NERCAM, Nathalie, « Le nombre ‘entier’ (Théétète, 204b8-205a10) » PLATO, The el
NERCAM, Nathalie, « Le nombre ‘entier’ (Théétète, 204b8-205a10) » PLATO, The electronic Journal of the International Plato Society, n° 11, 2011. http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article107.html © All rights of reproduction of any form reserved. Page 1 LE NOMBRE « ENTIER » (THÉÉTÈTE 204B8-205A10)1 Nathalie NERCAM RÉSUMÉ Socrate étaie l’argumentation 203a-205e du Théétète par le moyen de considérations mathématiques particulières que cet article se propose d’analyser. De cet examen, il ressort que Platon accorde au philosophe et au jeune mathématicien une représentation savante du « nombre entier » comme multiplicité dynamique représentée par une figure géométrique qui manifeste le principe de cohésion dotant justement le nombre de son caractère fondamental : être « entier ». Platon montrerait que, sur cette base, la maïeutique socratique aurait permis à Théétète d’accoucher non d’une ombre de discours mais du vrai logos démonstratif propre aux mathématiciens. ABSTRACT In Theaetetus 203a-205e, Socrates argues by the means of peculiar mathematical notions which in this paper we seek to enlighten. From this analysis, it appears that according to Plato, Socrates and the young mathematician have the same representation of the integer as a dynamic multiplicity corresponding to a diagram which shows the principle of cohesion that makes precisely the number : "integer". On this basis, the Socratic dialogue would have succeed in delivering Theaetetus of the demonstrative logos which is not a shadow of discourse but a real way of reasoning good for the mathematicians. 1 Que tous ceux qui ont rendu possible la réalisation de ce travail soient ici remerciés et tout particulièrement : pour leur enseignement à la Sorbonne, Mme Monique Dixsaut et M. Patrice Loraux, pour leurs conseils et leurs encouragements Mme Catherine Larrère et M. Dimitri El’Murr, pour ses remarques concernant la notion de partie en mathématique M. Claude Paul Bruter et pour leur inestimable et régulier soutien, Mme Anne-Marie Barlerin-Leboucher, Ms Nercam père et fils, Mme Sonia Nercam et M. André-Pierre Olivier. NERCAM, Nathalie, « Le nombre ‘entier’ (Théétète, 204b8-205a10) » PLATO, The electronic Journal of the International Plato Society, n° 11, 2011. http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article107.html © All rights of reproduction of any form reserved. Page 2 A la fin du dialogue Théétète, entre 203a et 205e, avant d’examiner la troisième définition de la science proposée par le jeune mathématicien, Socrate présente un songe théorique, dans lequel toute réalité connaissable est constituée soit comme une totalité, soit comme une unité synthétique, composée dans les deux cas à partir d’éléments simples, irréductibles et inconnaissables. Socrate déboute rapidement cette théorie de rêve. Cette réfutation a fait l’objet depuis le milieu du XX° siècle d’une critique qualitativement et quantitativement importante, surtout en langue anglaise2. Tous les commentateurs cherchent à apprécier la cohérence et la portée de l’argumentation prêtée par Platon à Socrate. Dans cette perspective, ils délaissent le plus souvent d’analyser la dimension proprement mathématique de cet exposé dans lequel pourtant, le philosophe recourt expressément et longuement au nombre et à la métrique. De leur côté, les épistémologues ont orienté leurs recherches vers la résolution des problèmes posés dans l’introduction du dialogue3. Dans ce cadre, leur discussion a le plus souvent pour objet de préciser les méthodes probatoires et démonstratives des deux mathématiciens Théodore et Théétète, de déterminer la portée de leurs résultats et de mesurer l’intégration de ces derniers par Euclide d’Alexandrie dans les Eléments, deux siècles plus tard4. Le passage 204b-205a n’a donc jamais été analysé du point de vue strictement mathématique5. Le but de cet article est de 2 Au sujet de ce dialogue, le débat philosophique français est aujourd’hui assez exsangue, si l’on excepte la traduction de Michel Narcy (NARCY, 1994) et le séminaire récemment organisé à Paris par Dimitri El’Murr (séminaire platonicien de l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, janvier 2008-avril 2009). Les commentaires anglophones sont plus nombreux et divers (notamment FOWLER, 1921 ; BURNYEAT, 1978 ; BOSTOCK, 1988 ; DESJARDINS, 1990 ; SEDLEY, 2004). 3 En particulier entre 147d3 et 148b5. 4 Concernant ces débats épistémologiques voir : BRUNSCHVICG, 1993 ; ITARD, 1961 ; RENOU, 1978, chapitre II : Platon ; LASSERRE, 1990 ; CAVEING, VITRAC, 1990 ; GARDIES, 1997 ; CAVEING, 1998, en particulier p : 164-186, VUILLEMIN, 2001 . 5 Glenn Raymond Morrow défend que la théorie des éléments discutée par Socrate, est d’ordre mathématique (MORROW, 1970, p : 309-333). Là n’est pas notre propos qui reste centré sur la notion particulière de nombre et de totalité, sans porter d’appréciation quant à la valeur générale de la théorie critiquée par le philosophe. NERCAM, Nathalie, « Le nombre ‘entier’ (Théétète, 204b8-205a10) » PLATO, The electronic Journal of the International Plato Society, n° 11, 2011. http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article107.html © All rights of reproduction of any form reserved. Page 3 contribuer à combler un peu cette lacune, en montrant les moyens arithmétiques et géométriques qui sont justement mis en œuvre dans cette réfutation. L’argumentation commence en 204a6-8. Théétète soutient que « l’entier » (τὸ ὅλον) pourrait différer du « tout » (τὸ πᾶν) en étant une unité, différente à ce titre, de la totalité des parties. Socrate veut au contraire le convaincre de la proposition suivante : « En ce qui a des parties, ce qui est entier (τὸ ὅλον) est nécessairement toutes les parties (τὰ πάντα μέρη) » (204a6). Le raisonnement du philosophe entre 204b et 205a sera divisé en trois séquences. Pour chacune de ces étapes, un bref résumé sera suivi d’un commentaire qui mettra en valeur la dimension mathématique des arguments socratiques. Partie 1 : « tout » et « tous » (204b8-204d3). Pour montrer que « tout » au singulier est équivalent à « tous » au pluriel, Socrate propose un exemple numérique : 6 (« tout » singulier) est le résultat de multiples opérations à partir de multiples nombres (« tous » pluriel). Le philosophe ne prend en considération que l’adjectif neutre substantivé, exprimé d’une part au singulier, τὸ πᾶν, et d’autre part au pluriel, τὰ πάντα. En ce cas, il n’est pas d’autre différence, ni en qualité ni en nature, que celle du nombre. Comprendre la différence entre « tout » et « tous » c’est donc d’abord tenter de saisir la complexité du nombre. Socrate considère les résultats d’opérations réalisées sur des entiers naturels non nuls, que le mot « total » au singulier (pour τὸ πᾶν) et au pluriel NERCAM, Nathalie, « Le nombre ‘entier’ (Théétète, 204b8-205a10) » PLATO, The electronic Journal of the International Plato Society, n° 11, 2011. http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article107.html © All rights of reproduction of any form reserved. Page 4 (pour τὰ πάντα) exprime clairement en français6. Il propose trois types d’expressions du nombre 67 : - Celui-ci est d’abord inscrit dans l’ordre de succession des naturels et se présente au même titre que ses prédécesseurs comme un élément. L’énumération le caractérise surtout comme un ordinal, sixième rang dans la suite arithmétique de raison 1 (et moins directement comme un cardinal, nombre total des éléments listés)8. - « Double trois ou triple deux » sont deux expressions équivalentes par commutativité de la factorisation de 6. Les mots « double » (δὶς) et « triple » (τρὶς) tendent à jumeler les deux formules et à les symétriser. Les expressions ainsi associées se distinguent de l’énumération qui les précède et des additions qui les suivent. La langue exprime en effet dans le cas du produit, un processus d’intégration plus fort que dans celui de la suite (où les nombres sont simplement apposés) ou dans celui de la somme (où les nombres sont séparés par la conjonction de coordination). On peut remarquer que ni « 6x1 », ni « 1x6 » ne sont mentionnés par Socrate. En effet ces produits ne composent pas 6 mais expriment seulement son unicité. 6 n’étant pas un nombre premier, les formules « double trois » et « triple deux » désignent donc sa spécificité du point 6 On traduira dans la suite de l’étude, le grec arithmόs par le mot « nombre ». Il s’agit dans tous les cas d’entier naturel non nul. 7 204b10-c3. 8 1 semble être considéré par Socrate comme un nombre comme les autres. Ce qui est aussi le cas dans République VII-522c5-9, Hippias Majeur 302a-303b9 et Ménon 82c7-8. NERCAM, Nathalie, « Le nombre ‘entier’ (Théétète, 204b8-205a10) » PLATO, The electronic Journal of the International Plato Society, n° 11, 2011. http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article107.html © All rights of reproduction of any form reserved. Page 5 de vue de la factorisation : c’est le premier entier qui est produit de deux facteurs premiers, l’un pair, 2 et l’autre impair, 39. - Les deux dernières expressions : « quatre et deux, ou trois et deux et un » n’impliquent pas d’ordre de succession comme dans le premier cas. Les effets de symétrie manifestes dans les factorisations précédentes ne paraissent pas non plus. Socrate ne restitue que de façon incomplète les multiples additions possibles produisant 6 à partir des naturels non nuls inférieurs à ce nombre (la somme 5 + 1 fait par exemple défaut). Cette incomplétude pourrait peut-être marquer la différence entre la factorisation du nombre qui est unique par commutativité et les additions totalisant ce nombre uploads/Philosophie/ le-nombre-entier-dans-theetete 2 .pdf
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- Publié le Jul 02, 2022
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