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Revue Internationale de Philosophie is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Internationale de Philosophie. http://www.jstor.org Revue Internationale de Philosophie LA NOTION DE « GRAMMAIRE » CHEZ LE SECOND WITTGENSTEIN Author(s): JACQUES BOUVERESSE Source: Revue Internationale de Philosophie, Vol. 23, No. 88/89 (2/3) (1969), pp. 319-335 Published by: Revue Internationale de Philosophie Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23940758 Accessed: 22-10-2015 14:46 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. This content downloaded from 128.42.202.150 on Thu, 22 Oct 2015 14:46:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions LA NOTION DE «GRAMMAIRE» CHEZ LE SECOND WITTGENSTEIN par JACQUES BOUVERESSE Dans un article bien connu, consacré à la discussion d'un certain nombre de questions théoriques pendantes considérées comme pré judicielles en linguistique (1), Chomsky fait figurer, aux côtés de Bloomfield et de Quine, le second Wittgenstein comme un des représentants les plus caractéristiques de la conception dite « taxino mique-behavioriste » de la nature du langage, conception qui est récusée catégoriquement au profit d'une autre, diamétralement opposée sur tous les points en litige, et qualifiée de«humboldtienne». Chomsky évoque notamment un passage du Cahier Bleu (2) dans lequel Wittgenstein dénonce précisément la liaison nécessaire qui existe, de son point de vue, entre le présupposé, que nous pouvons à notre tour appeler «humboldtien», de la présence dans le sujet parlant du système virtuel tout entier de la langue avec son organi sation générative éventuelle, comme seule explication adéquate de la performance linguistique singulière, et le mentalisme de type classique : «... La phrase n'a de sens que comme élément d'un système de langage ; tout comme une expression singulière à l'intérieur d'un calcul. Dès lors nous sommes tentés d'imaginer ce calcul, pour ainsi dire, comme un arrière-plan permanent pour chaque phrase que nous prononçons, et de penser que, bien que la phrase, en tant qu'écrite sur une feuille de papier ou parlée, se trouve isolée, dans l'acte mental de la pensée le calcul est là — tout en bloc. L'acte (1) Current Issues in Linguistic Theory in Fodor and Katz (editors), The Structure of Language, Prentice-Hall, Inc., 1964 ; cf. p. 60. (2) J'utiliserai les abréviations suivantes:. (= T Tractatus logico-philosophicus), P. U. (= Philosophische Untersuchungen), BGM. (= Bemerkungen über die Grundlagen der Mathematik), BB. (= The Blue and Brown Books), Z. (= Zettel). This content downloaded from 128.42.202.150 on Thu, 22 Oct 2015 14:46:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions 320 J. BOUVERESSE mental semble effectuer d'une façon miraculeuse ce qui ne pour rait être effectué par aucun acte de manipulation de symboles. Or quand la tentation de penser que, dans un certain sens, le calcul tout entier doit être présent au même moment disparaît, il n'y a plus aucun intérêt à postuler l'existence d'une espèce particulière d'acte mental qui coure tout le long de notre expression» (BB., P- 42). A la conception taxinomique-behavioriste, les théoriciens de la grammaire générative reprochent essentiellement, comme on sait, son incapacité à rendre compte d'un des aspects les plus spectacu laires et les plus fondamentaux de la compétence linguistique du sujet normal : l'aptitude à percevoir et à comprendre immédiate ment, à émettre spontanément et, en outre, à repérer, le cas échéant, comme grammaticalement déviantes, un nombre infini de phrases dont la plupart n'ont jamais été prononcées ni entendues par lui auparavant. Il est intéressant de rappeler que ce fait majeur, dont l'explication semble s'imposer aujourd'hui aux théoriciens de la linguistique comme une tâche primordiale, fournissait à Wittgen stein, à l'époque du Tractatus, un de ses arguments les plus sérieux en faveur de la théorie qui attribue au langage une forme de repré sentativité «picturale». «Il appartient à l'essence de la proposition de pouvoir nous communiquer un sens nouveau» (T., 4.027), et cette capacité spécifique ne peut être fondée que sur la propriété interne qu'elle a d'être une configuration représentative d'un état de choses possible dont elle affirme ou nie l'existence. On pourrait croire qu'une fois abandonnées les thèses fondamen tales de son premier ouvrage et, en particulier, la conception de la langue comme image de la réalité, Wittgenstein s'est préoccupé de trouver une autre explication à ce qui, de toute évidence, n'a pas cessé de lui apparaître comme un fait capital de la pratique linguistique courante. En réalité, et bien que cette affirmation sim plifie peut-être abusivement son comportement philosophique, on peut dire que le second Wittgenstein n'était nullement à la recherche de solutions nouvelles à des problèmes anciens, c'est-à-dire de termes nouveaux pour rendre compte de phénomènes demeurés préoccu pants, mais soucieux au contraire de diagnostiquer en toute occasion dans la tentation et la prétention de « rendre compte » de quoi que ce soit la maladie philosophique par excellence. Le théoricien de la grammaire générative affirme précisément que le comportement linguistique usuel ne peut, à cause de son aspect This content downloaded from 128.42.202.150 on Thu, 22 Oct 2015 14:46:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions LA NOTION DE « GRAMMAIRE » 321 essentiellement « créateur », être expliqué en termes de conditionne ment, d'association, de projection «analogique», de généralisation, etc., bref, dans les termes d'une théorie empiriste de l'apprentissage, et que l'utilisation infinie qui est faite de moyens finis, le fait que le sujet parlant sait et sait faire beaucoup de choses qu'il n'a pas apprises impliquent de sa part la maîtrise de processus récursifs susceptibles d'engendrer un ensemble infini de phrases et de leur faire correspondre automatiquement des descriptions structurales. Ici le profane est tenté d'objecter naïvement (et il est essentiel, du point de vue du second Wittgenstein, de considérer de cette façon les suggestions philosophiques que les spécialistes font à propos de leur spécialité) qu'en raison de la liaison étroite qui existe entre les deux idées de récursivité et d'engendrement mécanique, le modèle proposé pour la compétence linguistique du sujet n'est à première vue pas particulièrement adapté à son fonction, qui est précisément de rendre compte de la dimension «créatrice» du cette compétence. D'une machine susceptible de faire passer un test de bonne formation aux mots d'une langue symbolique ou d'engendrer les théorèmes d'un système formel, par exemple, nous ne serons généralement pas tentés de considérer qu'elle a un comportement « créateur» au sens usuel du terme et dire que les règles de réécriture d'une grammaire syntagmatique correspondent à des algorithmes relativement sim ples revient en un sens uniquement à mettre en relief l'aspect méca nique, ou tout au moins partiellement mécanisable, de certains processus implicites de formation et d'analyse structurale. C'est que l'aspect créateur dont il s'agit ici n'est précisément pas autre chose que -l'aspect d'extension automatique à l'infini, alors que Wittgenstein, pour sa part, récuse le modèle mécanique, non seule ment à propos du langage usuel, mais également à propos des langues symboliques de type mathématico-logique, au nom de la créativité des phénomènes linguistiques entendue dans un tout autre sens. Dans l'entreprise qui aboutit, de façon assez paradoxale, à une rela tive déshumanisation du fait linguistique, on peut peut-être recon naître, du point de vue du philosophe qui nous occupe présente ment, les effets cumulés de deux assimilations erronées : l'une qui consiste à confronter, d'une manière générale, la langue familière au «modèle» d'une langue symbolique artificielle et à rapprocher en particulier le problème de la « grammaticalité» dans le cas de la première de celui de la« bonne formation» dans le cas de la seconde ; This content downloaded from 128.42.202.150 on Thu, 22 Oct 2015 14:46:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions 322 J. BOUVERESSE l'autre qui consiste dans l'introduction et la généralisation de la présentation axiomatique, c'est-à-dire, pour Wittgenstein, dans la «mécanisation des mathématiques» (BGM., V, 9). Alors que la perspective de Wittgenstein est résolument finitiste et, si l'on peut utiliser ce mot à propos de la théorie du langage usuel, «intuition niste», Chomsky et ses disciples veulent avant tout éviter de faire intervenir en chaque cas singulier la libre initiative du sujet parlant. On peut lire à ce propos sous la plume de Stockwell dans un article au titre significatif: «Le modèle transformationnel de la grammaire générative ou prédictive» (3) : «Un ensemble fini de règles qui énumère un nombre indéfiniment grand de phrases dans un langage est une grammaire générative. A la différence des types de grammaire dont la liste est donnée ci-dessus (4), ces grammaires ne laissent pas au lecteur la construction de phrases nouvelles par « analogie » avec celles qui sont citées et analysées. Elles caractérisent explicitement les analogies permises, les régularités que les phrases nouvelles auront en commun avec des phrases anciennes ; elles ne laissent pas la tâche extensionnelle à l'intelligence et à l'intuition du uploads/Philosophie/ la-notion-de-grammaire-chez-le-second-wittgenstein.pdf
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- Publié le Fev 07, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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