Jacques Derrida L’animal que donc je suis XHV Galilée COLLECTION UV PHILOSOPHIE
Jacques Derrida L’animal que donc je suis XHV Galilée COLLECTION UV PHILOSOPHIE EN EFFET L’animal que donc je suis © 2006, éditions gaulée, 9, rue Linné, 75005 Paris. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (cfc), 20, tue des Grands-Augustins, 75006 Paris. ISBN 978-2-7186-0693-4 ISSN 0768-2395 www.editions-galilee.fr Jacques Derrida L’animal que donc je suis Édition établie par Marie-Louise Mallet xvy X*i Galilée Avant-propos Jacques Derrida avait souvent exprimé son intention de réunir, un jour, en un grand ouvrage, les textes qu’il avait écrits sur « l’a nimal ». C’était un projet qui lui tenait à cœur mais dont les tâches pressantes ne cessaient de l’écarter. En 1997, pour la dé cade de Cerisy dont il avait lui-même voulu le titre, « L’animal autobiographique », il avait écrit une très longue conférence, une sorte de séminaire plutôt si l’on en considère la durée, une dizaine d’heures. Seule l’introduction en avait été publiée dans les actes du colloque sous le titre donné à l’ensemble de la confé rence, « L’animal que donc je suis », avec la mention « à suivre » qui annonçait le dessein d’en publier la suite1. Enfin, en 2003, parmi les textes inédits destinés au Cahier de L’Herne qui lui était consacré, il avait choisi de publier, sous le titre « Et si l’animal répondait2 ? », un texte qui se trouvait situé vers la fin de cette même conférence. Comme il le rappelle lui-même au cours de la conférence, la question de « l’animal » est très présente dans nombre de ses textes. Cette présence insistante tout au long de son œuvre pro cède au moins de deux sources. La première est sans doute une sensibilité particulière et vive, une certaine aptitude à se sentir en 1. Dans M.-L. Mallet (dir.), L’Animal autobiographique, Paris, Galilée, 1999. Cette mention rappelle aussi qu’il faudra entendre sur au moins deux portées le « je suis » du titre, celle de l’être et celle du suivre... 2. Dans M.-L. Mallet et G. Michaud (dir.), Cahier de L’Herne. Jacques Der rida, n° 83, Paris, L’Herne, 2004. 9 « sympathie » avec les aspects de la vie animale les plus méprisés ou oubliés par la philosophie. D’où l’importance très grande qu’il accorde à la question que pose Jeremy Bentham à propos des animaux : « Can they suffer ? » « La question n’est pas : peu vent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ? - dit Bentham — Mais : peuvent-ils souffrir ? » Question simple en apparence mais très profonde pour Jacques Derrida. Il y revient plusieurs fois dans ses textes. La souffrance animale ne le laisse jamais indifférent. Mais, et c’est la deuxième source, la question posée par Bentham lui paraît aussi d’une très grande pertinence philosophique et propre à prendre à revers, par l’opposition non frontale d’une voie détournée, la tradition de pensée la plus constante et la plus tenace dans l’histoire de la philosophie. Même quand elle définit l’homme comme zôon logon ekhon ou animal rationale, com me « animal », donc, mais doué de raison, cette tradition a tou jours consisté, en effet, à opposer l’homme à tout le reste du genre animal, jusqu’à effacer toute animalité en lui et à définir en retour l’animal, de façon essentiellement négative, comme dépourvu de tout ce qui est censé être le « propre » de l’homme : « ... parole, raison, expérience de la mort, deuil, culture, ins titution, technique, vêtement, mensonge, feinte de feinte, ef facement de la trace, don, rire, pleur, respect, etc. » Et « la plus puissante tradition philosophique dans laquelle nous vivons a re fusé tout cela à l’“animal” » \ souligne Jacques Derrida. Le « logocen- trisme » philosophique, inséparable d’une position de maîtrise, est d’abord « une thèse sur l’animal, sur l’animal privé de logos, privé du pouvoir-avoir le logos : thèse, position ou présupposition qui se maintient d’Aristote à Heidegger, de Descartes à Kant, Lévinas et Lacan », écrit-il encore1 2. La violence faite à l’animal commence d’ailleurs, dit-il, avec ce pseudo-concept, « l’animal », ce mot employé au singulier, comme si tous les animaux, du ver de terre au chimpanzé, constituaient un ensemble homogène auquel s’opposerait, radicalement, « l’homme ». Et comme une réponse à cette première violence, il invente cet autre mot, 1. Cf infra, ch. III, « Et si l’animal répondait ? », p. 185. 2. Cf infra, ch. I, « L’animal que donc je suis », p. 48. 10 « l’animot » qui, prononcé, fait entendre le pluriel, « animaux », dans le singulier, et rappelle l’extrême diversité des animaux que « l’animal » efface ; « animot » qui, écrit, fait voir que ce mot, « l’animal », n’est précisément qu’un « mot ». Dès lors, les diffé rentes occurrences de cet « animot » dans le texte sont comme autant de signaux d’alarme, d’appels au réveil destinés à empê cher que l’usage, inévitable, du mot « animal », au singulier, ne nous endorme dans un trop ordinaire et trop peu remarqué som meil dogmatique. Enfin, l’enjeu de cette déconstruction de la tradition philoso phique qui a ainsi maltraité les animaux ne concerne pas seule ment ceux-ci. Loin d’opérer un simple renversement de perspec tive et, par exemple, de restituer à « l’animal », en général, ce dont cette tradition l’a toujours privé, loin de substituer à l’oppo sition classique la confusion d’une indifférenciation non moins trompeuse, la déconstruction, multipliant patiemment les diffé rences, fait apparaître la fragilité, la porosité de ces frontières sup posées du « propre » sur lesquelles on a cru si longtemps pouvoir fonder l’opposition traditionnelle de « l’homme » à « l’animal ». Ce faisant, si elle ébranle toute assurance quant à « l’animalité » de l’animal « en général », elle n’en ébranle pas moins l’assurance quant à « l’humanité » de l’homme. Comme Jacques Derrida prend soin de le souligner, « il ne s’agit pas seulement de demander si on a le droit de refuser tel ou tel pouvoir à l’animal [...], il s’agit aussi de se demander si ce qui s’appelle l’homme a le droit d’attri buer en toute rigueur à l’homme, de s’attribuer, donc, ce qu’il refuse à l’animal, et s’il en a jamais le concept pur, rigoureux, indi visible, en tant que tel1 ». Dès lors, on comprend mieux pourquoi la question de « l’animal » occupe cette place si importante dans sa pensée et pourquoi il tenait à ce projet de livre. Ce qu’aurait été ce livre, si le temps lui avait été donné de le mettre en œuvre, nous ne le saurons jamais, hélas !... Mais il nous a semblé être fidèles à son vœu en rassemblant dans cet ouvrage, outre les deux parties déjà 1. Cf. infra, ch. m, « Et si l’animal répondait ? », p. 185-186. 11 publiées séparément de la grande conférence de Cerisy, les par ties non encore publiées. Celles-ci sont de deux sortes. D’une part, un long texte cor respondant à la partie de la conférence située entre les deux fragments publiés et dans laquelle, de Platon à Lévinas, le retour des mêmes schèmes de pensée concernant « l’animal » est suivi comme « à la trace ». Ce texte, comme toutes les conférences de Jacques Derrida, comme toutes les séances de ses séminaires éga lement, était complètement et parfaitement rédigé. Il a donc été repris sans autres modifications que les minimes corrections de fautes de frappe et l’ajout, en notes, de quelques références (ou précisions dans les références) aux ouvrages cités. D’autre part, à la fin de l’ouvrage, on trouvera la dernière partie de la conférence, qui aborde la question de l’animal chez Heidegger. Son statut est quelque peu différent, posant à la publication quelques problèmes spécifiques. La conférence, com mencée le 15 juillet 1997, s’était prolongée le lendemain et, dis cussions comprises, avait duré plus de neuf heures... La décade s’était alors poursuivie avec les autres conférences prévues, mais il restait, chez les participants, une attente : à maintes reprises annoncée au cours de la conférence, la question de l’animal chez Heidegger demeurait en suspens. Le dernier jour donc, le 20 juillet, en fin de journée, Jacques Derrida accepta d’improviser une réponse à cette attente. Non rédigée, échafaudée à partir de quelques notes seulement, quelques références aux pages de Hei degger, il ne reste de cette improvisation qu’un enregistrement. Il nous a semblé cependant que, si improvisée soit-elle, cette esquisse avait sa place dans la publication comme une approche de ce qui constitue l’une des lignes directrices majeures de tout le parcours. Nous en donnons donc ici la transcription la plus fidèle possible : seules les quelques scories inévitables de la parole improvisée ont été corrigées. Nous n’avons pas cherché à en effacer le caractère oral, le ton familier, souvent enjoué, bien au contraire, regrettant seulement que soient inévitablement per dues les uploads/Philosophie/ jacques-derrida-l-x27-animal-que-donc-je-suis-galilee-2006-compressed.pdf
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- Publié le Jul 10, 2021
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