Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie français
Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XX, No 2 (2012) | jffp.org | DOI 10.5195/jffp/2012.555 This work is licensed under a Creative Commons Attribution-Noncommercial-No Derivative Works 3.0 United States License. This journal is operated by the University Library System of the University of Pittsburgh as part of its D-Scribe Digital Publishing Program, and is co-sponsored by the University of Pittsburgh Press Les concepts fondamentaux de la phénoménologie Entretien avec Claude Romano Tarek R. Dika, William C. Hackett, Claude Romano Journal of French and Francophone Philosophy - Revue de la philosophie française et de langue française, Vol XX, No 2 (2012) pp 173-202 Vol XX, No 2 (2012) ISSN 1936-6280 (print) ISSN 2155-1162 (online) DOI 10.5195/jffp/2012.555 http://www.jffp.org Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XX, No 2 (2012) | jffp.org | DOI 10.5195/jffp/2012.555 Les concepts fondamentaux de la phénoménologie Entretien avec Claude Romano Tarek R. Dika Johns Hopkins University William C. Hackett Australian Catholic University Claude Romano Université Paris-Sorbonne (Paris IV) Dans Au cœur de la raison, la phénoménologie, vous reconstruisez, historiquement et systématiquement, les concepts fondamentaux de la phénoménologie de Husserl à Heidegger et Merleau–Ponty. A quels développements de la philosophie contemporaine répondez-vous? Il me semble qu’on pourrait diagnostiquer dans la philosophie actuelle une crise qui n’est pas sans rappeler celle dont faisait état Husserl au début du siècle dernier. D’un côté, le paradigme positiviste qui a longtemps prévalu dans la philosophie de langue anglaise, dans le sillage d’une certaine lecture du Tractatus et des travaux du Cercle de Vienne, est parvenu à épuisement: non seulement l’idée d’une philosophie qui s’accomplirait sur un modèle scientifique a été progressivement abandonnée, mais, plus généralement, le style de pensée qui a prévalu dans le courant “analytique” et qui a consisté à se détourner des grands problèmes philosophiques traditionnels ne semble pas en mesure de satisfaire les intérêts vitaux 1 7 4 | L e s c o n c e p t s f o n d a m e n t a u x d e l a p h é n o m é n o l o g i e Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XX, No 2 (2012) | jffp.org | DOI 10.5195/jffp/2012.555 auxquels la philosophie classique était censée répondre. Même lorsqu’elle renoue avec certains problèmes traditionnels, comme c’est le cas par exemple avec la métaphysique analytique, elle ne nous propose au mieux qu’un pastiche de ce qu’a été la grande tradition de la philosophie première. Cette philosophie-là ne nous parle plus, et ses meilleurs représentants en ont d’ailleurs tiré les conséquences en s’éloignant de plus en plus résolument du paradigme positiviste initial. D’un autre côté, la philosophie que l’on a appelée “continentale,” et dont la phénoménologie (y compris dans ses prolongements herméneutique et déconstructionniste) est sans doute le meilleur représentant, s’est développée comme une tradition autonome, mais elle a eu tendance à se replier sur elle-même et à s’isoler; elle a perdu quelque chose de l’exigence de justification rationnelle qui ne fait qu’un avec la philosophie à son origine, au point de sombrer parfois dans un jargon qui la rend opaque et idiosyncrasique. Tout se passe, dès lors, comme si nous n’avions le choix qu’entre une philosophie technique coupée de nos questionnements vitaux et une philosophie plus soucieuse de continuité avec la grand idéal antique mais qui ne parvient plus à se hausser au niveau d’universalité que nous sommes en droit d’attendre d’elle, parce qu’elle néglige l’exigence d’argumentation et de justification sur lequel la philosophie “analytique” a de son côté mis l’accent de manière quasi exclusive. Naturellement, cette façon de brosser le tableau de notre présent est encore très grossière et simplificatrice. Car la philosophie a beaucoup évolué de part et d’autre de l’Atlantique et de la Manche au cours de ces quarante dernières années. Les problèmes qu’elle formule ici et là se sont peu à peu raprochés: il n’y a qu’à penser à la question de l’interprétation qui est aussi centrale et déterminante chez Davidson que chez Gadamer; au refus de la dichotomie des faits et des valeurs, à la résurgence du pragmatisme dans la philosophie américaine, à l’antipositivisme qui triomphe à la fois dans le courant post-wittgensteinien et dans le courant herméneutique. Une nouvelle donne semble émerger qui rend pour la première fois possible un dialogue entre ces traditions qui ne repose plus sur des malentendus de part et d’autre. Mais pour qu’un tel dialogue puisse avoir un sens, il est nécessaire de remonter aux sources historiques des deux traditions et de mettre au jour leurs présupposés respectifs, souvent passés inaperçus – ou dont l’importance est, tout au moins, sous-évaluée – par leurs principaux représentants. C’est notamment ce travail “généalogique” que j’ai entrepris d’accomplir dans ce livre. J’ai tendance à penser que le champ de la philosophie actuelle ressemble à une partie d’échecs dans laquelle chacun des joueurs ignorerait que certains coups sont possibles et jouerait toujours les mêmes gambits de manière obsessionelle. J’essaie de suggérer que la partie serait plus intéressante si l’on prenait conscience de la possibilité de ces coups en réalité déjà joués par le passé, mais dont on a perdu le souvenir. C l a u d e R o m a n o | 1 7 5 Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XX, No 2 (2012) | jffp.org | DOI 10.5195/jffp/2012.555 Je prends un exemple qui à mes yeux est central. L’un des paradigmes dominants dans la philosophie analytique, y compris jusqu’à McDowell, me paraît être un mixte d’empirisme et de “nominalisme” (en un sens particulier, post-wittgensteinien, du terme): d’une part, l’expérience est conçue de manière atomiste comme l’impact causal que le monde physique exerce sur notre sensibilité, un chaos d’impressions par elles-mêmes dépourvues de toute structure nécessaire et de toute légalité immanente; de l’autre, ce qui est censé introduire de l’ordre et de la légalité dans cette expérience ne peut provenir que de nos ressources conceptuelles, c’est-à-dire en l’occurrence linguistiques (car, dans le sillage de Wittgenstein, la possession de concepts est identifiée à la capacité d’employer des mots), et par conséquent d’un ordre extérieur à la sensibilité. Pour être ordonnée et structurée, nous dit McDowell, l’expérience doit être conceptuelle, et c’est seulement à cette condition qu’un empirisme “vrai” devient possible qui intègre l’apport de l’expérience à l’ ”espace logique des raisons” et des justifications, surmontant le “mythe” d’un donné brut comme fondement de la connaissance. Mais cette position, qui rejoue le grand débat entre l’empirisme et le néokantisme au début du XXè siècle sans même s’en apercevoir (la critique du mythe du donné étant précisément l’une des pièces maîtresses des objections adressées par Natorp ou Cohen aussi bien à l’empirisme qu’à la phénoménologie naissante) ne se justifie que par les présupposés qui la sous-tendent. En réalité, l’alternative entre une expérience amorphe, une suite de donnés bruts, directement observables, comme point de départ de toute connaissance, et une expérience conceptuelle “all the way out,” pourrait bien n’être qu’une fausse alternative, qui méconnaît dès le départ qu’un autre concept d’expérience est possible, un concept qui a été avancé par Husserl très tôt et justement afin de renvoyer dos à dos l’empirisme humien et le kantisme. Ce concept, c’est celui d’une expérience qui est régie par des légalités nécessaires et a priori, lesquelles ne proviennent pas de la projection de schèmes conceptuels et linguistiques sur de simples sensations amorphes. Loin d’avoir été rendue caduque par les critiques du Cercle de Vienne, cette idée me semble rester encore valable aujourd’hui. Par exemple, elle permet de prendre en considération tout ce qui, dans notre intelligence discursive, s’enracine dans une intelligence plus vaste, celle qui se fait jour dès le niveau de notre sensibilité et des guises selon lequelles nous sommes aux prises avec le monde dans notre existence corporelle. Le tort de la philosophie qui s’est réclamée du “linguistic turn” a été de s’ôter les moyens de penser ces liens entre nos compétences langagières et une intelligence sensible qui en est à la fois le socle et la ressource. En s’enfermant dans le langage et en prétendant résoudre les problèmes traditionnels de la philosophie par l’analyse de celui-ci, elle s’est désintéressée de la dimension même du pré-linguistique sans la prise en considération de laquelle comprendre le langage est une entreprise vouée à l’échec. 1 7 6 | L e s c o n c e p t s f o n d a m e n t a u x d e l a p h é n o m é n o l o g i e Journal of French and Francophone Philosophy | Revue de la philosophie française et de langue française Vol XX, No 2 (2012) | jffp.org | DOI 10.5195/jffp/2012.555 Le livre défend ce que vous appelez la “thèse phénoménologique.” Qu’est qu’il est un jeu dans uploads/Philosophie/ les-concepts-fondamentaux-de-la-phenomenologie-entretien-avec-claude-romano.pdf
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- Publié le Mar 31, 2021
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