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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « L’absolu et la philosophie de Schelling » Xavier Tilliette Laval théologique et philosophique, vol. 41, n° 2, 1985, p. 205-213. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/400167ar DOI: 10.7202/400167ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 23 November 2016 01:15 Laval théologique et philosophique, 41, 2 (juin 1985) L'ABSOLU ET LA PHILOSOPHIE DE SCHELLING Xavier TILLIETTE I A PHILOSOPHIE de Schelling commence dans l'enthousiasme, un enthousiasme j juvénile, fébrile, dominateur et conquérant. C'est ce qui ressort de la corres- pondance avec Hegel, en particulier de la lettre du 4 février 1795, et surtout de l'écrit de prémices Vom Ich, Du Moi, véritable coup de clairon en l'honneur de la philosophie fichtéenne. Si jamais l'entrée en philosophie a été une découverte, c'est bien en ce cas. Dans les ternes salles et dortoirs du Stift (séminaire) de Tubingen, où les jeunes étudiants faisaient « de leurs pensers brûlants une tiède atmosphère », les nouvelles et les idées du dehors pénétraient plus ou moins sous le manteau, mais en force. La Révolution française et la Doctrine de la Science, ces événements que Friedrich Schlegel associait, provoquaient un soulèvement des esprits, un tumulte confus d'idées et de rêves. À quoi bon se pencher sur la poussière des livres et sur les textes de l'Antiquité, lorsque l'avenir est grand ouvert aux idéaux de la raison ?l La visite de Fichte au séminaire a électrisé Schelling. La proclamation du Moi absolu, avant même qu'il ait lu attentivement les feuillets si abstrus de la Wissenschaftlehre, a. été l'étincelle qui a illuminé ses aspirations, qui a donné sens et vie à ses lectures et projets antérieurs. Désormais, écrit-il, je vis et je respire en philosophie. Et dans la lettre déjà citée à Hegel, il trace à la hâte un bref résumé de son livre en chantier, tout au moins dans Vom Ich retrouve-t-on les mêmes termes, les mêmes intonations, les mêmes phrases2. Le mot magique, le sésame, est la liberté. « L'a et l'œ de toute philosophie est la liberté. »3 II faut entendre la liberté — de chacun, de l'humanité — comme une expansion infinie, une rupture de tous les obstacles, de toutes les chaînes, comme une destruction de toutes les limites. Ainsi la liberté, échappant au fini dont elle abat les clôtures, atteint le monde suprasensible dont Kant interdisait l'accès. Elle transcende même l'être personnel de Dieu, pour s'immerger dans l'abîme de l'Un et Tout4. Rien ne résiste à l'élan de la subjectivité infinie. Et de même que le coup d'éclat de la liberté était au commencement — l'autoposition du Moi absolu —, la 1. Briefe van und an Hegel (éd. Johannes Hoffmeister). Bd. 1: 1785-1812. Felix Meiner Hamburg 1952, p. 14. 2. Op. cit., pp. 20-22. Cf. Schellings Werke (édit. Cotta), p. 1177, 193, 202. 3. Brief e 5, p. 22 {cf. p. 177, 179, 182). 4. Ibid. {cf. p. 171 194). 205 XAVIER TILLIETTE fanfare du Moi absolu est au terme : pour nous il n'y a de monde suprasensible que celui du Moi absolu 5. Mais le Moi absolu et l'Un et Tout sont synonymes. Le cercle de l'absolu ou de l'inconditionné est bouclé et il doit l'être, car « l'absolu ne peut être donné que par l'absolu ».6 Un frémissement parcourt ces pages, à la fois d'exaltation de la liberté, d'admiration pour la richesse de la raison humaine, et de volupté à la perspective d'une destination mirifique, vers le lieu où tout est pur, tout est intellectuel, l'Absolu sans rivages... Cependant l'écrit programmatique, publié pour prendre date, répond à moins de questions qu'il n'en pose, et un historien de Hegel comme Theodor Haering s'arrache les cheveux et pousse des gémissements devant une série de formules qu'il juge incompréhensibles et incohérentes. Peut-être était-il un lecteur prévenu, mais d'autres critiques, plus bienveillantes, s'interrogent pour savoir comment interpréter l'intention de Schelling. Ou plutôt il veut certainement interpréter Spinoza à la lumière de Fichte et de la subjectivité, mais n'est-il pas tenté en cours de route d'oublier son point de départ et de noyer le moi dans l'Un et Tout de l'éternité spinoziste ? Autrement dit, le Moi, le sujet libre, ne risque-t-il pas de se fondre dans l'absolu, et l'absoluté du Moi de prévaloir sur l'égoïté de l'absolu ? On est d'autant plus enclin à le dire que l'on connaît la suite, l'évolution de Schelling à l'écart de Fichte. Et, d'autre part, le sacre de Schelling par Fichte s'est produit sans veillée d'armes ni noviciat. Avant l'illumination ou le coup de foudre, il était attiré par la sereine lumière de Spinoza perçue à travers Jacobi et Herder7, les mots de passe des Stiftler étaient le Hen Kai Pan, le Royaume de Dieu, l'Église invisible, l'Avent du Seigneur, tous slogans chargés de résonnances religieuses et mystiques, qui sont complètement absentes de l'activisme de Fichte à cette époque. Si l'on veut évoquer le climat immanent de leurs esprits, qu'on relise les belles cadences de l'Hypérion de Holderlin : être un avec tout...8, ou bien le début du poème «Elensis» de Hegel, avec ce bercement de la vision captivante, qu'il a plus tard raturée d'un trait de plume. Toutefois le jeune Schelling était entré résolument, impérieusement, dans une discussion en cours sur le principe de la philosophie et sur la philosophie elle-même — discussion entretenue par les héritiers de Kant. Le coup de force médité de Fichte, annonçant la philosophie définitive, scientifique et absolue, l'inaugurait par une action tout arbitraire, indiscutable, la thèse de la liberté. Mais cet acte philosophique, réfléchi dans la conscience, renvoyait à l'autoposition originaire qui le conditionne, le Moi absolu, la conscience de soi, la liberté. Ce Moi absolu est « le Moi de chacun », chacun peut en être conscient, s'en assurer ; mais le moi pur, la conscience absolue, l'« être » absolu du Moi, ne fait pas pour autant des êtres absolus. Nous sommes finis, 5. Ibid. {cf. p. 215 216). 6. Schelling Werke, p. 167. 7. F.H. JACOBI, Briefe iiber die Lehre von Spinoza ; G. Herder Gott. 8. « Perdu dans les lointains bleus, je lève souvent les yeux sur l'éther, et je les plonge dans la mer sacrée, et c'est comme si un esprit familier m'ouvrait les bras, comme si la souffrance de la solitude se dissolvait dans la vie des dieux. Être un avec tout, c'est la vie de la divinité, c'est le ciel de l'homme. Être un avec tout ce qui vit, dans un bienheureux oubli de soi revenir au tout de la Nature, c'est le sommet des pensées et des joies... Être un avec tout ce qui vit ! 206 L'ABSOLU ET LA PHILOSOPHIE DE SCHELLING la raison est finie, le Non Moi s'oppose absolument ; et l'autoposition de la liberté est en même temps une injonction adressée au Moi fini de rejoindre son Moi idéal dans un effort asymptotique et toujours recommencé. Or je crois que Schelling, avec son génie divinatoire, a parfaitement saisi la Taîhandlung du Moi et la possibilité d'engendrer la philosophie à partir de l'acte de la liberté inconditionnée, même s'il n'en a pas perçu toute la portée graphique. Dans les horizons exaltants et non dans le point de départ réside son spinozisme, qu'il essaie de rallier, ô paradoxe, à une philosophie transie de liberté. Il suffit de lire le passage frémissant sur l'expérience « saisissante »9 du Moi pour s'en convaincre ; elle rappelle, sur le mode triomphal, le saisissement de Jean Paul Richter enfant, un soir d'automne, près du tas de bûches. Ce faisant, Schelling a décrit et mis en vedette l'intuition intellectuelle, prenant une avance sur Fichte (qui l'avait seulement mentionnée dans le Compte rendu d'Énésidème), anticipant non pas les réflexions, mais les développements de celui-ci. Kant a récusé une intuition du monde intellectuel qui serait analogue à l'intuition du sensible, en quelque sorte une vision du suprasensible. On ne peut refuser une intuition sui generis qui est celle de la liberté, c'est-à-dire de la transcendance de l'homme, du surnaturel en lui10. Par elle nous accédons ou nous sommes de plain-pied avec le monde suprasensible, intellectuel. Elle est l'absolu qui donne l'absolu, le Moi pareil au Hen Kai Pan. Le Je suis est vraiment unique en son genre, il galvanise celui qui l'émet, il transperce le temps, et sa cime effleure l'éternité. L'avenir montrera combien cette intuition de l'intuition intellectuelle est conforme à la pensée de Fichte, elle est d'une teneur fichtéenne authentique. Malheureusement, pris entre deux uploads/Philosophie/ l-x27-absolu-et-la-philosophie-de-schelling.pdf
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- Publié le Nov 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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