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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 mars 2022 09:42 Laval théologique et philosophique La vérité chez Protagoras Héloïse Moysan-Lapointe Volume 66, numéro 3, 2010 URI : https://id.erudit.org/iderudit/045337ar DOI : https://doi.org/10.7202/045337ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Moysan-Lapointe, H. (2010). La vérité chez Protagoras. Laval théologique et philosophique, 66(3), 529–545. https://doi.org/10.7202/045337ar Résumé de l'article L’article propose une interprétation pragmatiste des fragments de Protagoras autour de la question de la vérité. Dans un premier temps, on examinera comment la théorie de l’homme mesure, la théorie des deux discours et l’agnostisme nous renseignent sur la conception de la vérité de Protagoras. Par la suite, on constatera le rapprochement de cette conception de la vérité au pragmatisme contemporain, sur les plans du langage, de la vie sociale, du recours à l’expérience et du constructivisme. Cette interprétation permet de saisir l’intérêt philosophique de l’activité rhétorique, et de mieux comprendre la profondeur du problème que les sophistes ont posé à Platon sur la question de la vérité. Laval théologique et philosophique, 66, 3 (octobre 2010) : 529-545 529 LA VÉRITÉ CHEZ PROTAGORAS Héloïse Moysan-Lapointe Département de philosophie Université de Sherbrooke RÉSUMÉ : L’article propose une interprétation pragmatiste des fragments de Protagoras autour de la question de la vérité. Dans un premier temps, on examinera comment la théorie de l’homme mesure, la théorie des deux discours et l’agnostisme nous renseignent sur la concep- tion de la vérité de Protagoras. Par la suite, on constatera le rapprochement de cette concep- tion de la vérité au pragmatisme contemporain, sur les plans du langage, de la vie sociale, du recours à l’expérience et du constructivisme. Cette interprétation permet de saisir l’intérêt phi- losophique de l’activité rhétorique, et de mieux comprendre la profondeur du problème que les sophistes ont posé à Platon sur la question de la vérité. ABSTRACT : The article offers a pragmatist interpretation of Protagoras’ fragments on the ques- tion of Truth. First, we will examine to what extent the man measure theory, the two speeches theory and the agnostism shed light on the concept of Truth found in Protagoras. Secondly, we will consider the relation between this concept of Truth and contemporary pragmatism, in the fields of language, social life, reference to experience and constructivism. This interpretation enables us better to grasp the philosophical interest of the rhetoric activity, and to understand the depth of the problem posed to Plato by the sophists regarding Truth. ______________________ e concept de vérité, si trivial dans la vie quotidienne, devient d’une complexité vertigineuse du moment qu’il est discuté. Se demander ce qu’est la vérité, ou plus pragmatiquement à quoi elle peut être reconnue, demande l’éclaircissement im- médiat d’un concept qui tout à coup nous échappe. Intrinsèquement liée aux concepts de connaissance, de certitude, de confiance, mais aussi de fausseté, de tromperie et d’erreur, l’idée qu’on a de la vérité transparaît à travers les croyances individuelles, les pratiques scientifiques, mais aussi à travers le fonctionnement des groupes et des sociétés. Ce caractère englobant de la question de la vérité apparaît dès les débuts de la philosophie, où Platon tente habilement d’échapper à deux positions aussi aporétiques l’une que l’autre en en opérant une synthèse. Platon se trouve aux prises avec la mise en relation problématique de la vérité avec l’être. Que le critère de la vérité repose sur un être universel, unitaire et éternel, ou à l’opposé sur un flux en perpétuel change- ment, il est difficile d’expliquer la distinction pourtant tout à fait intuitive entre vérité et fausseté, entre connaissance juste et erreur. Pourtant, cette explication est fonda- mentalement nécessaire à une culture comme la démocratie athénienne, où les déci- sions les plus fondamentales reposent sur l’évaluation que chaque citoyen fait de la valeur des différentes propositions qui lui sont soumises. L HÉLOÏSE MOYSAN-LAPOINTE 530 Parmi les défis auxquels Platon fait face, l’un des plus vivement sentis est proba- blement la montée en popularité des sophistes. Éducateurs émérites ou rhéteurs sans scrupule, ces individus semblent saborder toutes les assises d’un jugement bien fon- dé. Platon s’applique à de nombreuses occasions à montrer leurs faiblesses et à argu- menter en faveur d’une vie philosophique organisée autour de la recherche de la vé- rité. Pourtant, bien qu’il les critique et craigne leur influence néfaste, l’image que Platon trace des sophistes n’est pas celle de charlatans. Par exemple, dans le Gorgias, Platon recourt à Calliclès, pas plus sophiste que philosophe, pour exposer la position amoraliste, alors que la position des sophistes est plus modérée. Au contraire, on sent bien chez Platon l’impact profond qu’ont les sophistes, ne serait-ce que par le rôle de repoussoir qu’ils ont joué sur sa pensée. En effet, la re- cherche d’un critère universel du vrai se construit en réponse à des conceptions beau- coup plus souples, voir carrément relativistes de la vérité. À travers Platon, on com- prend donc que les sophistes ont pris part à un débat théorique profond, et au-delà de la valeur même des thèses platoniciennes, ses dialogues ont le mérite d’inviter à re- construire des réponses à l’une des questions fondatrices de la philosophie, à savoir ce qu’est la vérité. Nous souhaitons ici répondre à cette invitation, en tentant de re- construire la position d’un sophiste sur la question de la vérité. Cette tentative est né- cessaire pour deux raisons. Tout d’abord, pour bien comprendre Platon et ses succes- seurs, il importe de connaître les problèmes qu’il tentait de résoudre. Par ailleurs, il est important aujourd’hui d’évaluer si le verdict platonicien, que l’histoire a retenu, est toujours adéquat pour répondre au problème posé par les sophistes. Pour Kerferd, la ténacité du paradigme platonicien en philosophie est étonnamment loin des prati- ques scientifiques : Selon Platon, en effet, les sophistes rejettent ce qu’il considère être l’ultime réalité, et s’ef- forcent d’expliquer l’univers sous son seul aspect phénoménal. Selon Platon, toujours, le monde phénoménal est un simulacre de monde, dépourvu de réalité, et auquel, de ce fait, fait défaut la condition hors laquelle il ne peut se constituer en authentique objet de con- naissance. Il est, en revanche, quelque peu paradoxal que, dans le monde moderne où les savants, pour la plupart, non seulement ne sont plus d’obédience platonicienne, mais n’éprouvent même pas le désir de chercher la réalité dans la direction en laquelle Platon pensait qu’elle pût être trouvée, la condamnation prononcée par Platon à l’encontre des sophistes demeure encore si vivace1. Ce commentaire, certes réducteur à l’endroit de Platon, a tout de même le mérite de rappeler l’importance de la position sophiste sur la question de la vérité. Il faudra montrer que les sophistes cherchent la réalité avec une méthode fructueuse, qui dis- pose de toutes les ressources nécessaires à la vie philosophique de recherche du bien, du beau et du vrai. Pour éviter l’erreur d’amalgamer des pensées étrangères les unes aux autres, nous prendrons un seul sophiste comme témoin du courant. Parmi tous les sophistes, Prota- goras se distingue par la portée de ses propos. C’est celui qui semble le plus explicite 1. George B. KERFERD, Le mouvement sophistique, trad. Alonso Tordesillas et Didier Bigou, Paris, Vrin, 1999, p. 247. LA VÉRITÉ CHEZ PROTAGORAS 531 lorsqu’on cherche à dégager une théorie de la vérité. Malgré le caractère extrêmement fragmentaire de ses écrits, on comprend aisément comment Protagoras s’oppose radi- calement à Platon. On se demande cependant s’il expose une position complète ou s’il se limite à un relativisme simple, restreint à un rôle critique et finalement incapa- ble d’affirmation. Nous prenons le parti de montrer que Protagoras, plus que simple critique, développe une posture philosophique solide, capable de résister aux attaques platoniciennes subséquentes parce qu’elle évite la problématique relation à l’être. Évidemment, cette position requiert une interprétation extensive des fragments, exer- cice délicat, qui n’est pas sans risque. Nous verrons que cette interprétation pointe vers une approche pragmatiste de la vérité, au sens moderne du mot, et que cette ap- proche est cohérente avec ce que nous savons de l’œuvre de Protagoras. À la lumière de cette interprétation, nous verrons comment le sophiste peut défendre la valeur de son activité non seulement en regard de son impact sur la cité, mais aussi dans le cadre d’une vie philosophique motivée par la recherche de la vérité. Bien sûr, Protagoras ne peut être analysé en détail puis considéré comme repré- sentant l’ensemble du courant sophiste. Les sophistes ont développé des théories va- riées, sur des problèmes largement uploads/Philosophie/ la-verite-chez-protagoras-heloise-moysan-lapointe.pdf

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