L e G n o m o n i s t L e G n o m o n i s t e e Volume XX numéro 1, mars 2013 U
L e G n o m o n i s t L e G n o m o n i s t e e Volume XX numéro 1, mars 2013 Un beau cadran musulman du Moyen Âge de Ibn al-Shatir (1371-2) par André E. Bouchard André E. Bouchard Le sujet est d’une telle richesse qu’il faudrait expliquer des pans entiers de la civilisation arabe pour le com- prendre ; par exemple, et de façon non exhaustive, l’importance de Damas et de sa mosquée dans la culture et le religion musulmanes; la place prépondé- rante des astronomes pour calculer les temps de la prière quotidienne, et situer la position fondamentale d’une mosquée locale par rapport à la localisation de La Mecque; la naissance et le développement de la philosophie islamique en insistant sur ses liens avec l’approfondissement des sciences et de la philosophie d’Aristote ; les liens avec les penseurs occidentaux de la même époque redécouvrant la pensée d’Aristote grâce aux traductions des auteurs musulmans ou chré- tiens vivant en Syrie… Il me faudra donc choisir et me limiter, quitte à devoir simplifier des aspects que certains voudraient plus explicites. J’invite le lecteur à consulter des auteurs qui présentent et analysent ces divers éléments en profondeur ! Dans les pages qui suivent, je me contenterai d’explici- ter deux idées : a)-La présentation d’un bel exemple d’un cadran solaire musulman du XIVe siècle, à partir du développement de l’astronomie arabe qui a assimilé l’astronomie grecque depuis le VIIe siècle. b)-Et son interprétation culturelle grâce à l’idée du beau (chez Aristote), revue et développée par un philosophe aris- totélicien du XIIIe siècle (Albert le Grand). Mon in- tention demeure la même dans toutes mes recherches en Esthétique et Gomonique: trouver les fondements de la beauté chez les cadrans solaires. a) La présentation du cadran de la Mosquée de Damas Je ne vois pas l’utilité de reprendre toutes les fines analyses de Louis Janin (1972), s’appliquant au cadran de Ibn al-Shatir. (1) En effet, un résumé et une mise en contexte devraient suffire à l’illustration de mon pro- pos et à la justification de l’utilisation d’une théorie esthétique (l’idée du beau dans ce cadran). En me per- mettant de pousser plus loin l’analyse culturelle de ce cadran, j’aspire à une compréhension de l’extraordi- naire parallélisme de l’histoire des idées, qui exista en- tre l’Occident et la philosophie islamique au XIIIe et XIVe siècle de notre ère, et à une présentation de l’ex- pertise arabe du cadranier de Damas. Mon étude du cadran se veut en accord avec des com- mentateurs qui qualifient de « superbe » l’œuvre de Ibn al-Shatir, et je commence en adoptant le ton de mon propos avec le verdict final de Janin : « Le cadran monumental de la Mosquée Umayyade est en définitive le plus grand, le plus complet, le plus exact et le plus artistique de ceux que nous connais- sons en pays d’Islam.» (2) J’utiliserai aussi quelques autres sources : -L’apport de David A. King (1986) m’apparaît fondamental pour ceux qui veulent comprendre rapidement le développe- ment de la gnomonique chez les astronomes musul- mans du Moyen Âge. (3) - De plus, j’ai la chance d’a- voir une présentation de Robert T. Bailey (2010) ; il s’agit d’une communication faite à la Conférence an- nuelle de la North American Sundial Society (NASS) qui résume bien la littérature savante illustrant les cal- culs nécessaires pour atteindre la précision des lignes horaires. (4) Les tracés des angles des heures du cadran horizontal pour la latitude de Damas (33,5º N), la su- perposition des heures babyloniques à partir du lever du Soleil, et des heures italiques dépendant du coucher du Soleil, tout converge vers la détermination des cinq heures de prières utilisées dans la mosquée (fajr, zuhr Est et Ouest, asr, maghrib et isha). (5) Cette prescrip- tion rejoint ainsi la vieille tradition chrétienne des sept temps de prières ( Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies), tels que définis dans la Fig. 1 La réplique du cadran de Damas 6 L e G n o m o n i s t L e G n o m o n i s t e e Volume XX numéro 1, mars 2013 Règle de Saint Benoît (au 6e siècle de notre ère). C’est même un rappel de la tradition de la Bible hébraïque, inscrite dans le Psautier (119 :164), « sept fois le jour, je te loue pour tes justes jugements ». Cette première partie repose sur quatre sections : -la description du cadran ; -ses finalités ; -sa localisation et sa signification, -et son auteur. 1- J’emprunte d’abord à Denis Savoie la description factuelle et succincte du cadran de Damas: «. C'est un cadran solaire horizontal, de un mètre sur deux, qui comporte des lignes et des courbes com- plexes et que l'on peut diviser en trois cadrans indépendants. Mais le plus frappant est que ces trois cadrans fonctionnent non pas avec un style droit, comme les cadrans gréco-romains, mais avec un style polaire qui fait avec le plan horizon- tal un angle égal à la latitude du lieu, c'est-à-dire parallèle à l'axe du monde.» (6) Tous les éléments descriptifs sont mentionnés, ouvrant la porte à une dis- cussion sur l’utilisation du style polaire. 2-Les astronomes musulmans devaient donc trouver des solutions pour le calcul des heures. Si je m’arrête aux plus éclatantes manifestations des caractéristiques dans ce cadran, je rejoins la description sublime du ca- dran telle que rapportée par David A. King : « The ma- gnificent sundial constructed in the year 1371/72 to adorn the main minaret of the Umayyad Mosque in Damascus. The sundial displays the time of the day relative to sunrise, and sunset and relative to the af- ternoon prayer. There are also special curves for times relative to daybreak and nightfall. Thus the sundial effectively measures time with respect to each of the five daily prayers .» (7) On peut donc mesurer à quel point la religion islamique a modifié la perception des cadrans solaires : ces objets ne sont donc plus seule- ment des instruments d’astronomie ou des indicateurs plutôt vagues des heures de la journée. Grâce au Coran qui définit cinq prières dont la détermination des heu- res se fait à l’aide du Soleil et des étoiles, les instru- ments scientifiques deviennent des révélateurs précis des intervalles de temps autorisés pour les prières. 3-Le cadran se retrouve aussi dans un lieu que long- temps on considéra comme la plus fameuse des mos- quées de l’Islam, la Mosquée Umayyade de Damas. Construite en 706 de notre ère, la mosquée a été ordon- née par le Khalife Al WALID, qui voulut un monu- ment de prestige, construit par les meilleurs spécialis- tes pour en faire une œuvre architecturale et décorative d’une qualité exceptionnelle. Longtemps elle a subi l’outrage du temps et des hommes : pillée, incendiée, partiellement détruite, partiellement reconstruite, elle n’est plus, aujourd’hui qu’un pâle reflet de la splen- deur d’antan. C’est dans la façade Nord de la mosquée que se trouve le minaret AL ARUS où loge le cadran. En effet, contre la façade Sud, existent une passerelle secondaire, et surtout la dalle de marbre blanc, hori- zontale, contenant la gravure du cadran solaire. Celui- ci est donc plein Sud. L’original du cadran est mainte- nant gardé au Musée National de Damas, puisque la Fig. 2 Le dessin représentant les 3 cadrans de la Mosquée Umayyade de Damas 7 André E. Bouchard L e G n o m o n i s t L e G n o m o n i s t e e Volume XX numéro 1, mars 2013 8 André E. Bouchard © (copyright:Dr. Rim Turkmani, Imperial College Astrophysics) Deux photos tirées de la présentation de R.T. Bailey (2010). Le cadran loge sur la paroi de marbre de la fenêtre du minaret de la façade Nord. La photo du haut montre l’ombre sur le cadran projetée à l’aide des styles polaires. Ibn al-Shatir a fait son cadran en 1371. La mosquée des Umayyades à Damas la nuit. R.R.J. Rohr, « Les cadrans solaires, histoire, théorie, pratique», Oberlin, 1986, Chapitre 10, Les cadrans solaires du monde de l’Islam . Le dessin a été repris dans les études ultérieures. «Relevé de détail effectué par les services techni- ques du Ministère de la Culture de la République syrienne». Photos du Musée National de Damas. L e G n o m o n i s t L e G n o m o n i s t e e Volume XX numéro 1, mars 2013 André E. Bouchard l’œuvre originale de al-Shatir a été altérée. Enfin, le cadran du minaret peut être observé, soit de près par une fenêtre donnant sur la passerelle, soit de dessus, depuis le balcon des muezzins (les astronomes appe- lant les fidèles aux prières à la mosquée). 4-Son auteur : Ibn al-Shatir (1304-1375) faisait partie de l’école de Damas ; en tant qu’astronome et mathé- maticien, il connaissait donc le savoir accumulé par les savants uploads/Philosophie/ ibn-shatir-sundial.pdf
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- Publié le Oct 03, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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