Revue francophone internationale de recherche infirmière (2015) 1, 179—184 Dispo

Revue francophone internationale de recherche infirmière (2015) 1, 179—184 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE PRINCEPS Les principaux modes de savoir en soins infirmiers Fundamental patterns of knowing in nursing Barbara A. Carper (docteure en sciences de l’éducation, infirmière) c/o La Revue francophone internationale de recherche infirmière, Elsevier Masson, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France Cet article, rédigé en 1978 par Barbara Carper, est considéré comme princeps dans la discipline infirmière. Son contenu doit être replacé dans le contexte scientifique qui prévalait lorsqu’il a été rédigé et prendre en compte le degré de développement de la discipline infirmière à la fin des années 1970. Sa lecture permet d’apprécier le chemin parcouru depuis cette période en matière d’épistémologie en sciences infirmières. L’approche proposée par Barbara Carper organise le savoir infirmier en quatre modes distincts en interrelation : empirique, esthétique, éthique et personnel. Les préconisations qu’elle a formulées, notamment en matière d’explicitation de ces différentes catégories de savoirs, ont fourni aux infirmières un cadre de référence indispensable à la recherche infirmière mais aussi à la pratique réflexive. La rédaction La conception générale d’un domaine de recherche détermine, in fine, le type de savoir qu’une discipline s’emploie à promouvoir et la fac ¸on dont ce savoir sera organisé, testé et utilisé. Le corpus de connaissances qui justifie les pratiques infirmières intègre diffé- rents modes, formes et structures, qui déterminent les attentes et illustrent différentes manières d’aborder certains phénomènes. L’enseignement et l’apprentissage des soins infirmiers exigent une bonne compréhension de ces modes. Il ne s’agit pas tant d’élargir l’étendue du savoir que d’étudier avec attention ce que « savoir » signifie et déterminer quels types de savoir sont les plus valorisés en soins infirmiers.  Source : Carper BA. Fundamental patterns of knowing in nursing. ANS 1978;1(1):13—24. © 1978 Aspen Publishers, Inc. Reprinted with permission from and copyright © Jones & Bartlett Learning, LLC. Adresse e-mail : refiri@elsevier.com http://dx.doi.org/10.1016/j.refiri.2015.09.001 2352-8028/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS. 180 B.A. Carper Identifier les différents modes de savoir L’analyse de la structure syntaxique et conceptuelle du savoir infirmier [1] nous a permis d’identifier quatre modes de savoir qui correspondent aux catégories logiques sui- vantes : • le savoir empirique, la science infirmière ; • le savoir esthétique, l’art des soins infirmiers ; • la composante personnelle du savoir infirmier ; • le savoir éthique, composante morale des soins infirmiers. Le savoir empirique : la science infirmière L’expression « science infirmière » n’est apparue dans la littérature qu’à la fin des années 1950. Depuis lors, un engouement certain s’est manifesté, voire un sentiment d’urgence, pour l’établissement d’un corpus de connais- sances empiriques, spécifique aux soins infirmiers. Il est généralement admis qu’une connaissance du monde empi- rique est essentielle. Systématiquement organisé en lois générales et en théories, ce savoir permet de décrire, d’expliquer et de prévoir des phénomènes intéressants, tout particulièrement la discipline des soins infirmiers. La majorité des études réalisées et des théories développées vise à rechercher et produire des explications systématiques et vérifiables grâce à des preuves factuelles ; ces travaux peuvent également être utilisés pour organiser et catégoriser le savoir. Le mode de savoir habituellement désigné par l’expression « science infirmière » ne présente pas aujourd’hui le degré d’explication systématique et abstraite qui caractérise les sciences plus matures, bien que la littérature infirmière le présente comme une forme idéale. Manifestement, plusieurs structures conceptuelles coexistent et entrent même en concurrence, sans qu’aucune n’atteigne le statut de paradigme scientifique tel que défini par Kuhn. À ce jour, aucune structure conceptuelle n’est encore acceptée comme exemple de pratique scientifique « qui réunisse une loi, une théorie, son application et ses instruments de mesure [. . .] et offre des modèles qui sont à l’origine de certaines traditions cohérentes en matière de recherche » [2]. On pourrait arguer que certaines de ces structures conceptuelles semblent avoir plus de potentiel que d’autres pour fournir des explications qui tiennent systématiquement compte des phénomènes observés et pourraient à terme permettre de les prévoir et de les contrôler de manière plus précise. Cependant, cela reste à déterminer par une recherche destinée à tester la validité de tels concepts explicatifs dans le cadre d’une réalité empirique pertinente. Perspectives nouvelles À ce stade du développement de la science infirmière, il apparaît crucial de constater que ces structures concep- tuelles préparadigmatiques et ces modèles théoriques ouvrent de nouvelles perspectives pour étudier les phé- nomènes familiers en matière de santé et de maladie qui émaillent le déroulement de la vie humaine ; à ce titre, ils peuvent et doivent être reconnus en tant que découvertes légitimes dans cette discipline. Représenter la santé comme autre chose qu’une simple absence de maladie constitue un changement capital grâce auquel la santé peut être pen- sée comme un état ou un processus dynamique qui varie dans le temps selon les circonstances plutôt que comme une entité statique. Ce changement conceptuel permet à son tour l’étude de questions qui seraient autrefois restées inintelligibles. Découvrir qu’il était possible de conceptualiser la santé sous la forme d’un continuum a suscité des ten- tatives d’observation, de description et de classification des variations de santé ou de bien-être comme autant de manifestations de la relation que l’être humain entretient avec son environnement interne et externe. Des travaux connexes ont cherché à identifier les réponses comporte- mentales, tant physiologiques que psychologiques, pouvant servir d’indices quant à l’étendue des variations de santé considérées normales. Ils ont également cherché à iden- tifier et à classer les facteurs étiologiques significatifs qui favorisent ou inhibent certaines modifications de l’état de santé. Stades actuels À ce jour, la science infirmière présente simultanément des caractéristiques évocatrices de niveaux différents, inhé- rentes d’une part à « l’historique de l’investigation » et, d’autre part, à son volet de « formulation déductive de théo- ries ». Le stade de l’historique consiste surtout à décrire et classer des phénomènes qui sont, en règle générale, véri- fiables par observation directe et inspection [3]. Cependant, la littérature infirmière actuelle montre un net abandon de cette forme descriptive et classificatrice en faveur d’une analyse plus théorique, orientée vers la recherche ou la création d’explications des faits empiriques classés et observés. Ce changement est perceptible au niveau du voca- bulaire employé qui est passé du registre observationnel à un autre registre, plus théorique, où le sens des termes et leur définition propre sont spécifiques au cadre de la théorie explicative correspondante. Dans les modèles conceptuels relatifs aux systèmes ouverts, les explications tendent à prendre une forme qua- lifiée de fonctionnelle ou téléologique [4]. Par exemple, les modèles systémiques expliquent le niveau de santé d’une personne à un moment donné en fonction des effets pré- sents et cumulés des interactions qu’elle a eu avec son environnement interne et externe. Ce type d’explication repose sur le concept de l’adaptation. Considérée comme cruciale dans le processus de réponse aux demandes envi- ronnementales (habituellement classées comme « éléments stressants »), l’adaptation permet aux individus de préser- ver ou retrouver un état d’équilibre qui constitue la finalité du système. Les modèles développementaux proposent sou- vent un type d’explication plus génétique dans la mesure où certains événements, les activités développementales, sont considérés comme des facteurs de causalité ou des conditions nécessaires au développement normal d’un individu. Ainsi, le premier mode fondamental du savoir infirmier est empirique, factuel et descriptif, et vise à concevoir des explications abstraites et théoriques. Il est exemplaire, rai- sonné et vérifiable publiquement. Les principaux modes de savoir en soins infirmiers 181 Le savoir esthétique : l’art des soins infirmiers Peu de gens au fait de la littérature professionnelle nie- raient que l’accent est surtout mis sur le développement de la science infirmière. On en viendrait presque à penser que le seul savoir valide et fiable est de nature empirique, factuelle, objectivement descriptive et généralisable. Il existe apparemment une réticence, une sorte de gêne qui empêche d’étendre le mot « savoir » aux aspects du savoir en science infirmière qui ne résulteraient pas de la recherche empirique. Il est toutefois admis, de manière plus ou moins tacite, que les soins infirmiers sont, du moins pour partie, un art. Peu d’efforts ont été consacrés à l’élaboration ou à l’explicitation de ce mode esthétique du savoir infirmier, si ce n’est une vague association de l’« art » avec la catégorie générale des compétences tech- niques et/ou gestuelles mises en œuvre dans la pratique infirmière. Cette réticence à reconnaître la composante esthétique comme mode fondamental du savoir infirmier est due aux efforts vigoureux mis en œuvre dans un passé qui n’est pas si lointain pour évacuer l’image d’un système de forma- tion basé sur « l’apprentissage ». Dans ce système, l’art des soins infirmiers était étroitement associé à l’apprentissage par imitation et l’acquisition de connaissances s’opérait par accumulation d’expériences non rationalisées. La restric- tion excessive et inappropriée de la définition du mot « art » constitue une autre source de réticences. Weitz suggère qu’un art est trop complexe et variable pour être réduit à une simple définition [5]. Pour lui, assimiler la théorie esthétique à une uploads/Philosophie/ les-principaux-modes-de-savoir-en-si-carper2015.pdf

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