez H. Corbin, le labeur que cela représente est stupéfiant eu égard au contexte de l'ensemble de ses activités. Car en même temps qu'il éditait, H. Corbin poursuivait sa recherche de philosophe devenu islamisant. Nous avons signalé les longs prolégomènes qui accompagnent les textes édités et qui sont toujours une étude très approfondie et presque 42 exhaustive de ces textes. Certains ont été même, fort heureusement, publiés à part, permettant une plus grande diffusion. A partir de 1955, H. Corbin, succédant à L. Massignon, commence son enseignement à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, ouvrant une période de recherches et publications étonnement féconde. Ce qu'était uploads/Philosophie/ henry-corbin-1903-1978-article.pdf
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- Publié le Mai 02, 2021
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