Revue Philosophique de Louvain L'immortalité de l'âme et de l'intellect d'après

Revue Philosophique de Louvain L'immortalité de l'âme et de l'intellect d'après Aristote Auguste Mansion Citer ce document / Cite this document : Mansion Auguste. L'immortalité de l'âme et de l'intellect d'après Aristote. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 51, n°31, 1953. pp. 444-472; doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1953.4453 https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1953_num_51_31_4453 Fichier pdf généré le 24/04/2018 ÉTUDES CRITIQUES L'IMMORTALITÉ DE L'AME ET DE L'INTELLECT D'APRÈS ARISTOTE Les vues professées par Aristote à la fin de sa carrière au sujet de l'immortalité ne prêtent plus guère à discussion de nos jours. On sait que dans ses traités il n'est jamais question, de façon explicite, d'une survie de l'âme humaine ; d'autre part, le sens précis de ses assertions répétées et, en somme fort nettes, touchant l'éternité de l'intellect a suscité des controverses séculaires. Dans un ouvrage récent (1) M. Soleri a repris la question de plus haut : il a tâché de nous donner une histoire objective des positions successives adoptées par le Stagirite au sujet de la nature et de l'immortalité de l'âme, mais sans négliger le problème du passage d'une opinion à celle qui l'a supplantée par la suite. L'exposé débute par un chapitre d'introduction destiné à situer la pensée d'Aristote sur les graves problèmes en question dans l'ambiance spirituelle de l'époque, telle que l'avaient formée les courants religieux des siècles précédents et la critique philosophique récente. En ceci l'auteur ne prétend pas faire oeuvre originale, sauf quand il s'agit de son interprétation personnelle des textes d'Aristote qu'il met en oeuvre ; pour le reste il s'en remet aux travaux historiques sérieux qui nous ont retracé l'évolution générale de la pensée philosophique du Stagirite, ou dans un autre domaine à ceux qui peuvent nous documenter sur les croyances plus ou moins précises des Grecs concernant une existence dans l'au-delà. Sur ce dernier point l'auteur semble perdre de vue que plus d'un historien a donné un tableau moins optimiste que lui de ces I1' Giacomo SOLERI, L' immortalité dell'anima in Aristotele (Studi Superiori). Turin-Milan-Gênes-Parme-Rome-Catane, Società éditrice internazionale, ». d. [1952]. Un vol. in-8 de 180 pp. L'immortalité de l'âme d'après Aristote 445 croyances populaires ; il affirme, en effet (p. 21), que jamais elles ne comportèrent un doute au sujet de la continuation de la vie après la mort. A en croire un Th. Gomperz <2) ou un J. Burnet (3), c'était plutôt l'opinion contraire qui régnait généralement à Athènes à la fin du V* siècle et, dans la mesure où l'on s'en tenait encore à la tradition antique assignant l'Hadès comme séjour aux âmes des défunts, c'était pour les y laisser dans une inconscience complète ; si l'on se représentait les choses d'une manière plus philosophique en imaginant ces âmes faisant retour à l'éther céleste, on ne leur prêtait malgré tout qu'une vie impersonnelle. — Ces vues sont sans doute discutables, mais au moins convenait-il de les mentionner et même de les discuter sommairement, si l'on ne pouvait s'y rallier. Dans son deuxième chapitre M. S. retrace brièvement les étapes principales de l'évolution philosophique d'Aristote d'après les travaux publiés au cours des trente dernières années par W. Jaeger, E. Bignone, F. Nuyens. Il est assez déroutant de constater que, dans cette esquisse générale, il s'en réfère à la fois à ces trois auteurs sans marquer toujours le profond désaccord qui les sépare quand il s'agit de préciser les positions doctrinales du Stagirite et sa tendance philosophique en chacune des trois périodes qu'ils distinguent dans sa carrière. On sait, en effet, que ce désaccord se manifeste surtout au sujet des doctrines relatives à l'âme et à l'intellect. M. Soleri est d'ailleurs fort bien au courant de ce fait et dès qu'il en vient à examiner les vues d'Aristote sur l'immortalité propres aux diverses périodes susdites, il développe fort nettement ^i 8on\ point de vue personnel au regard des positions divergentes des Qj trois auteurs en question. Il eût été préférable que dans le présent » chapitre il n'eût pas sacrifié à un concordisme apparent et eût averti explicitement son lecteur en quels points de son esquisse il adoptait les opinions d'un de ces trois critiques en se séparant des autres ; les renvois contenus dans les notes ne peuvent révéler cela que de façon fort imparfaite. La période platonisante d'Aristote est représentée par YEudème, le Protreptique et le dialogue Sur la philosophie, ce dernier étant <*> Th. GOMPERZ, Le» penseurs de la Grèce, vol. II, trad, franc. (1905), pp. 85-86. (*> John BURNET, Plato'» Phaedo edited with Introduction and Note» (Oxford, 191 1), Introd. pp. XLVIH-L. 446 Augustin Mansion reporté, contrairement à l'avis de Nuyens, jusqu'à la fin de cette période ou au début de la suivante, sans toutefois devoir être incorporé entièrement à celle-ci, comme l'avait voulu Jaeger. Sur YEudème l'auteur ne nous apprend rien de nouveau ; il rapporte les affirmations très fortes qu'on pouvait y lire en faveur de l'immortalité de l'âme, encadrées dans une doctrine où le dualisme attribué à Platon semble largement dépassé. On aurait aimé, à ce propos, voir au moins soulevée la question de savoir jusqu'à quel point ces affirmations correspondaient aux convictions d'Aris- tote et dans quel but précis il les mettait dans la bouche d'un des personnages du dialogue. Question insoluble, sans doute, en face de l'état fragmentaire des maigres restes de l'ouvrage, mais qui devait être posée. Il ne sert de rien, en effet, d'esquiver le problème, car en mettant sans aucune réserve au compte du jeune Aristote, encore disciple enthousiaste de Platon, des vues aussi excessives, on soulève un autre problème tout aussi difficile, problème à la fois psychologique et historique, qui reste sans réponse. Simplicius (4) rapporte que dans YEudème Aristote identifiait l'âme à un certain eidos. M. S. explique (p. 55) que ce faisant l'auteur du dialogue précisait la nature de l'âme comme idée, « entità idéale e sostanziale ». Et il ajoute que l'âme ayant ainsi une substantialité propre et, par voie de conséquence, une existence qui est sienne, appartient à un autre monde : la préexistence de l'âme et son immortalité professées par Platon sont reprises entière-' ment par son disciple. Comment faut-il entendre cela ? Veut-on affirmer que pour le jeune Aristote Yeidos qu'est l'âme est une Idée platonicienne ? Dans ce cas il aurait été, cette fois encore, beaucoup plus loin que son maître qui n'a jamais fait de l'âme une Idée, mais un être intermédiaire, apparenté sans doute au monde intelligible et, à ce titre, supérieur aux choses corporelles et participant à l'éternité des Idées, sans toutefois être mis sur le même pied qu'elles. Rien ne nous permet de dire qu' Aristote ait attribué à l'âme une dignité plus haute et l'absence de tout contexte à l'assertion conservée par Simplicius nous laisse dans l'incertitude sur la portée réelle du mot eidos dans le passage. Il ne semble pas d'ailleurs que S. veuille en presser la signi- <4> In Arist. De anima, p. 221, 28-30. Hayduck. — Aristote Fr. 8 Walzer; fr. 46 Rose1. L'immortalité de l'âme d'après Aristote 447 fication dans le sens d'une identification de l'âme à une Idée platonicienne proprement dite. Mais dans ce cas l'interprétation qu'il donne de cet eidos avec les conséquences qu'il en tire, revient à une exégèse en somme arbitraire et sans fondement suffisant dans les textes. En enchaînant d'ailleurs à ces explications discutables un rappel d'un autre fragment du même dialogue (S), il nous ramène sans plus à la représentation purement platonicienne de la préexistence et de l'immortalité de l'âme, comportant en cette vie-ci la réminiscence, imparfaite du reste, d'une vie antérieure en communion avec le monde intelligible. Il n'y a rien de bien particulier à relever à propos de l'étude du Protreptique dont les fragments ne fournissent d'ailleurs que de très maigres indications relatives à l'immortalité de l'âme. Il en est tout autrement pour le dialogue Sur la philosophie. E. Bignone (6) a mis en lumière l'importance de certains extraits, conservés surtout par Cicéron, et où l'âme est caractérisée comme endelecheia, ce qu'on explique comme marquant le pouvoir qu'elle possède de se mouvoir elle-même de façon continue. De plus, l'âme s'y trouve rattachée très intimement, voire identifiée quant à sa composition, à l'élément astral, appelé tantôt éther, tantôt cinquième nature (quintessence), et tantôt désigné comme ne portant aucun nom. S. adopte et reprend en cette matière le point de vue de Bignone et s'oppose ainsi à F. Nuyens (7> qui n'a pas cru devoir tenir compte des fragments en question, ce qui simplifie sans aucun doute la ligne d'évolution qu'il attribue à Aristote dans le domaine psychologique. Mais, dan§. la joie de sa découverte, Bignone n'a pas aperçu dès l'abord qu'elle engendrait de graves problèmes, en particulier celui de la conciliation des vues ultraspiritualistes du jeune Aristote <"> Fr. 41 Rosea, fr. 5 Walzer, extrait de Proclus, in Plat, remp., II, p. 349, 13 sqq. <*' Surtout dans son grand ouvrage L'Aristotele perduto e la formazione filo- sofica di Epicuro (Florence, «. d. [1936]). Voir en particulier, dans le premier volume, l'Appendice au chap. Ill, pp. uploads/Philosophie/ inmortalite-ame-aristote.pdf

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