La question du rythme (de la vague) Extrait du Rhuthmos http://www.rhuthmos.eu/
La question du rythme (de la vague) Extrait du Rhuthmos http://www.rhuthmos.eu/spip.php?article775 La question du rythme (de la vague) - Recherches - Le rythme dans les sciences et les arts contemporains - Philosophie - Date de mise en ligne : jeudi 27 décembre 2012 Rhuthmos Copyright © Rhuthmos Page 1/6 La question du rythme (de la vague) Les vagues et les amours, c'est pareil... J'évite la vague qui approche ou au contraire je m'en sers. Je me lance, je sais nager, je sais voler...Tantôt la vague me gifle, tantôt elle m'emporte... Vous sentez bien que c'est un étrange bonheur... C'est une espèce de sens du rythme, la rythmicité... Gilles Deleuze Comme toute expérience est bonne à entendre, on se propose ici, en toute modestie, de partir du surfeur pour aborder la question du rythme qui est, effectivement, au centre de cette pratique de la vague qu'est le surf. Avant de découvrir plus directement ce sport et de s'y référer dans ses écrits et propos [1], Deleuze, avec une perspicacité étonnante, décrivait le surf en 1985 dans L'autre journal [2], comme cette « insertion dans une onde préexistante » et rajoutait : « comment se faire accepter dans le mouvement d'une grande vague, arriver entre au lieu d'être origine d'un effort, c'est fondamental. » Le philosophe avait vu juste. Le propre du surf est d'être en mouvement sur un mouvement, la vague, et cela conduit en quelque sorte le surfeur dans une situation qui n'est plus celle d'un espace-temps. Le plus dur en surf n'est pas de se mettre debout sur la planche, mais de savoir prendre la vague au bon endroit et au bon moment alors que tout se meut. La mobilité de la vague est un apprentissage incessant pour le surfeur. À chaque fois qu'il va surfer, ce dernier se confronte à cette préhension [3] de ce que les surfeurs appellent le « line-up », là où cette ligne océane en mouvement qu'est la houle se lève, se cambre et devient cette vague qui déferle et dans laquelle le surfeur s'insère, intègre son propre mouvement de glisse. Un ensemble totalement mobile, rendant chaque situation de surf imprévisible et transposant le surfeur dans un paradigme où son libre arbitre est vite sans atout, contraint qu'il est à un geste à juste titre pour rencontrer et prendre la vague. Le mouvement du surfeur est fait de positionnements/déplacements en ramant, d'attentes et de réactions, tant par rapport aux vagues qui vont et viennent entre ici et là-bas que par rapport aux autres surfeurs tous aussi désireux de les prendre et avec qui le partage devient le jeu malléable d'une mobilité collective, faite de convivialité comme de compétition et enveloppant tout un chacun de joie comme de frustration. Aussi la prise d'une vague, cette glisse avec le déferlement, ne relève pas tant d'un positionnement par rapport à un espace-temps dont l'imprévisibilité de tous les éléments est l'essence même du surf, mais plutôt d'un mouvement à (com)prendre dans le rythme d'ensemble de tous ces éléments effectivement mobiles. La question du rythme en surf, c'est de le prendre. Depuis sa genèse océano-atmosphérique jusqu'à son déferlement, la vague est un mouvement en cours dont le surfeur apprend à faire son entente. La vague équivaut chaque fois à un concours de circonstances. Elle devient pour le surfeur, comme par ailleurs pour le voyageur, cette circonstance (du latin circum : autour et stare : debout) qui tourne simultanément par elle-même et autour d'elle-même. De tourner par elle-même, elle se tient debout et de se tenir debout, elle est ce autour de quoi elle tourne. Semblable à une boucle qui tourne et avance, elle enroule ce qui autour se déroule et déroule ce autour de quoi elle s'enroule. Dit autrement, la circonstance consiste en une tautologie, pour le moins singulière, qui circule grâce à l'alternative implicite de ses termes, issue de l'écart entre ce qu'elle engage et ce qui l'engage. Elle est toujours la même mais chaque fois sans pareil. Ainsi profile-t-elle la destination jamais certaine du voyage. Ainsi est-elle cette vague qui déferle et s'ouvre au surfeur qui la prend. Ainsi déploie-t-elle le rythme auquel il faut la prendre, c'est-à-dire en y engageant, en y insérant un geste de déséquilibre qui ne trouve alors d'équilibre que dans le mouvement qui le sous-tend. Double mouvement d'une rencontre, d'une glisse, d'un voyage dont le rythme sonne à celui qui le prend comme l'effectuation d'une entente à juste titre. Copyright © Rhuthmos Page 2/6 La question du rythme (de la vague) Ainsi le surfeur veille-t-il au rythme de la vague à prendre. Ainsi esquisse-t-il l'entente du mouvement [4] dont la dimension s'active alors en propre, c'est-à-dire distinctement d'un espace-temps qui, lui, cantonne l'effort, l'action, la compréhension à son point d'origine, à son appui. Or, l'acceptation dans le mouvement tel que le surf le révèle tient à ce milieu, à cet élan, à ce rythme qui, en chaque situation, en chaque concours de circonstances, font les prémisses de toute prise, de toute insertion, de toute rencontre, de toute évolution. Une telle entente du mouvement dans son principe intuitif n'est pas neuve. D'Héraclite au kairos grec, sans parler de la philosophie chinoise pour laquelle le temps et le verbe être sont sans concept, sans fondement [5], le mouvement est depuis longtemps appréhendé dans cet enroulement/déroulement dont le surfeur fait sa glisse avec la vague. La pensée qui se formule ici par l'écriture, aussi inédite puisse être sa forme, partage toujours, d'une façon ou d'une autre, le chemin parcouru des autres, tout cela conduisant à des consonances finalement bien naturelles et humaines. Pour autant, il s'agit pour nous de concevoir le surf et ce qu'il nous fait entendre du mouvement, comme un outil nous permettant d'appréhender cette dimension de la mobilité en tant que telle (par le fait donc d'être en mouvement avec elle) et d'aller plus loin en situant l'actualité de celle-ci dans l'évolution de notre modernité. Parler de mouvement en ce XXIe siècle bien lancé, bien bousculé est une lapalissade tant tout ce qui nous (de)construit s'appuie désormais sur la mobilité et son offre (sa pression) immédiate et ubiquitaire. Les années 1980 étaient déjà celles d'une mutation des technologies de la communication amorçant une contraction de notre espace-temps par l'accélération qu'elles induisaient dans les échanges comme dans le télescopage événementiel. Et globalement, le cadre de notre modernité se révélait peu à peu sous un visage mouvant au travers duquel les traits usuels d'une configuration spatio-temporelle semblaient de plus en plus sans prise. La concomitance de ces technologies accrues de communication et l'envolée du principe actif du libéralisme économique, démultipliant les foyers de compétition partout dans le monde sur une ligne de tension continue, ont indirectement caractérisé, par l'incertitude induite, cette prégnance du mouvement comme dimension actuelle, mais sans pour autant que nos outils sensoriels ou conceptuels aient encore pu se refaire, se reformuler. En résumé ici, la pensée dimensionnelle qui nous guide s'attache à distinguer l'espace, le temps et le mouvement comme des dimensions propres dont l'enchaînement (le tissage, la complexification) de l'une à l'autre décrirait notre processus moderne et l'évolution de ses enjeux. L'espace, dont on peut dire qu'il est commun par la circonscription des éléments qui le constituent et le récit (politique, religieux, idéologique...) qu'il institue, marque son empreinte jusqu'au début/moitié du XXe siècle, cédant alors peu à peu son cadre à une percée du temps (de sa ligne, de sa flèche) dont on peut dire que rien ne l'arrête, qu'il est libre, devenant de ce fait le vecteur probant à la fois pour une autonomie des éléments se détachant du commun, et pour une accélération du changement, du progrès par l'infini potentiel que recouvre la liberté de sa course (démocratique, technologique, économique...). La lecture du XXe siècle peut donc se faire sous ce prisme du passage dimensionnel de l'espace au temps, la contraction actuelle de notre espace-temps moderne combinant un émiettement de l'espace par l'individualisation/multiplication de l'expression (existentielle, entrepreneuriale...) plus ou moins libre de ses éléments, et aussi une absorption/dilution de l'ancrage commun (territorial, filial, moral...) par la caractérisation de cette ligne du temps sur laquelle toute production se renouvelle, se tend sans cesse (mirage économique), mais tout en se déphasant inévitablement du rythme des ressources naturelles et autres variations écologiques. L'aboutissement de ce passage dimensionnel de l'espace au temps dont le XXe siècle a représenté le processus, peut se lire, entre autres, dans cette financiarisation des échanges dont l'économique a fait sa foi (sa folie capitalistique), mais qui n'est en fait que la résultante de cette contingence du temps à réduire l'intervalle (l'existence) des produits (augmentant de la sorte les échanges), au point que ceux-ci ne sont plus que des « dérivés » virtuels circulant et se renouvelant à la vitesse de la lumière,tout en atteignant une « masse critique » de 800 000 milliards de dollars (11 fois le PIB mondial !), à l'instar de ces milliards de milliards d'étoiles dans le temps infini de l'univers... sauf que la vie est pour nous sur terre et qu'elle y uploads/Philosophie/ la-question-du-rythme-de-la-vague.pdf
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- Publié le Apv 15, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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