IMAGINAIRE, VIE ET HYSTERIE CHEZ MERLEAU-PONTY* Silvana de Souza Ramos** ramos_
IMAGINAIRE, VIE ET HYSTERIE CHEZ MERLEAU-PONTY* Silvana de Souza Ramos** ramos_si@hotmail.com RESUME Dans cet article, j’aborde la perspective idéaliste de la « Phénoménologie de la perception » pour montrer que, dans cet ouvrage, l’expérience du corps propre est décrite à partir de la vision du cogito. Pour expliciter cet idéalisme, j’analyse la principale voix donnée au corps au début de la pensée de Merleau-Ponty: la voix pathologique. Les troubles de Schneider rendent explicite son impuissance symbolique, et cette impuissance est vraiment l’impuissance du corps. Le sujet malade est un être soumis à la normativité immédiate de la vie, raison par laquelle il peut découvrir à chaque moment la finitude et la fragilité de l’existence. J’évoque par contre les notes du cours au Collège de France, de 1954-1955, sur la passivité et les cours sur la Nature, de 1957-1958, lorsque Merleau-Ponty examine la vie et la naissance du sens à partir d’une perspective tout à fait différente. J’analyse aussi la lecture qu’il a faite du « cas Dora » pour montrer que le philosophe trouve dans l’hystérie une expérience symbolique très particulière. Cette expérience exige la compréhension de la puissance symbolique du corps propre, l’abandon de la position idéaliste et la découverte du pouvoir de l’hystérique de narrer l’expérience de l’être. Mots clés Merleau-Ponty, idéalisme, corps, imagination, pathologie, hystérie. ABSTRACT In this article, I approach the idealistic perspective of the “Phenomenology of Perception” to show that in that work the experience of the body is described from a vision of the cogito. To explain this idealism, I asses the KRITERION, Belo Horizonte, nº 141, Dez./2018, p. 905-920 * Artigo submetido em 01/09/2017. Aceito em 13/11/2017. ** USP – Universidade de São Paulo, São Paulo, SP, Brasil. doi: 10.1590/0100-512X2018n14114ssr Silvana de Souza Ramos 906 main voice given to the body in the beginning of the thought of Merleau-Ponty: the pathological voice. Schneider’s disturbances make explicit its symbolic powerlessness, and that powerlessness is in fact the body’s powerlessness. The sick is a being submitted to the immediate normativity of life, reason by which he can find out at every moment the finitude and fragility of existence. On the other hand, I evoke the course notes from Collège de France, of 1954- 1955, about passivity, and the courses about Nature, of 1957-1958, when Merleau-Ponty analyses life and the birth in the sense from an entirely different perspective. Also, I analyze the reading of what he to “case Dora” to show that the philosopher finds in hysteria a very particular symbolic experience. This experience requires understanding the symbolic power of the body itself, the abandonment of the idealist position and the discovery of the power of the hysteric of narrating the experience of being. Keywords Merleau-Ponty, idealism, body, imagination, pathology, hysteria. 1 Comment une philosophie de la perception peut-elle être idéaliste? Le corps ne joue-t-il pas ici le rôle principal? Dans le cas de Merleau-Ponty, le problème central est que la description de la perception est construite à partir de la perspective de la conscience. Par conséquent, le mouvement et toutes les expressions du corps sont soumis aux formalisations de ce point de vue. Donc, même s’il dit que la « Phénoménologie de la perception » est profondément ancrée sur l’expérience sensible, le philosophe n’abandonne pas la possibilité d’organiser cette expérience par la perspective du cogito. C’est vrai que Merleau- Ponty trouve un cogito tacite, car le philosophe montre que le centre de la conscience polarise le spirituel et le physique. À tel point qu’au niveau de la description de l’expérience sensible et de ses dédoublements dans le langage, il n’y a pas de séparation entre le corps et l’âme. Mais il faut se demander qui réalise cette union. Selon Merleau-Ponty, il y a un œil, une vision présente ou actuelle qui concentre notre existence personnelle. Cette conscience recueille la dispersion de l’expérience anonyme et l’ordonne. Cela signifie que l’expérience corporelle a besoin d’un esprit qui lui donne une forme précise, c’est-à-dire, la forme humaine d’accéder au monde perçu et même à la dimension abstraite de l’expérience1. 1 « Si justement il doit y avoir conscience, si quelque chose doit apparaître à quelqu’un, il est nécessaire que derrière toutes nos pensées particulières se creuse un réduit de non-être, un Soi » (Merleau-Ponty, 1945, p. 907 IMAGINAIRE, VIE ET HYSTERIE CHEZ MERLEAU-PONTY La description du monde de la perception chez Merleau-Ponty n’est pas simplement le fruit d’une spéculation philosophique. Elle est basée sur les données de la psychologie et de la biologie. Merleau-Ponty utilise les études des cas pathologiques pour découvrir l’expérience anonyme qui se déroule en dessous de la conscience. À partir des pathologies de Schneider, le philosophe trouve la voix et les gestes d’un corps dont la conscience est fragmentée, un corps qui n’exprime pas sa propre expérience car il n’a pas au-dessus de lui un pouvoir d’organisation auquel il pourrait se soumettre : Jamais Sch. n’éprouve le besoin de parler, jamais son expérience ne tend vers la parole, jamais elle ne suscite en lui une question, elle ne cesse pas d’avoir cette sorte d’évidence et de suffisance du réel qui étouffe toute interrogation, toute référence au possible, tout étonnement, toute improvisation. On aperçoit par contraste l’essence du langage normal: l’intention de parler ne peut se trouver que dans une expérience ouverte, elle apparaît, comme l’ébullition dans un liquide, lorsque, dans l’épaisseur de l’être, des zones de vide se constituent et se déplacent vers le dehors (Merleau-Ponty, 1945, pp. 228-229). Or, devant la description de Merleau-Ponty de la maladie en contraste avec l’expérience normale, je m’interroge sur le vrai pouvoir du corps. Que peut-il faire par lui-même? Il se limite à une relation immédiate avec l’extérieur. Son mouvement est dirigé par les nécessités biologiques essentielles. Il réalise seulement les mouvements qui sont nécessaires au maintien de la vie. Les troubles de Schneider empêchent le malade d’accéder à la dimension abstraite de l’existence. Il ne peut pas imaginer ou planifier le futur, ni danser, ni raconter une histoire vraie ou fictionnelle, ni tomber amoureux ou avoir des amis, il n’a pas d’opinions politiques. Il fait seulement ce que son corps permet de faire, 458). Selon Moura, avec qui je suis d’accord, ce passage explicite l’idéalisme de la Phénoménologie de la perception et la présence de la conception sartrienne d’existence chez Merleau-Ponty : « Ora, se ali [dans la « Phénoménologie de la perception »] a análise ainda era dominada pela oposição ‘abstrata’ entre natureza e criação, era antes de tudo pela prisão do autor à ontologia de St.-Germain-des-Près. Era esse namoro nem um pouco discreto que o levava a contrapor a natureza à ‘existência’, assim como se opõe uma ‘plenitude de ser’ inteiramente ‘inerte’ a uma subjetividade temporalizada que é, antes de tudo, ‘não-ser’, potência de ‘niilizar’ que nos habita, pura ‘produtividade’ em que todo ‘sentido’ encontrava a sua raiz. E se esse apego à ontologia sartreana é comprometedor, é sobretudo porque, por meio dele, o discurso ‘fenomenológico’ se fazia herdeiro inconsciente da ontologia cartesiana que, epidermicamente, ele se esforçava em combater » (Moura, 2004, p. 324). Dans le contexte de discussion sur le langage, Le visible et l’invisible reconnait cet idéalisme de la Phénoménologie de la perception et par conséquent la liaison entre sens et cogito présente dans cet ouvrage: « Ce que j’appelle le cogito tacite est impossible. Pour avoir l’idée de ‘penser’ (dans le sens de la ‘pensée de voir et de sentir’), pour faire la ‘réduction’, pour revenir à l’immanence et à la conscience de… il est nécessaire d’avoir les mots » (Merleau-Ponty, 2004, p. 222). Donc il était impossible de défendre une existence symbolique – capable d’aboutir l’univers du langage – sans l’intervention de la conscience parlée, et non pas seulement tacite, corporelle et anonyme. L’avènement du symbolique est simultané à l’avènement du langage et, par conséquent, du cogito. Silvana de Souza Ramos 908 car il a perdu la vision spirituelle du monde. Raison par laquelle il n’a pas de « question » et « son expérience ne tend pas vers la parole ». La plupart des lecteurs de Merleau-Ponty trouve dans l’analyse de la pathologie la découverte de la normativité corporelle2. Merleau-Ponty ne réduit pas l’organisme à une machine, par contre, il met l’accent sur la puissance d’adaptation provenant du corps. Donc il critique la tradition moderne et cartésienne qui consiste à réduire le corps au physique. Ce constat est correct mais je voudrais rappeler qu’au début des années quarante, un autre philosophe a publié un livre important sur le thème de la pathologie. Il s’agit de Canguilhem et de son œuvre « Le normal et le pathologique », où ce philosophe critique aussi le modèle cartésien, ce qui signifie qu’il refuse l’identification entre corps et machine. Il a utilisé les mêmes recherches scientifiques que Merleau-Ponty mais pour arriver à des conclusions plus radicales3. Qu’est-qui explique l’expérience biologique? Selon Canguilhem, il faut remarquer la puissance normative de l’expérience vitale. L’organisme cherche le plaisir et refuse la souffrance et le danger. L’organisme est un pôle normatif qui s’oriente en fonction uploads/Philosophie/ imaginaire-vie-et-hysterie-chez-merleau-ponty.pdf
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- Publié le Jui 16, 2022
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