63 Classicisme (1660–1685) La querelle des Anciens et des Modernes Ce phénomène
63 Classicisme (1660–1685) La querelle des Anciens et des Modernes Ce phénomène littéraire et culturel est un des multiples aspects de la naissance de l’Eu rope moderne. Sur le plan littéraire et esthétique, il s’agit d’une des premières contesta tions de l’esthétique de l’imitation, héritée de la Renaissance, et d’une des premières affirmations de la modernité. Sur le plan culturel au sens large, la querelle des Anciens et des Modernes fait partie de la nouvelle conception de l’évolution, du progrès, elle participe à la naissance de la notion d’historicité. La question même fut abordée, en guise de prélude, à la période baroque, sous forme d’un contentieux religieux, idéologique, concernant le problème du merveilleux (1653– 1674). Les poètes qui aspiraient à créer des épopées nationales (et imprégnées de l’esprit religieux chrétien) refusaient le merveilleux païen, forts de la supériorité du christia nisme et du merveilleux chrétien. La nouvelle épopée ne devait-elle pas chercher la vérité dans l’esprit moderne plutôt que dans les « fables » des Anciens? Cependant les œuvres mêmes de Georges Scudéry (Alaric ou Rome vaincue, 1654), Antoine Godeau (Saint-Paul, 1656), Desmarest de Saint-Sorlin (Clovis, 1657) n’at teignent pas la qualité susceptible d’imposer la nouvelle conception de l’épopée. La phase suivante fut déclenchée par l’affaire des inscriptions (1676–1677) au moment où l’érudit François Charpentier rédige pour les tableaux de Versailles des inscriptions non en latin, mais en français. Lors de la querelle, il proclame dans son ouvrage «De l’excellence de la langue française » (1683) la supériorité du français sur le latin et celle de l’art moderne sur l’ancien. Le camp des Modernes regroupe notamment Fontenelle, Saint-Évremond (Sur les poèmes des Anciens, 1685), Philippe Quinault et Charles Perrault qui formulera ses arguments à plusieurs reprises dans les Parallèles des Anciens et des Modernes (1688, 1690, 1692), dans le poème Le Siècle de Louis le Grand (1687) et l’Apologie des Femmes (1693). Le camp des Anciens compte surtout les grands auteurs – Racine, La Fontaine (Épître à Huet, 1687), La Bruyère, ainsi que les esprits rassis et sérieux du clergé et de la bourgeoisie. Les arguments des traditionalistes seront exposés surtout par Nicolas Boi leau Despréaux (Réflexions sur Longin, 1694). Les Modernes qui ont l’avantage de disposer du journal Le Mercure Galant jouissent également de l’appui d’une partie de l’Académie, notamment après l’élection de Fontenelle (1691) qui avait formulé ses idées dans la Digression sur les Anciens et les Modernes (1688). Les thèses des Modernes 1. Les faiblesses des Anciens: Perrault en appelle au goût des mondains et des femmes pour critiquer le style ennuyeux de Platon, la confusion de Pindare, les idées dépassées de la physique d’Aristote. 2. La critique du principe d’autorité: pour argumenter en faveur de la supériorité des 64 CLASSICISME ET ÂGE DES LUMIÈRES artistes Modernes, Perrault utilise l’exemple de la science moderne qui a dû se débarrasser des idées erronées d’Aristote, d’Hippocrate ou de Ptolmée. Se soumettre à l’autorité signifie arrêter le progrès (Fontenelle). 3. La permanence des lois naturelles: Fontenelle utilise cet argument pour montrer que les Modernes ne peuvent être en aucun cas inférieurs aux Anciens. L’antériorité ne peut pas fonder la supériorité. 4. L’idée du progrès: si la nature est la même, le temps – l’histoire – apporte la cumula tion du savoir, du savoir-faire. Pour Fontenelle « les arts suivent la loi du progrès au même titre que les sciences ». Les Modernes sont supérieurs grâce à leur « connais sance supérieure des règles de l’art ». Perrault en arrive jusqu’à voir dans le 17e siècle le sommet de la perfection. Les arguments des Anciens 1. L’art de la « simple nature »: les Anciens sont plus près des origines, de la nature; s’inspirer des Anciens prémunit des excès de la modernité. 2. L’imitation n’amoindrit pas l’originalité: la confrontation avec les Anciens aug mente la qualité de la création. 3. Les Modernes, du moins certains des meilleurs Modernes, sont loin d’égaler ceux des auteurs français qui imitent les Anciens. Témoin Molière, Racine. La querelle rebondit en 1713 au sujet de la nouvelle traduction d’Homère, faite par Houdar de la Motte qui ne savait pas le grec. La nouvelle version provoqua la réaction de la savante helléniste Mme Dacier, auteur de la traduction précédente (1699). La nécessité de la bonne connaissance de la tradition fut alors discutée. Il est à noter que la question homérique, notamment celle de l’origine de l’Iliade et de l’Odyssée, devint, tout au long des 18e et 19e siècles le ferment de la pensée philologique critique et une de pierres de touche de la modernité. 65 Classicisme (1660–1685) Arguments des Anciens Nicolas Boileau Despréaux (1.11. 1636 Paris – 13.3. 1711 Paris) Résumons, par un survol rapide, quelques idées de L’Art Poétique de Boileau, cité plus ample ment ci-dessus pp. 13–17. Aimez donc la raison: que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix. On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer (...) Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse (...) Soyez simple avec art, Sublime sans orgueil, agréable sans fard. Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont, d’un nuage épais, toujours embarrassées; Le jour de la raison ne le saurait percer. Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. Hâtez-vous lentement; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu; Que le début, la fin, répondent au milieu; Que d’un art délicat les pièces assorties N’y forment qu’un seul tout de diverses parties. (...) Faites-vous des amis prompts à vous censurer; (...) Mais sachez de l’ami discerner le flatteur. (...) Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue. 66 CLASSICISME ET ÂGE DES LUMIÈRES François de Salignac de la Mothe-Fénelon (6. 8. 1651 Château de Fénelon – 7. 1. 1715 Cambrai) Lettre à l’Académie (1714) Il est naturel que les Modernes, qui ont beaucoup d’élégance et de tours ingénieux, se flattent de surpasser les anciens, qui n’ont que la simple nature. Mais je demande la per mission de faire ici une espèce d’apologue. Les inventeurs de l’architecture qu’on nomme gothique, et qui est, dit-on, celle des Arabes, crurent sans doute avoir surpassé les archi tectes grecs. Un édifice grec n’a aucun ornement qui ne serve qu’à orner l’ouvrage; les pièces nécessaires pour le soutenir, ou pour le mettre à couvert, comme les colonnes et la corniche, se tournent seulement en grâce par leurs proportions. Tout est simple, tout est mesuré, tout est borné à l’usage. On n’y voit ni hardiesse, ni caprice qui impose aux yeux. Les proportions sont si justes, que rien ne paraît fort grand, quoique tout le soit; tout est borné à contenter la vraie raison. Au contraire, l’architecte gothique élève sur des piliers très minces une voûte immense qui monte jusqu’aux nues. On croit que tout va tomber, mais tout dure pendant bien des siècles. Tout est plein de fenêtres, de roses et de pointes; la pierre semble découpée, comme du carton: tout est à jour, tout est en l’air. N’est-il pas naturel que les premiers architectes gothiques se soient flattés d’avoir sur passé par leur vain raffinement la simplicité grecque? Changez seulement les noms; mettez les poètes et les orateurs en la place des architectes. Lucain devait naturellement croire qu’il était plus grand que Virgile. Sénèque le tragique pouvait s’imaginer qu’il brillait bien plus que Sophocle; le Tasse a pu espérer de laisser derrière lui Virgile et Homère. Ces auteurs se seraient trompés en pensant ainsi: les plus excellents auteurs de nos jours doivent craindre de se tromper de même. Je n’ai garde de vouloir juger en parlant ainsi; je propose seulement aux hommes qui ornent notre siècle de ne mépriser point ceux que tant de siècles ont admirés. Je ne vante point les anciens comme des modèles sans imperfection; je ne veux point ôter à personne l’espérance de les vaincre; je souhaite au contraire de voir les Modernes victorieux par l’étude des anciens mêmes qu’ils auront vaincus. 67 Classicisme (1660–1685) Arguments des Modernes Charles Perrault (12. 1. 1628 Paris – 16. 5. 1703 Paris) Charles est le cadet d’une famille brillante, son frère Claude, médecin, est membre de l’Acadé mie des sciences, Nicolas, mathématicien et théologien, sera exclu de la Sorbonne pour jansé nisme. Charles fait de brillantes études au collège de Beauvais à Paris qu’il quitte, avec ses amis de classe, suite à une altercation avec leur professeur. Licencié de droit, reçu avocat, en 1651, il boude la carrière juridique. Proche de Colbert, qui lui confie la Surintendance des bâtiments du roi, il est chargé de la politique artistique de Louis XIV. Il contribue à la fondation de l’Académie des sciences et à la reconstruction de l’Académie de peinture. Entré à l’Académie française, il rédige la préface du Dictionnaire uploads/Philosophie/ books-2010-2019-049-2014-1-6.pdf
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- Publié le Mar 27, 2021
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