Anabases Traditions et réceptions de l’Antiquité 16 | 2012 varia Un inédit de M

Anabases Traditions et réceptions de l’Antiquité 16 | 2012 varia Un inédit de Michel Foucault : « La Parrêsia ». Note de présentation Henri-Paul Fruchaud et Jean-François Bert Édition électronique URL : http://anabases.revues.org/3956 DOI : 10.4000/anabases.3956 ISSN : 2256-9421 Éditeur E.R.A.S.M.E. Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2012 Pagination : 149-156 ISSN : 1774-4296 Référence électronique Henri-Paul Fruchaud et Jean-François Bert, « Un inédit de Michel Foucault : « La Parrêsia ». Note de présentation », Anabases [En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://anabases.revues.org/3956 ; DOI : 10.4000/anabases.3956 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Anabases Anabases 16 (2012), p. 149-156. Un inédit de Michel Foucault : « La Parrêsia » Note de présentation HENRI-PAUL FRUCHAUD, JEAN-FRANÇOIS BERT C’EST À L’INVITATION d’Henri Joly 1, spécialiste de la philosophie antique, que Michel Foucault prononce au mois de mai 1982 à l’université de Grenoble une conférence consacrée à la parrêsia, peu de temps après la fin du cours au Collège de France de l’année 1982, dans lequel cette notion apparaît pour la première fois dans ses travaux. Henri Joly connaissait Foucault depuis son passage à Clermont Ferrand, et comme le précise Pascal Engel : « Le spécialiste de Platon qu’était Joly s’intéressait au “retour aux Grecs” de Foucault et ce dernier avait accepté de venir donner un exposé. Nous allâ- mes ensemble le chercher à la gare, en l’attendant à la sortie principale, mais là point de Foucault. La gare de Grenoble a une seconde sortie, quasi clandestine, qu’on prend rarement. Michel Foucault trouva le moyen de passer par là et nous eûmes la surprise de l’entendre nous héler derrière nous. Il était, comme le dit une page célèbre de L’Archéologie du savoir, “ressurgi ailleurs” et “en train de nous narguer 2”. […] Il avait exigé qu’on ne publicisât pas sa conférence, afin que la discussion puisse avoir lieu en 1 Henri Joly (1927-1988) est notamment l’auteur d’un ouvrage consacré à Platon : Le Renversement platonicien. Logos, épistémè, polis, Paris, Vrin, 1974. 2 Ce passage se trouve dans le dialogue fictif entre Foucault et son lecteur par lequel se termine l’Introduction de L’Archéologie du savoir (Paris, Gallimard, 1969, p. 28). 150 HENRI-PAUL FRUCHAUD, JEAN-FRANÇOIS BERT petit comité. Mais quand nous pénétrâmes dans la salle, plus d’une centaine de person- nes nous attendaient et comme jadis au Collège la conférence tourna au spectacle 3. » Cette conférence, dont un enregistrement a été conservé, était restée jusqu’à ce jour inédite 4. Michel Foucault a consacré une grande partie de ses derniers travaux à la notion de parrêsia 5, que l’on traduit habituellement par « franc-parler ». Elle apparaît dans le cours au Collège de France de 1982, L’herméneutique du sujet, et sera le thème prin- cipal des cours de 1983, Le gouvernement de soi et des autres, et de 1984, Le courage de la vérité 6. Il consacre également à la parrêsia un cycle de six conférences prononcé à l’université de Berkeley en octobre et novembre 1983 7. Cette notion apparaît dans le cadre d’une réflexion de Foucault sur les rapports de la vérité et du sujet. Après avoir étudié ce qu’il appelle les « formes alèthurgiques » – les pratiques discursives qui ont permis de constituer, comme objet de savoir possible, le sujet parlant, le sujet travaillant, le sujet vivant 8 – Foucault renverse la perspective et oriente ses recherches vers la constitution du sujet pour lui-même. On sait que pour lui, le sujet fondateur et anhistorique de la philosophie classique, de Descartes à la phéno- ménologie et à l’existentialisme, n’existe pas. Au contraire, celui-ci a une genèse, une histoire, à travers lesquelles il se constitue et se transforme. En étudiant cette « histoire de la subjectivité », entendue au sens de « la manière dont le sujet fait l’expérience de 3 Pascal ENGEL, « Michel Foucault : vérité, connaissance et éthique », in Foucault, Paris, Éditions de l’Herne, 2011, p. 324. Pascal Engel date la conférence du printemps 1983. Nous avons retenu la date de mai 1982, proposée par Daniel Defert d’après les archives de Michel Foucault. Elle paraît d’ailleurs plus vraisemblable, dans la mesure où l’analyse de la parrêsia dans la conférence est encore très proche des cours du début de l’année 1982. 4 Un texte de Michel Foucault a été publié en 1983 dans le n° 3 des Recherches sur la philo- sophie et le langage. La philosophie dans sa langue, dirigé par Henri Joly, mais il s’agit d’un texte intitulé : « Rêver de ses plaisirs. Sur l’onirocritique d’Artémidore ». 5 Les translitérations parrhêsia ou parrhèsia sont les plus conformes au grec ancien, mais pour la transcription de la conférence de Grenoble, nous nous sommes conformés à la solution retenue pour l’édition des derniers cours de Foucault et la plus couramment utilisée dans les études foucaldiennes. 6 Michel FOUCAULT, L’herméneutique du sujet, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2001 ; Le gouver- nement de soi et des autres, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2008 ; Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2009. Pour une présentation synthétique de la parrêsia, voir Frédéric GROS, « La parrhêsia chez Foucault (1982-1984) », in Foucault. Le courage de la vérité, Paris, PUF, 2002, p. 155-165, et Michel Foucault, Paris, PUF, 1998, p. 110-123. 7 Ces conférences ne sont pas traduites en français. Une transcription, parfois abusivement remaniée par l’éditeur, a été publiée sous le titre de Fearless Speech, Semiotext(e), Los Angeles, 2001. 8 Michel FOUCAULT, Le courage de la vérité, édition citée, p. 5. 151 UN INÉDIT DE M. FOUCAULT : « LA PARRÊSIA ». NOTE DE PRÉSENTATION lui-même dans un jeu de vérité où il a rapport à soi 9 », Foucault va s’intéresser en premier lieu au christianisme primitif à propos de cette forme de dire-vrai qu’est l’aveu, puis, remontant le temps, à la philosophie antique, et plus particulièrement à la philo- sophie gréco-romaine de l’époque impériale. C’est dans son cours du 10 février 1982 qu’il fait pour la première fois mention de la parrêsia, à laquelle il consacrera la totalité du cours du 10 mars. Après avoir caractérisé la philosophie antique par le souci de soi, l’epimeleia heautou, il rappelle que c’est dans le souci de soi, par la conversion à soi à travers l’acquisition de connaissances vraies et la pratique d’exercices spirituels, que le sujet de l’Antiquité se constitue comme sujet éthi- que, capable de se gouverner lui-même et de gouverner les autres. Mais pour pratiquer ce souci de soi, le sujet a besoin d’un autre : un maître, un directeur. Cet autre pouvant être, comme Épictète, un professeur exerçant au sein d’une école de philosophie, un ami ou un parent, comme Sénèque vis-à-vis de Sérénus ou de Lucilius, ou encore un conseiller privé comme en avaient parfois de grands personnages romains. Or, pour jouer ce rôle, l’autre a toujours besoin d’être doté de parrêsia, notion dont Foucault, avant d’en affiner le sens à travers l’analyse des textes, donne une première définition : « Parrhêsia, étymologiquement, c’est le fait de tout dire (franchise, ouverture de parole, ouverture d’esprit, ouverture de langage, liberté de parole). Les Latins traduisent en général parrhêsia par libertas. C’est l’ouverture qui fait qu’on dit, qu’on dit ce qu’on a à dire, qu’on dit ce qu’on a envie de dire, qu’on dit ce qu’on pense pouvoir dire, parce que c’est nécessaire, parce que c’est utile, parce que c’est vrai 10. » La parrêsia du maître est à la fois une technê, une technique, et un ethos, une manière d’être. En tant que technique, elle lui permet d’aider le disciple à se connaître et à se doter des vérités dont il a besoin pour faire face aux événements de la vie et pour vivre une vie véritablement philosophique. Mais elle ne peut réussir comme technique si elle n’est pas également une manière d’être par laquelle le maître manifeste qu’il est lui-même comme ce qu’il dit, faisant en sorte que ce qu’il dit soit immédiatement reçu comme vrai par le disciple. Dans les cours des deux années suivantes, Foucault élargira et approfondira la notion de parrêsia, et ceci dans deux directions. La première est celle de la parrêsia politique, dans le cadre de la démocratie grecque, plus particulièrement athénienne, et à la cour du prince. Dans le cadre démocratique, la parrêsia est un droit politique qui permet à l’homme politique influent (l’exemple sera Périclès), de participer activement au gouvernement de la cité et d’emporter l’adhésion de ses concitoyens par la franchise de son discours. Foucault s’intéressera à l’histoire mythique de cette parrêsia démocratique en analysant quelques tragédies d’Euripide, en particulier Ion, qu’il interprétera comme 9 Maurice FLORENCE (pseudonyme de Michel Foucault), « Foucault », in Dits et écrits, n° 345, t. II, Paris, Gallimard « Quarto », 2001, p. 1452. 10 Michel FOUCAULT, L’herméneutique du sujet, édition citée, p. 348. 152 HENRI-PAUL FRUCHAUD, JEAN-FRANÇOIS BERT l’histoire de la vérité abandonnée par les dieux et reprise par uploads/Philosophie/ la-parresia-presentation-pdf.pdf

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