Dominique GOUR Conférence UTL 1 APPROCHE PHILOSOPHIQUE DU BONHEUR INTRODUCTION
Dominique GOUR Conférence UTL 1 APPROCHE PHILOSOPHIQUE DU BONHEUR INTRODUCTION L’idée de bonheur peut paraître, à première vue, mal en point. Nous sommes plutôt dans un climat de morosité, d’incertitude, d’angoisse même pour certains, de montée des extrémismes, de crainte pour la préservation de notre planète. Et pourtant, le bonheur reste un thème omniprésent dans la culture ambiante, sans doute parce qu’il est en même temps personnel et universel. Il nous concerne tous. Pascal disait que « tous les hommes recherchent d’être heureux, cela sans exception ». On peut évoquer le bonheur de multiples façons. Par exemple, de nombreux romans parlent du bonheur, jusque dans leur titre ( Zola Au bonheur des dames ; Madeleine Chapsal Le retour du bonheur). Des films ont eu un grand succès avec ce sujet (La mélodie du bonheur ; Le bonheur est dans le pré). Le bonheur intéresse aussi les enquêtes économiques qui sondent régulièrement les citoyens sur leur perception du bonheur (ou du bien-être) en fonction de critères définis. La philosophie n’est pas en reste avec de nombreux titres parus récemment sur ce thème (P Bruckner ; M Ricard ; A Comte Sponville ; F Lenoir ; R Pol Droit…). Ces philosophes contemporains ne font que prolonger une longue tradition philosophique, allant des philosophes grecs à la tradition bouddhiste, où l’idée de bonheur occupe une place centrale et contrastée dans la réflexion sur la condition humaine. On peut se demander pourquoi cet intérêt pour le bonheur est si cher à l’homme d’aujourd’hui, comme il l’a été à d’autres époques. Est-ce en lien avec la situation de crise de nos sociétés, avec le besoin de repères, celui de se prouver que la vie vaut la peine d’être vécue, malgré tout ? On peut se demander aussi de quel type de bonheur nous parlons quand nous parlons de lui. Dominique GOUR Conférence UTL 2 Au cours de ma recherche sur le bonheur, j’ai retenu quelques questions philosophiques qui se posent à propos de cette idée : Le bonheur est-il un sentiment éphémère ou bien peut-il être un état durable ? Nous savons tous que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, alors n’est-il pas préférable de parler de moments de bonheurs plus ou moins accessibles à chacun d’entre nous plutôt que de prétendre à un bonheur durable ? Le bonheur dépend-il de conditions extérieures favorables, ou bien est-il un état d’esprit empreint de sérénité intérieure susceptible de résister aux souffrances de la vie ? Le bonheur est-il purement individuel ou peut-on parler d’un bonheur collectif accessible à tous, même de manière différente ? Autrement dit, peut-on concevoir le bonheur uniquement pour soi sans se préoccuper à minima du bonheur des autres ? J’aborderai cette approche du bonheur avec trois angles d’attaque différents : 1. Une approche étymologique, en interrogeant le sens du mot bonheur et en essayant d’en dégager la signification par rapport à des notions approchantes, celles de plaisir, d’euphorie et de joie 2. Une exploration de conceptions philosophiques du bonheur de l’Antiquité à nos jours, situées dans leur contexte historique ; 3. Un questionnement philosophique sur des problèmes que pose le bonheur en regard de notre rapport à la vie. I) APPROCHE ETYMOLOGIQUE DU BONHEUR Le mot français « bonheur » vient du latin « bonum augurium », autrement dit ce qui est de bon augure et de bon présage. « Augurium » vient du verbe « augere » signifiant augmenter, faire croître, donner la force de surgir et d’exister (Odon Vallet « Petit lexique des mots essentiels »). L’idée que dans le bonheur existe une part de chance et de développement est attestée par l’étymologie. Dominique GOUR Conférence UTL 3 En grec « eudaimonia » peut s’entendre comme être né sous une bonne étoile. Ce mot a le sens de floraison, épanouissement, accomplissement, grâce. En anglais, « happiness » est issu d’une racine signifiant « chance ». Comme l’écrit F Lenoir « il y a bien une part importante de « chance » dans le fait d’être heureux : ne serait-ce parce que le bonheur tient à notre sensibilité, (…) au milieu familial et social dans lequel nous sommes nés et avons grandi, à l’environnement dans lequel nous évoluons, aux rencontres qui jalonnent notre vie » (Du bonheur Un voyage philosophique). Mais on peut se demander si la chance vient indépendamment de nous et s’il ne faut pas aussi savoir la saisir, la faire fructifier. De cette première approche étymologique, on peut tirer deux idées complémentaires : d’une part, il semble que nous soyons enclins par nos conditions initiales d’existence ou par notre destin à être plus ou moins heureux ou malheureux, mais d’autre part nous portons aussi une certaine responsabilité dans le fait d’être heureux ou de ne pas l’être. « Nous sommes conditionnés mais pas déterminés à être plus ou moins heureux » (F Lenoir P 11). Bonheur et notions proches Quand on consulte les définitions les plus courantes données à la notion de bonheur, on l’assimile à un état de complète satisfaction qui inonde l’ensemble de la vie d’un être. On distingue souvent bonheur et plaisir, le plaisir étant censé venir d’événements extérieurs et considéré comme éphémère. Comme dit M Ricard : « le plaisir s’épuise à mesure qu’on en jouit » (Plaidoyer pour le bonheur). Or si le bonheur peut être influencé par des circonstances extérieures, il n’y est pas soumis. Beaucoup considèrent donc le plaisir et le bonheur comme des sensations de nature et de niveau Dominique GOUR Conférence UTL 4 différents. De plus, la répétition et la recherche effrénée de plaisirs peuvent conduire à la dépendance. Le bonheur est aussi distingué de l’euphorie, qui est une « impression de bien-être général » (Robert) provoquée par exemple par un sentiment de gloire ou de richesse soudaine. Il y a une nette différence entre la joie profonde qui est la manifestation du bonheur et l’euphorie, par essence furtive. La différence entre bonheur et joie est plus subtile. La joie peut être la résultante du bonheur, quand on parle de joie de vivre par exemple. La joie est souvent relative à un objet précis, par exemple la création artistique. C’est un mouvement de légèreté qui inonde l’être. La joie est dotée de deux caractéristiques : -Elle est gratuite. D’après André Gide « on appelle bonheur un concours de circonstances qui permet la joie. Mais on appelle joie cet état de l’être qui n’a besoin de rien pour se sentir heureux ».En ce sens, la joie est inconditionnelle alors que le bonheur a besoin de conditions (intérieures et extérieures). -Elle est entière. Elle implique corps et esprit. A l’inverse du plaisir ou de la jouissance, qui, le plus souvent, ne touchent qu’une partie de nous-même. En ce sens, la joie peut toucher quiconque, que l’on soit actif ou contemplatif, solitaire ou entouré, riche ou pauvre. Au contraire du bonheur, qui paraît moins accessible. Par ailleurs, on distinguera la joie du bonheur en ce qu’elle ne possède pas la permanence et la continuité attribuées au bonheur. En résumé, une exploration étymologique de la notion de bonheur fait ressortir les idées de chance, de conditions de vie, de promesse, d’épanouissement, d’état plus durable que le plaisir et l’euphorie. On note une certaine parenté avec la joie ; la joie semble plus accessible au plus grand nombre, mais une idée de plus grande constance et de globalité est attribuée au bonheur. Si le bonheur ne se conçoit que dans la durée, il semble qu’il n’en existe que deux modalités : la promesse, voire l’idéal, et la récompense. Dominique GOUR Conférence UTL 5 I) LES GRANDS COURANTS PHILOSOPHIQUES SUR LE BONHEUR A) Les sagesses grecques : le bonheur s’expérimente par la pratique a) ARISTOTE (384-322av J-C) Aristote a été disciple de Platon mais s’en est détaché pour fonder sa propre école, le Lycée. Il s’est intéressé à tous les aspects de la réalité, la biologie, la physique, la métaphysique, mais aussi l’éthique et la politique. Aristote a situé d’emblée le bonheur à un très haut niveau puisqu’il représente pour lui le but ultime de l’existence. Aristote dit que la recherche du bonheur est le « souverain bien », c’est-à-dire ce que chacun désire, non en vue d’une autre chose (par exemple l’argent pour le luxe) mais pour lui-même. Comment atteindre le bonheur ? Dans L’éthique à Nicomaque, il nous dit que c’est dans l’accomplissement de sa fonction propre que l’homme peut accéder au bonheur. De quoi le bonheur se compose-t-il ? 1. La première place revient à la sagesse, dont l’aspect le plus élevé chez Aristote est la recherche désintéressée de la vérité par l’intelligence rationnelle. Selon lui, la vie la plus heureuse et la plus réussie est une vie consacrée à la connaissance désintéressée. 2. En second lieu, la voie du bonheur est aussi celle de la vertu. La vertu, c’est l’excellence, c’est-à-dire le fait d’exécuter parfaitement une fonction (par exemple un œil qui voit très bien est « vertueux »). Pour nous, hommes, exercer la uploads/Philosophie/ id-6834.pdf
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- Publié le Fev 20, 2021
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