Jacques Darriulat INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE ESTHETIQUE Introduction général

Jacques Darriulat INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE ESTHETIQUE Introduction générale à la Philosophie de l'Art ____________________ On lira sur cette page une introduction générale à la philosophie de l'art. Les études particulières qui composent cet ensemble sont regroupées en six chapitres distincts : "Antiquité", "Antiquité tardive", "Moyen âge", "Renaissance", "Philosophie moderne" et "Philosophie contemporaine". En cliquant sur chacun de ces titres dans la marge de gauche, on fera apparaître les auteurs et les oeuvres étudiés. *** Pour les ouvrages généraux, on pourra se reporter à Jean Lacoste, La Philosophie de l’art, “Que sais-je?”, neuvième édition 2008 [1981] (d'excellentes références, toujours riches et pertinentes, une analyse pleine de finesse de ce qui appartient en propre au jugement esthétique) ; par le même auteur, Jean Lacoste, il existe un excellent petit essai qui constitue une remarquable introduction aux divers problèmes de la philosophie esthétique, présentés dans leur continuité historique : L’Idée du beau, publié chez Bordas en 1986 ; une claire et dense introduction à la philosophie esthétique : Pierre Sauvanet, Eléments d’esthétique, aux éditions "Ellipses" ; une savante présentation historique des théories d’art : Lionello Venturi, Histoire de la critique d’art, Flammarion Amg 1969 (épuisé mais pourtant bien précieux) ; Erwin Panofsky, Idea ; Contribution à l’histoire du concept de l’ancienne théorie de l’art, Gallimard, "T el" (sur le thème de l’imitation de l’Antiquité au maniérisme ; remarquable, mais d’un niveau d’érudition bien supérieur à ce qui est demandé en première année d'université). Mentionnons encore une précieuse anthologie de textes consacrés à la théorie de la peinture : La Peinture, sous la direction de Jacqueline Lichtenstein, Larousse, 1995. *** La philosophie de l’art n’est pas le seul discours qu’on tient sur l’art : d’autres orientations sont possibles, elles sont mêmes nombreuses, tant l’art suscite le désir de parler. On peut tenir en premier lieu sur l’art un discours technique : on apprend à maîtriser un matériau ou un instrument (couleurs mêlées à un solvant ou clavier du piano), pour pouvoir jouer de toutes ses possibilités. L’art est alors un métier, et l’on parle des « métiers d’art », l’art lui-même devenant synonyme de technique, comme lorsque l’on parle de « l’École des Arts et Métiers ». En grec, « art » se dit « tekhnê », d’où vient notre mot « technique ». Cependant, à la Renaissance, le peintre, conscient de ce qu’on appelle déjà son « génie » (ingenio), demande à ce que son art soit compté parmi les « arts libéraux » et non plus parmi les « arts mécaniques », cherchant ainsi à se distinguer du simple homme de métier, ou artisan. Sur l’art, on peut tenir encore un discours de conservation et de présentation : c’est le but de la muséologie (le mot n’apparaît qu’au milieu du XXe siècle), qui s’est considérablement développée depuis le milieu du vingtième siècle. L’idée du « Museum » naît seulement avec la révolution française : elle substitue à la collection princière et privée, signe de puissance et de richesse, un immense espace républicain et public où sont rassemblées toutes les œuvres qui témoignent de l’histoire de l’esprit universel, pour l’éducation du genre humain. On peut également tenir sur l’art un discours scientifique : analyse chimiques des pigments colorés, recherche de l’attribution par les archives, par la manière caractéristique du peintre, par la photographie infrarouge (rayons X) des tableaux qui révèle les repentirs. Ces méthodes permettent de discerner entre le faux et l’authentique. Voyez sur ceci l’ouvrage complet de Madeleine Hours (directrice après la guerre du laboratoire du Louvre), dont le sous-titre, en forme de slogan, est explicite : Les Secrets des chefs-d’œuvre. L’œuvre d’art est matière avant d’être message (Robert Laffont, 1964, repris en poche par Denoël/Gonthier, « Médiations » en 1982). Jusqu’à présent, nous n’avons considéré l’œuvre d’art que comme un fait (« l’œuvre d’art est matière »), qu’il faut produire (technique de l’art), qu’il faut conserver (muséologie), ou qu’il faut décrire (analyse scientifique des matériaux) ; mais on peut encore s’interroger sur le sens de l’œuvre (« l’œuvre d’art est message »), c'est-à-dire sur les idées que l’œuvre exprime. L’iconographie définit les thèmes représentés (Judith portant la tête d’Holopherne ou Salomé portant la tête du Baptiste), déchiffre les allégories et les symboles utilisés ; l’iconologie les met en relation avec leur contexte culturel (ces deux méthodes ont été définies par Erwin Panofsky dans un texte célèbre, l’introduction de son ouvrage intitulé Essais d’iconologie, 1939, trad. française publiée chez Gallimard en 1967). La sociologie réfère ces idées aux différentes classes ou milieux qui forment autant de micro-sociétés dans la société (une présentation générale mais rapide ; Nathalie Heinich, La Sociologie de l’art, La Découverte, 2001). La psychanalyse les rapporte non à la société, mais à l’individu, c'est-à-dire à la vie psychique de l’artiste, selon les désirs conscients, mais aussi inconscients qui la motivent (c’est ainsi que Freud a écrit un essai célèbre sur Léonard de Vinci, et un autre sur le Moïse de Michel-Ange). Qu’en est-il maintenant de la philosophie de l’art ? A tous ces discours sur l’art (discours technique, muséologique, scientifique, iconographique, iconologique, sociologique, psychanalytique, etc.), pourquoi faudrait-il ajouter encore un discours philosophique? Philosopher peut s’entendre en deux sens. Philosopher, c’est d’abord rechercher le fondement, remonter jusqu’aux principes. Pour reprendre une image célèbre de Descartes (Lettre-préface aux Principes de la Philosophie, 1644, trad. française en 1647), la philosophie s’efforce de connaître, non les branches de l’arbre, mais sa racine (on la nomme alors philosophie première, ou métaphysique). C’est pourquoi la philosophie ne progresse pas comme progresse la science, qui se ramifie et se complexifie à l’infini : la philosophie progresse en régressant, en revenant à l’origine, en faisant retour vers le plus simple. En philosophie, c’est toujours le plus simple qui est le plus difficile. Mais philosopher, c’est aussi, en un second sens, penser par soi-même, c'est-à-dire ne reconnaître d’autre autorité que celle dont nous connaissons librement la vérité, et n’accepter d’autre vérité que celle que nous pouvons établir par l'opération de notre seule raison. On peut dire que le philosophe ne reçoit que ce qu’il est en mesure de se donner à lui-même. Comme le montrera rigoureusement Kant à la fin du XVIIIe siècle, la philosophie répond à un impératif de liberté, elle revendique l’autonomie de l’esprit, qui se nomme raison. Rechercher le fondement et penser par soi-même : quelle forme ce double impératif de toute philosophie en général prend-il quand il gouverne cette philosophie particulière qui est la philosophie de l’art? A- La question du fondement Les discours que nous avons énumérés posent en principe qu’il y a des œuvres d’art ; le philosophe au contraire voudrait remonter jusqu’à l’origine de l’œuvre d’art. « L’origine de l’œuvre d’art », c’est le titre en effet d’une conférence (1935) célèbre de Heidegger, que vous lirez dans le recueil intitulé Chemins qui ne mènent nulle part (Gallimard, T el). Ordinairement, c’est à l’éclat de sa beauté, et non, par exemple, à son utilité, qu’on s’accorde à reconnaître, d’une œuvre, qu’elle est bien une œuvre d’art. Le philosophe interrogera donc l’origine, ou le fondement de cette beauté. Remarquons ici que l’art n’a nullement le monopole de la beauté : nous disons aussi bien d’un paysage, que d’un tableau par exemple, qu’il est « beau ». La nature, tout autant que l’art, peut susciter la beauté. Et c’est en effet une question pour la philosophie de l’art que de savoir si l’art « imite » la nature, c'est-à-dire si la beauté produite de main d’homme a pour origine une beauté première rencontrée dans la nature. Mais il se peut tout aussi bien que l’art humain imite, non la nature, mais la surnature, les formes immortelles, ou Idées, qui avaient selon les Grecs une véritable existence dans un monde inaltérable affranchi du devenir, et que seule la pensée des hommes, non leurs sens, peut discerner. C’est ainsi que Cicéron rapporte (De Oratore, II, 7) que Phidias, lorsqu’il réalisait le Zeus d’Olympie, ou l’Athéna du Parthénon, « considérait non un homme quelconque, c'est-à-dire réellement existant, qu’il aurait pu imiter, mais c’est en son esprit que résidait la représentation sublime de la beauté ». Et Plotin encore : « Phidias a sculpté son Zeus sans modèle sensible, mais en le considérant tel qu'il serait si Zeus voulait apparaître à nos yeux » (V, 8, 1). L’Idée est chez les Grecs une représentation de l’intellect (noûs) ; mais le modèle surnaturel peut encore être une vision mystique qui dépasse les limites de l’intelligence humaine. C’est ce vers quoi font signe ces icônes de Byzance dites « acheiropoiètes » (en grec : non faites de main d’homme) qui semblent avoir pour modèle et pour origine une vision surnaturelle. Cependant, référer la beauté de l’œuvre d’art à la beauté de la nature, ou aux Idées de l’esprit, ou bien encore aux visions de la Révélation, ce n’est pas encore découvrir son origine, car quelle est l’origine de la beauté de la nature elle-même, des Idées de la raison, des visions de l’extase mystique? La quête du fondement, ou uploads/Philosophie/ jacques-darriulat.pdf

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