Revue française de pédagogie, n° 160, juillet-août-septembre 2007, 119-131 119
Revue française de pédagogie, n° 160, juillet-août-septembre 2007, 119-131 119 Lire un texte documentaire scientifique : quels obstacles, quelles aides à la compréhension ? Brigitte Marin, Jacques Crinon, Denis Legros, Patrick Avel Cette recherche analyse les difficultés de compréhension d’un texte scientifique et évalue l’effet de trois types d’aides chez des élèves de CM2. Ces aides consistent respectivement en i) ajouts d’informations explicitant le contenu du texte, ii) ajouts d’informations facilitant l’activité inférentielle et permettant la construction de la cohérence de la signification globale du texte, iii) ou simplification lexicale et syntaxique du texte. Elles visent à développer, chez les élèves, la compétence à inférer et donc à élaborer les relations de causalité entre les informations, indispensables à la construction de la signification globale et cohérente du contenu du texte. Descripteurs (TEE) : acquisition de connaissances, compétences, compréhension de texte, école élémentaire. L a compréhension des textes scientifiques pré- sente des difficultés particulières qui contribuent à renforcer l’échec des élèves en difficulté. Ces tex- tes véhiculent en effet des connaissances étrangè- res à la culture de ces élèves. Ces élèves sont alors contraints d’élaborer la représentation du contenu de ces textes à partir d’un bagage insuffisant ou en conflit avec les principes scientifiques implicites ou énoncés dans les textes. Ces difficultés amènent ainsi les élèves à développer des conceptions naï- ves inappropriées et à recourir à des stratégies de traitement de l’information inadaptées. Cette recherche vise à évaluer l’effet de trois types d’aides à la compréhension d’un texte documentaire scientifique (cf. annexe 1) proposées à des élèves de CM2. Ces aides sont constituées dans le premier cas d’ajouts d’informations explicitant le contenu du texte (cf. annexe 2), dans le deuxième d’ajouts d’informations facilitant l’activité inférentielle (cf. annexe 3) nécessaire à la construction de la cohé- rence de la signification du texte ; dans le troisième, l’aide consiste en une réécriture du texte simplifiant sa syntaxe (cf. annexe 4). COMPRENDRE LES TEXTES SCIENTIFIQUES La signification d’un texte n’est pas contenue dans le texte, mais construite par un sujet lecteur au cours 120 Revue française de pédagogie, n° 160, juillet-août-septembre 2007 d’une activité cognitive qui combine les informations du texte et un ensemble hétérogène de connaissan- ces/croyances antérieures et d’expériences activées en mémoire par le lecteur. L’analyse du traitement cognitif du texte, telle qu’elle a été modélisée par T. van Dijk et W. Kintsch (1983) permet de distinguer trois niveaux de représentation du texte : la forme linguistique de surface, la base de texte et le modèle de situation. Ces auteurs définis- sent la base de texte comme le contenu sémantique du texte lié à la représentation sémantique proposi- tionnelle des unités d’informations explicites qui le constituent. Le modèle de situation intègre en outre des éléments absents du texte et que le lecteur infère à partir des éléments du texte, de ses connaissances et de ses représentations antérieures du domaine. Le contenu sémantique d’un texte peut ainsi être décrit comme une suite de propositions dont le traitement aboutit à la construction de systèmes cohérents de représentations d’états, d’événements et d’actions (Denhière & Baudet, 1992 ; Denhière & Legros, 1989). Le traitement des textes scientifiques (1) est compa- tible avec ce modèle général (Otero, León & Graesser, 2002). On peut cependant observer plusieurs carac- téristiques renvoyant aux trois niveaux, qui rendent leur compréhension souvent plus difficile que celle, par exemple, des textes narratifs. Le traitement de la surface textuelle est facilité en particulier par l’organi- sation syntaxique et la structuration des énoncés. La complexité des phrases, la distance entre les consti- tuants immédiats de la phrase, la présence de transfor- mations (transformations passives, nominalisations…) ont une incidence sur la compréhension. Parmi les dif- ficultés de compréhension dues aux facteurs linguis- tiques figurent, selon J.-L. Dumortier (2001), la den- sité des informations, l’élimination des redondances, la diversité des procédés syntaxiques permettant de multiplier les assertions dans une même phrase, les anaphores fondées sur des inférences et les ruptures thématiques. En outre, l’habileté d’un élève à mani- puler les unités linguistiques est en rapport avec ses compétences en lecture. C. Gaux et J.-E. Gombert (1999) ont observé un lien entre les résultats obtenus par des élèves de collège au cours de tâches de mani- pulation portant sur l’ordre des mots et des groupes de mots et la compréhension de texte. De plus, les textes scientifiques sont souvent caractérisés par une plus grande concision et par des termes monosémiques. Le lexique est spécialisé et difficile à mémoriser. Le contexte ne suffit pas à éclai- rer la signification des mots. Les indices contextuels sont sans effets sur la construction de la cohérence des informations et celle-ci est subordonnée à la maî- trise d’un vocabulaire, d’un langage spécialisé et de connaissances précises sur le domaine évoqué par le texte. Le traitement des anaphores est d’autant plus difficile que les référents ne sont pas familiers et le lexique pas encore disponible dans la mémoire à long terme de l’élève. Ainsi la compréhension des textes scientifiques est très discriminante et révèle le degré de maîtrise de compétences et de stratégies encore en développement. Le traitement de la base de texte des récits est plus simple, car ces textes renvoient à des schémas familiers aux enfants. La compréhension « fine » d’un texte scientifique suppose d’accéder à des connaissances non évoquées par le texte, mais appartenant au modèle de situation, nécessaires pour que l’apprenant puisse élaborer une représentation mentale cohérente du contenu de celui-ci. La distinc- tion entre les deux niveaux de représentation – base de texte et modèle de situation – permet de distinguer plusieurs niveaux de traitement, plusieurs niveaux de difficultés et donc plusieurs types d’aides. Le niveau de connaissances lié à la représentation propositionnelle du texte traduit la capacité du lecteur i) à produire des idées renvoyant à une liste de notions ou de concepts, ii) à activer les propriétés relatives à ces concepts, iii) à analyser la structuration du texte. Le niveau de compréhension le plus élaboré met en jeu des processus plus coûteux tels que l’activation de connaissances relevant d’inférences causales, de justifications logiques, de réseaux de causalité et la hiérarchisation but, plan, action. Les inférences jouent donc ici un rôle essentiel dans la compréhension (van den Broek et al., 2002). Mais alors que l’univers référentiel du texte narratif mobilise surtout des inférences d’intentionnalité qui réactualisent des structures de connaissances consti- tuées principalement d’actions et d’événements de la vie quotidienne ou s’y rapportant, les textes scientifi- ques évoquent des univers peu familiers aux lecteurs. Lors de la lecture de textes scientifiques sont requis des types d’inférences renvoyant principalement à la causalité du monde physique, plus complexe à trai- ter que la causalité intentionnelle (Denhière & Baudet, 1992 ; Legros et al., 1998). Les inférences nécessaires à la compréhension des textes scientifiques (Graesser & Bertus, 1998) ren- voient à des connaissances disciplinaires extérieu- res au contenu du texte. Le traitement de l’inférence dans le texte scientifique est différent de celui du texte narratif. En effet, les inférences d’intentionna- lité (goal inferences) sont plus nombreuses dans les textes narratifs où la quête individuelle ou collective Lire un texte documentaire scientifique : quels obstacles, quelles aides à la compréhension ? 121 des personnages donne à lire les motivations de cha- cune de leurs actions, déclinées en buts et en sous- buts affectés d’une valeur pragmatique immédiate- ment perceptible au lecteur. Bien que présent dans les textes scientifiques, ce type d’inférence intention- nelle est moins fréquent que dans les textes narratifs. (Jamet, Legros & Pudelko, 2004 ; Denhière, Legros & Tapiero, 1993). La difficulté pour les élèves d’accéder aux infor- mations constitutives du « modèle de situation » des textes scientifiques explique les difficultés à traiter les inférences. Deux types d’inférences ont retenu notre attention. D’une part, les inférences élaboratives (elaborative inferences) : celles-ci procèdent d’une mobilisation des capacités cognitives faisant appel à des données appartenant aux représentations préa- lables du lecteur et aux systèmes de connaissances/ croyances stockées dans la mémoire à long terme. Sans ces connaissances, le lecteur ne peut ni mobi- liser les informations manquantes du texte et pour- tant nécessaires à la construction de sa cohérence globale ni activer l’intégralité du réseau de connais- sances supposé traduit par celui-ci. D’autre part, les inférences de liaison (bridging inferences) permettent d’interpréter la phrase lue à l’aide des informations précédemment livrées par le texte. Ainsi, la compréhension des textes informatifs et explicatifs est étroitement liée aux connaissances acquises par l’élève. Comprendre un texte scientifi- que consiste donc à élaborer une représentation du domaine évoqué par le texte, et donc à organiser ou à réorganiser de manière cohérente un ensemble de connaissances afin d’y intégrer de nouvelles infor- mations apportées par le texte. Lire un texte scien- tifique oblige à établir les causes antécédentes aux événements et aux processus décrits ainsi que leurs conséquences. Le lecteur doit se poser les questions concernant ces relations logiques, afin d’établir dans le réseau de ces relations un chemin causal (Baudet & Denhière, 1991) entre l’état initial et l’état final d’un système de connaissances. uploads/Philosophie/ kelke-textes-a-exploiter.pdf
Documents similaires
-
11
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 02, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1630MB