LA MÉTAPHYSIQUE DE DELEUZE & GUATTARI : DÉJÀ « PAR-DELÀ NATURE ET CULTURE » Vin
LA MÉTAPHYSIQUE DE DELEUZE & GUATTARI : DÉJÀ « PAR-DELÀ NATURE ET CULTURE » Vincent Jacques, Jérôme Rosanvallon Collège international de Philosophie | « Rue Descartes » 2021/1 N° 99 | pages 1 à 9 ISSN 1144-0821 DOI 10.3917/rdes.099.0001 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2021-1-page-1.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Nombre d’ouvrages et de recueil d’articles sont consacrés à la « métaphysique de Deleuze », c’est-à-dire à son système philosophique et ses innombrables aspects, notamment ontologiques (ontologie du problème, du virtuel, de l’événement, etc.). Presque autant le sont à la « philosophie politique de Deleuze et Guattari », son ancrage historique, sa théorie de l’histoire, sa pertinence anthropologique et géopolitique actuelle, etc. Qui, sans connaissance directe du corpus, jetterait un coup d’œil rapide sur l’essentiel de la littérature qui lui est consacré depuis maintenant près de trente ans, serait donc conduit à penser que la philosophie de Deleuze et Guattari ne serait que le volet politique ou la traduction historico-pratique de la philosophie de Deleuze, laquelle aurait seule une dimension métaphysique et ontologique. Une telle image est pourtant très réductrice et en grande partie erronée. La raison en est double. D’une part, on trouve déjà bon nombre de passages politiques dans les ouvrages écrits par Deleuze seul avant (comme après) sa rencontre avec Guattari, d’Instincts et institutions à |1 © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.159.109.198) © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.159.109.198) VINCENT JACQUES & JEROME ROSANVALLON Critique et clinique. Mais d’autre part et surtout, si les ouvrages de Deleuze et Guattari, de L’Anti-Œdipe à Qu’est-ce que la philosophie ?, ont une dimension politique ou historico-pratique absolument indéniable, et si cette dimension s’ancre bien ou, du moins, suppose voire suscite le déploiement préalable ou simultané d’une métaphysique, d’un système philosophique ne laissant de côté aucun aspect du réel, comme c’est le cas de toute grande philosophie, à commencer, pour ne citer qu’elle, par celle de Spinoza, cette métaphysique ne peut se trouver nulle part ailleurs que dans ces mêmes ouvrages qu’ils ont écrits en commun 2. Portant directement sur cet objet trop longtemps négligé, ce recueil d’articles vise ainsi à caractériser le plus précisément possible la « métaphysique deleuzo-guattarienne » en la situant autour du problème fondamental qui l’anime. Ce problème, que Deleuze formulera comme tel en 1988, juste avant d’entamer leur dernière collaboration, Qu’est-ce que la philosophie ? (dont on fête cette année les trente ans), c’est donc l’effacement de toute différence « entre la nature et l’artifice », autrement dit le dépassement du dualisme nature / culture. Un tel dépassement est lui-même métaphysique dans la mesure où, comme tout système philosophique, il vise à critiquer et ainsi dépasser certaines métaphysiques antérieures, en l’occurrence ici celles qui ont structuré ce dualisme, notamment, comme l’a depuis montré Descola, en unifiant l’un de ses pôles par son seul contraste avec l’autre sous la figure du « naturalisme 3 » (une nature présupposant la relativité des cultures). Dans la formulation qu’en donne Deleuze – « une philosophie de la Nature » – on remarquera qu’un tel dépassement du dualisme est censé paradoxalement s’opérer au profit de l’un de ses deux termes. Est-ce à dire que la philosophie de Deleuze et Guattari resterait elle-même un « naturalisme » (étendard qu’aura d’ailleurs souvent revendiqué Deleuze seul en caractérisant ainsi tant le système de Lucrèce que celui de Spinoza 4) ? Naturalisme peut avoir ou non un effet réducteur selon le sens que l’on donne à nature, évidemment double ici : soit la nature a un sens « anthropologique » voire « anthropocentrique » en définissant seulement tout ce qui se distinguerait de la culture, serait « vierge » de culture, la précèderait ou subsisterait de façon sous-jacente ; soit elle a un sens « métaphysique » ou « cosmologique » en définissant tout ce qui est, l’« englobant » ultime, pour parler comme Jaspers, ne laissant rien subsister au dehors, ni Dieu ni homme. La Nature peut bien en ce sens désigner ce qui se situe « par-delà nature et culture » sans se réduire à aucun de ces deux termes (anthropocentriques et occidentalo-centrés). La Nature, ou Dieu, si l’on revient à Spinoza, se déploie en une infinité d’attributs infinis (et de modes finis) sans jamais se laisser épuiser par aucun d’eux, se réduire à l’un d’eux, celui-ci fût-il, du point de vue 2| © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.159.109.198) © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.159.109.198) HORIZONS d’un autre, désigné comme « nature ». À ces « englobants » sans doute trop signés, datés, connotés, Deleuze et Guattari préféreront dans Qu’est-ce que la philosophie ? le concept d’immanence, de « plan d’immanence », chargé d’opérer le même effacement entre nature et culture, le même dépassement d’un dualisme qui ne renvoie, dans son plus grand degré de généralité, à nul autre qu’à celui entre être et pensée (deux attributs parmi une infinité d’autres dans le système spinoziste). Reste à savoir comment procéder pour effacer toute différence entre être et pensée, nature et culture ou encore nature et histoire – série de dualismes qui se recoupent en grande partie sans se confondre tout à fait. Vouloir les surmonter, n’est-ce pas contradictoire, d’une part, avec le profond désir, manifeste dès leur première collaboration, de « trouver assez d’innocence pour faire de l’histoire universelle 5 » et chercher donc à dégager l’unité transhistorique de l’histoire, sa consistance propre – ce qui ne veut certes pas dire son autonomie ? Est-ce vraiment cohérent, d’autre part, avec le désir programmatique, tout aussi manifeste avant leur dernière collaboration, de définir ce qu’est la philosophie et dégager ainsi, par différence avec toute autre activité, notamment avec les autres pratiques créatives que sont la science et l’art, sa consistance propre – ce qui là encore ne renvoie à aucune existence autonome ni séparée ? Nulle incompatibilité dans un cas comme dans l’autre : c’est qu’on ne peut justement surmonter ou effacer le dualisme qu’en traversant et survolant l’un de ses pôles pour en dégager l’unité profonde, la logique transversale et montrer en quoi elles s’identifient et finalement se confondent avec celles de l’autre pôle. Ainsi, c’est en identifiant, dans la terminologie de L’Anti- Œdipe, l’« objet » de « l’histoire universelle » (la production machinique désirante et les flux), autrement dit, dans celle de Mille plateaux, l’« unité de composition » de la « strate anthropomorphe » ou « alloplastique » (le double processus de « variation », toujours première, et de « stratification », toujours seconde) qu’on identifie aussi ce qui sous-tend la nature anthropocentrique, c’est-à-dire les autres dimensions physico-chimiques et biologiques de la réalité et que l’on efface donc en droit la distinction histoire / nature. De même, c’est en identifiant, dans Qu’est-ce que la philosophie ?, la nature fondamentale de la pensée philosophique (créer des « concepts », instaurer un « plan d’immanence », le peupler de « personnages conceptuels »), qu’on identifie par là-même celle des autres pensées créatrices (l’art et la science), donc la triple nature de la pensée, et que l’on efface en droit la distinction pensée / être, en comprenant que se manifeste ainsi la nature même de la réalité, la triple façon dont elle se déploie et se crée. |3 © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.159.109.198) © Collège international de Philosophie | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.159.109.198) VINCENT JACQUES & JEROME ROSANVALLON On peut par conséquent procéder de deux façons concrètes pour effacer le rapport entre nature et culture, nature et histoire ou être et pensée. Le premier procédé consiste à partir d’une nature supposément première pour absorber ou adsorber progressivement en elle toute culture de façon à dénier finalement tout sens à cette primauté. C’est ainsi que le uploads/Philosophie/ la-metaphysique-de-deleuze-et-guattari-deja-quot-par-dela-nature-et-culture-quot.pdf
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- Publié le Jan 03, 2023
- Catégorie Philosophy / Philo...
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